Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/553

Cette page n’a pas encore été corrigée

2373

ELUS (NOMBRE DES'

2374

jecture. » Cf. Billuart, De incarnatione, diss. III, a. 3. Or, tel est le cas présent : nous ne connaissons pas le nombre des élus, ni absolu, ni relatif; les raisons de convenance n'ont qu'une faible portée, là où l'Ecriture sainte et la tradition sont muettes.

2° Raiso?i d'analogie. — La plus grande partie des anges est sauvée : nul doute qu'il ne faille raisonner sur le salut final de la nature humaine comme les plus grands docteurs l'ont fait sur celui de la nature angé- lique. L'argument d'analogie, tiré de la nature angé- lique, favorise même la nature humaine, incompara- blement plus faible, il est vrai, mais bien moins portée à l'orgueil, et ayant contre sa faiblesse native un secours de grâce et de miséricorde incomparablement plus abondant, celui que Notre-Seigneur nous a mérité par la rédemption. Castelein, op. cit., p. 272 sq.

L'analogie n'est pas évidente, et l'argument ne conclut pas : la proportion des hommes qui se laissent entraîner au mal est de beaucoup supérieure à celle des anges. Pour les hommes « le mal provient de ce qu'ils suivent les biens sensibles, plus à la portée du grand nombre, en laissant le bien de la raison que très peu découvrent. Mais dans les anges, il n'y a que la nature intellectuelle, et, par suite, l'argument ne vaut pas. » Telle est la réponse de saint Thomas, Sam. LheoL, h', q. lxiii, a. 9, ad l" m ; dans l'art 2 am , le docteur angélique s'était objecté le même argument d'analogie, mais pris à l'inverse pour conclure au petit nombre des anges élus. Il y réplique en rappelant sim- plement la réponse ad l um . La réponse est-elle péremp- toire? On ne saurait l'affirmer, car il y a tant d'autres éléments de la question qu'elle laisse dans l'ombre ; mais ce qu'on peut affirmer sans crainte de se tromper, c'est que l'analogie qu'on veut établir entre la nature angélique et la nature humaine ne repose, au point de vue du salut final des hommes, que sur des raisons de convenances. Or, ce sont des faits qu'il faudrait.

3° Portée morale de chaque opinion. — Les partisans des deux opinions se renvoient les uns aux autres des arguments, qui, parce qu'ils sont exclusifs, se détruisent les uns les autres. Les rigides traitent leurs adversaires de « laxistes », et les laxistes ne manquent pas de signaler le « rigorisme » des autres; et les doctrines sont elles-mêmes ainsi diversement appréciées. La thèse du grand nombre des élus est considérée comme de {'apostolat à rebours. Godts, op. cit., p. 482. Les mé- chants y puiseront une fausse sécurité, les bons y trouveront une pierre d'achoppement; quant aux par- tisans d'une vie libre et d'une morale facile, une sem- blable thèse détruit leurs velléités de conversion et les confirme dans des mœurs en contradiction flagrante avec la croix de Jésus-Christ. Maréchaux, op. cit., p. 56. — Thèse d'ailleurs inutile, car, que l'on admette le petit nombre des élus ou celui des damnés, les mo- tifs de confiance et les motifs de crainte restent les mêmes, et n'y eût-il qu'un damné sur cent mille, on peut toujours craindre d'èlre celui-là si l'on ne fait pas son devoir.

Les théologiens de l'opinion adverse ne manquent pas de répondre du tac au tac; on n'a pas le droit, disent-ils, pour frapper plus vivement les imaginations et dompter plus énergiquement les volontés, d'inventer un terrorisme, que ne justifie pas l'Évangile. Castelein, op. cit., p. 303. « L'Évangile est un code de bonté et d'amour, et l'on ne manque pas de rapporter tous les textes cités déjà plus haut. Voir col. 2362. Le développe- ment de cette pensée est trop facile pour que nous nous y arrêtions. Pour éviter le reproche de laxisme, il suffit de rappeler le double mystère qu'une foi éclairée ne perd jamais de vue : mystère de la justice divine, que la miséricorde n'annule pas, mystère de la distri- bution des grâces et de la prédestination finale, qui doit stimuler notre volonté dans le bien et refréner

efficacement les tendances de la nature au relâchement. Le rigorisme, fondé sur les terreurs exagérées de la justice divine, lue ou paralyse les initiatives d'où sortent les grandes vertus et les grandes œuvres; l'espérance est troublée par la préoccupation presque exclusive des moyens d'échapper aux peines éternelles; le mobile désintéressé de la charité est comprimé et paralysé par la crainte excessive de l'enfer qui nous empêche d'aimer Dieu en lui et pour lui. La vraie doctrine du salut, au contraire, soutenant notre espé- rance, s'inspirant de l'invincible foi en la bonté divine, fournit les plus puissants mobiles et les plus énergiques impulsions à toutes nos initiatives pour le bien. «Caste- lein, op. cit., c. vi, passim.

Qui ne voit la part de vérité de ces arguments pour et contre? Mais parce que les auteurs qui s'abritent derrière ne voient que leur point de vue particulier, ces arguments, trop exclusifs, ne portent pas. La thèse du petit nombre des élus peut produire des effets salu- taires, parla juste crainte qu'elle inspire des jugements de Dieu; la thèse du grand nombre peut relever bien des courages abattus; mais qu'on y fasse attention, ce n'est point l'opinion du grand nombre ou du petit nombre qui obtient ce résultat heureux, c'est la pensée de la miséricorde ou de la justice divine qu'elle reflète. Mais aussitôt que de cette pensée on veut tirer autre chose que les enseigneiivnts qu'elle contient, on tombe dans l'exagération, dans l'exclusivisme, dans l'absurde.

4 1 Reste l'argument de fait, la situation réelle des hommes par rapport à leur salut. C'est le seul argu- ment sérieux, qui, malgré les innombrables conjec- tures qui l'accompagnent nécessairement, peut fournir seul quelques indications sur le nombre des élus.

Tous les membres de la famille humaine ne passent point du temps à l'éternité dans les mêmes conditions de responsabilité. Les deux tiers peut-être, qu'ils aient ou non atteint l'âge de raison, meurent sans avoir eu l'usage régulier de leur libre arbitre. Voici comment on suppute ce nombre : au dire des médecins, les fausses couches étant plus fréquentes que les accou- chements à terme, on peut dire que le nombre des enfants morts dans le sein maternel est au moins égal à celui des vivants. En additionnant ce nombre avec celui des enfants morts avant l'âge de raison et des autres irresponsables, on atteint facilement les deux tiers de la mortalité humaine. La grande majorité, selon toute apparence restée ensevelie dans sa déchéance originelle — il faut encore tenir compte de la possibi- lité de la sanctification de ces enfants par Dieu lui- même, cf. S. Thomas, Suni. theol., III a , q. lxviii, a. 2, ad l 1 "" ; Pallavicini, Hist. du concile de Trente, 1. VIII, c. ix ; Ami du clergé, 1902, t. xxiv, p. 499 sq. — ne doit être classée ni parmi les bénis de Dieu, ni parmi les maudits, elle constitue la classe des déshé- rités. Ainsi, la région de l'autre inonde, en définitive la plus peuplée d'êtres humains, serait celle que dans le langage catholique usuel on nomme « limbes des enfants ». P. Jean-Baptiste, op. cil. Nous avons déjà fait remarquer plus haut que cette nombreuse caté- gorie, selon le tempérament des théologiens, avait servi pour appuyer tantôt l'opinion rigide et tantôt l'opinion large. Voir col. 2355.

Après cette classe des déshérités, il y a la classe des enfants morts avec le baptême, et celle-ci de jour en jour s'augmente, à mesure que les religions chré- tiennes progressent dans le monde; aujourd'hui les chrétiens forment à peu près le tiers de la population totale du globe. Il n'y a point ici, en effet, de distinc- tion à faire entre catholiques, schismatiques, hérétiques; dès lors que le baptême est conféré à un enfant au nom de la sainte Trinité, ce baptême est certainement valide et assure à cet enfant, s'il vient à mourir avant l'âge de raison, l'entrée immédiate du ciel. Or, un tiers