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ÉLUS (NOMBRE DES)

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le dogme catholique. C’est alors qu’apparaît la dévotion au Sacré-Cœur, et que Dieu suscite plusieurs écrivains de mérite pour atténuer les mauvais effets de ces doctrines outrées. Toute une pléiade de théologiens — Suarez en tête — se détachent de l’opinion traditionnelle, et tout en continuant d’enseigner le petit nombre des élus parmi tout le genre humain, commencent à insinuer que le plus grand nomhre chez les catholiques pourraient hien être sauvés. C’est une première évolution. Le Vénérable Fr. Joseph de SaintBenoît, dont nous avons déjà parlé, va plus loin et proteste énergiquement contre la doctrine du petit nomhre des élus dans tout le genre humain, voir col. 2353 sq. ; les examinateurs de ses écrits n’y trouvent rien à reprendre, plusieurs adhèrent même formellement à son enseignement. A la même époque, paraît à Prague (17211728) le travail du P. Rogacci, S. ! ., op. cit., depuis traduit en français : L’art de traiter avec Dieu. Le P. Gêner, S..T., formule une conclusion théologique plus osée que celle de Suarez : « Le nombre des élus, dans le genre humain pris dans son ensemble, est beaucoup plus grand, et conséquemment celui des réprouvés beaucoup moindre que ne le veut l’opinion commune ; bien mieux, les prédestinés sont peut-être pour le moins aussi nombreux que les non-prédestinés. La raison en est que dans la sainte Écriture l’attribut divin de la miséricorde avec la volonté de sauver tous les hommes est décrit et célébré de préférence aux autres attributs. » Theol. dogm. scliol., t. ii part. I, tr. II, 1. III, c. ni, § 3, n. C3(i, Rome, 1767. L’évolution a été complétée au xi.v siècle, et quoique le nombre des théologiens qui embrassent nettement l’opinion large, relativement à tout le genre humain, soit encore très restreint, on ne peut nier que cette opinion n’ait aujourd’hui droit de cité, voir col. 2354, puisque l’Église laisse dire.

Comment une telle évolution dans la théologie est-elle possible ? Et est-elle légitime’.' Le P. JeanBaptiste, loc. cit., répond qu’au temps où il élaitpermis de discuter la croyance à l’immaculée conception, les théologiens menaient, eux aussi, les partisans de cette croyance au défi d’apporter en sa faveur, soit un texte formel de l’Écriture, soit un témoignage explicite d’un Père de l’Église ou de quelque saint authentique. Le P. l’erroné avoue ingénuement ce manque d’appui dansla tradition ancienne, De imm. B. V. M.conceplu, c. xi, S 1 ; c. x, Avignon, 1818. S. Antonin, Suni. theol., part. I, lit. iivi c. n ; Cajetan, Com. in Sam. S.T/iomæ, III », q. xxvii, a. 2 ; Tract, de concept. B. V. M. ; Melchiur Cano, De locis theologicis, 1. VII, c. i, III, 4, sont formels sur ce point. Et cependant ces auteurs faisaient fausse route.

Du manque de textes à l’appui de la thèse du plus grand nombre des élus (et encore, cette indigence n’est pas prouvée), on ne peut donc arguer l’illégitimité du mouvement théologique qui s’opère en ce sens. Ce qui s’est fait pour l’immaculée conception peut se reproduire — toute proportion gardée, puisqu’il ne s’agit que d’une opinion simplement probable — pour la doctrine du grand nombre des élus.

V. Les considérations THÉOLOGIQUES.

Nous pouvons grouper sous quatre chefs les considérations Ihéologiques apportées ordinairement en faveur du petit ou du grand nombre des élus : 1° raisons de convenance ; 2° raison d’analogie ; 3° portée morale de chaque opinion ; I » argument de fait.

Baisons de convenance.

Elles peuvent se ramener toutes à cette pensée que l’honneur de Dieu, le succès de la rédemption, les intérêts de la gloire du Christ, la bonté et la miséricorde de Dieu demandent que la majeure partie du genre humain ne soit pas damnée. Comme le dit Suarez dans un texte rapporté ci-dessus, voir col. 2351, « il est convenable que le bien et non le mal se trouve clic/, le plus grand nombre. »

C’est aussi la pensée du F. Joseph de Saint-Benoît : « L’empire du Christ doit être plus peuplé’en fils de lumière et de bénédiction que le royaume de Satan en fils de ténèbres et de malédiction : car le Christ, monarque glorieux dont la puissance, la sagesse et la bonté sont infinies, ne saurait user d’étroitesse dans le choix de ses amis, ni permettre que Satan pût se targuer du nombre plus considérable de ses sujets. » Opusc, arg., n. 3, 4. Le P. Faber dit de son côté : « L’inconcevable magnificence de Dieu nous porterait à supposer a priori que le nombre des élus qui forme une des plus grandes gloires de sa création, doit être bien au-dessus de tout ce que nous pouvons attendre : l’expérience n’a-t-elle pas toujours justifié cette prévision ? Dieu n’a-t-il pas toujours fait plus qu’il n’avait promis jusqu’à dépasser nos espérances ?… Est-il admissible que ses bontés s’arrêtent ou pouvons-nous supposer qu’il change tout d’un coup, quand il s’agira, non seulement de notre bonheur éternel, mais de l’honneur de son Fils bien-aimé et des intérêts de sa propre gloire ? Celte pensée a quelque chose de si contraire à ce que nous avons observé, que, pour l’admettre, il faudrait qu’elle fût révélée, » Le créateur et la créature, 1. III, c. II. Cf. Castelein, op. cit., p. 189, 190, 267 ; Mo r Bougaud, op. cit., p. 364 ; M. Mauran, op. cit., p. 19.

Telles sont les raisons de convenances qui militent en faveur de la thèse du grand nombre des élus. On reproche à ce raisonnement son origine. Gravina l’employa, et il l’avait emprunté à un dialogue intitulé : De amplitudine beati regni Dei, œuvre d’un calviniste Cœlius Secundus Curio, condamné par l’Eglise. — Cette critique ne prouve rien, car on peut en dire autant de l’ouvrage d’Amelincourtqui en avait emprunté les idées aux Réflexions morales, écrit janséniste de Quesnel.

Bergier, dans son Dictionnaire, art. Elu, dit que ce raisonnement est faux en lui-même et absurde à tous égards. « Il est monstrueux, dit-il, de mettre l’honneur de Dieu dansla dépendance de la volonté perverse de ses créatures ; l’argument est absurde parce qu’il suppose que le démon a autant de part à la réprobation des méchants que Jésus-Christ en a au salut éternel des saints, que les premiers sont perdus parce que le démon a été le plus fort et Jésus-Christ le plus faible… Une autre absurdité est d’envisager le sort des bons et des méchants comme un combat entre Jésus-Christ et le démon, dans lequel Jèsus-Christ fait tout ce qu’il peut pour sauver une àme, sans en venir à bout, comme si le salut était l’ouvrage de la seule puissance du Sauveur, sans la coopération libre de l’homme. Le démon a-t-il donc plus de pouvoir qu’il ne plaît à Dieu de lui en accorder ? » Le nombre des élus importe peu à la gloire de Dieu, que la justice divine soit glorifiée ou que ce soit la miséricorde, c’est toujours Dieu qui est glorifié. « Une seule àme sauvée est un chefd’œuvre auquel concourent toutes les perfections divines, de concert avec la liberté humaine ; une seule créature glorifiée et admise à la vision béatifique est une merveille de beauté, plus (’tonnante et plus ravissante que toutes les merveilles réunies de la terre et des cieux… Ici, il ne s’agit pas de compter, mais de peser : non numeranda, sed ponderanda. Un seul élu pèseplusdans la balance de la gloire divineque l’enfer tout entier. » Monsabré, loc. cit.

La seule réponse certaine à faire aux arguments de convenance, c’est la remarque de Contenson : c Les raisons de convenance, dit l’illustre dominicain, sont excellentes pour nous démontrer la sagesse des œuvres de Dieu quand il s’agit d’oeuvres accomplies et qui nous sont connues, mais non quand il s’agit d’œuvres à accomplir ou en général d’œuvres qui ne nous sont pas connues ou que nous ne connaissons que par con-