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Luc, xiii, 23. Cf. S. Cyrille d’Alexandrie, Comment, in Luc, iixi 23, P. G., t. lxxii, col. 776.

Mais la critique de la prétendue tradition exige encore une nouvelle remarque. Parmi les Pères dont on a compilé les textes en faveur du petit nombre des élus, la plupart sont postérieurs au iv siècle, et plusieurs ne font pas autorité. Les anciens Pères et ceux dont l’autorité est incontestable ont sans doute fait appel à l’Kvangile du panel electi et de ; la porta angusta pour exborter les fidèles à la pénitence, au renoncement, et à assurer par là leur salut ; mais il serait inexact de voir dans ces leçons morales une préoccupation dogmatique au sujet du nombre des élus. La meilleure preuve en est que, lorsque les Pères traitent ex professo la question du salut des fidèles, leur langage n’est plus le même. Jusqu’à saint Augus tin, on peut même dire que leur pensée est assez imprécise. L’origénisme — la doctrine du salut universel — exerce une influence incontestable. On cite saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, l’Ambrosiaster, saint Jérôme, et même saint Ambroise comme partisans, sinon du salut universel, du moins du salut universel des catholiques. Sans doute, une telle affirmation mériterait une discussion approfondir, et les conclusions de Petau, De angelis, 1. III, c. iiv reproduites de nos jours par M. Tunnel, Histoire de la théologie positive depuis l’origine jusqu’au concile de Trente, Paris, 1889, p. 190, et par M. fixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1909, t. ii p. 198, 339. ne semblent pas absolument certaines. Cf. Billot, De novissimis, 2e édit., Rome, 1903, p. 57. Du moins, il est clair que saint Augustin a été le premier à formuler sur ce point une doctrine nettement catholique. Or, c’est principalement dans le De civitate Dei, 1. XXI, c. xxiii, xxvii, P. L., t. xi.i, col. 735, 746, et dans le De fide et operibns, c. xxi sq., P. L., t. XL, col. 222 sq., que saint Augustin rectifie les doctrines erronées qui avaient cours avant lui. Ce n’est ni le baptême seul, ni la réception de l’eucharistie, ni l’orthodoxie de la foi, ni l’aumône seule qui nous sauveront ; c’est l’ensemble de notre vie et de nos bonnes œuvres ; les idolâtres et les infidèles ne seront pas les seuls à encourir la condamnation au dernier jour. A la doctrine trop large de ses adversaires, le saint docteur oppose-t-il le multi vocati, panel electi— ? Nullement.

D’ailleurs, pour juger de la portée uniquement morale des textes invoqués chez les saints Pères, il suffit de se rappeler que le P. Godts signale comme favorable au petit nombre des élus des textes d’Origène, partisan de la doctrine du salut universel !

Si l’on voulait cependant aller jusqu’au fond de la pensée des Pères, il serait bon peut-être de rapprocher leur doctrine sur la satisfaction de leurs interprétations du multi vocati, panci electi. Cette doctrine était parallèle à la discipline pénitentielle de l’Église. Tous les pécheurs qui ne se soumettaient pas à la pénitence officielle, tous les relaps étaient à jamais écartés de la réconciliation : ils suivaient la voie large, la voie des multi. Étaient-ils considérés pour cela comme perdus pour l’éternité ? Loin de là, puisque saint Augustin les exhorte à se confier à la miséricorde divine. Episl., CLIII, ad Maced., n. 7, P. L., t. xxxiii, col. 656. La doctrine de la satisfaction se complète aussi par la théologie du purgatoire, théologie bien imparfaite dans les premiers siècles. Parmi les nombreux pécheurs qui se pressent sur la via spatiosa, il en est un bon nombre dont les péchés sont remis en l’autre monde, De civitate Dei, 1. XXI, c. xxiv, 2, P. L., t. xi.i, col. 738, tous ceux « qui ont besoin de miséricorde et n’en sont pas indignes. » C’est un point de vue auquel ne se sont pas arrêtés les partisans du petit nombre, tout occupés qu’ils étaient à compiler des textes pour établir la tradition des Pères.

DICT. DE THÉOL. CATIIOL.

Notre conclusion se résume en ces deux points : 1° La tradition invoquée n’est pas celle qui s’impose, même simplement sous peine de témérité, parce qu’elle n’est pas circa res fidei et nwrum. 2° L’opinion unanime des Pères en faveur du petit nombre des élus n’est ni aussi unanime, ni surtout aussi certaine que le veulent bien des théologiens rigides d’aujourd’hui.

Mais ceux-ci font une dernière instance : l’opinion unanime des théologiens, des prédicateurs et des saints, jusqu’au XVIIIe siècle, est une présomption très forte en faveur de la thèse du petit nombre, et suffit pour noter de témérité quiconque oserait la contredire.

Tout en rappelant la distinction apportée plus haut, col. 2353, et qui est d’une très grande importance pour l’appréciation de la doctrine des théologiens, il faut avouer que, jusqu’au xviiie siècle, théologiens, prédicateurs et auteurs ascétiques sont unanimes : la majeure partie des adultes, même catholiques, sont damnés. Il " serait puéril de le nier, ou de se rejeter sur le peu de valeur de certains théologiens d’ordre très inférieur invoqués par les partisans du petit nombre des élus pour allonger démesurément la liste de leurs autorités. On a coutume cependant de leur opposer saint François de Sales. L’avis du saint évêque de Genève n’est connu que par ce qu’en rapporte Camus, Esprit du II. François de Sales, part. III, sect. x ; il estimait " qu’il y aurait fort peu de chrétiens qui fussent damnés ; » mais le témoignage de l’évêque de Belley est assez suspect, et, dans ses ouvrages authentiques, nulle paît saint François de Sales ne traite la question e.r professo. Il se garde bien d’enseigner le petit nombre, lui, qui ne veut pas qu’on laisse les âmes ou qu’on reste soi-même sur une impression d’épouvante quand on prêche ou quand on médite les grandes vérités, combien plus instamment le recommanderait-il pour cette question du petit nombre des élus qui n’est pas une grande vérité.

Admettons l’opinion unanime ou presque unanime des théologiens jusqu’au xviji » siècle. C’est une raison de probabilité nouvelle pour la thèse du petit nombre des élus, rien de plus. Quant à être un motif pour noter de témérité la thèse opposée, cela est insoutenable. Il ne s’agit pas ici, en effet, d’une doctrine déduite d’un dogme de foi ou d’une révélation certaine, mais d’une simple opinion appuyée sur des conjectures et des raisonnements simplement probables, quoique universellement admis par eux.

Il serait plus intéressant de rechercher la raison d’être de cette unanimité, qui cesse soudain à telle époque déterminée. Les théologiens rigides nous en donnent, sans le vouloir, un motif 1res plausible. Ils ont soin de faire remarquer que l’opinion large date du protestantisme ; comme si le protestantisme pouvait l’avoir suggérée ! Ce reproche indirect vaut la qualification de « moderniste » que lui attribue, de nos jours, dom Maréchaux, op. cit., p.’t0. La vérité ne serait-elle pas plutôt en ce que protestants et jansénistes enseignant le petit nombre des élus, les théologiens soupçonnèrent, à cause de cela même, la faiblesse de cette doctrine et étudièrent mieux la question ? Le xviie siècle était bien l’époque où l’on considérait que

De la foi d’un chrétien les mystères terribles D’ornements égayés ne sont point susceptibles, L’Kvangile à l’esprit n’oll’re de tou-i côtés Que pénitence à faire et tourments mérités.

C’était l’époque où, à force de chercher chez les Pères tous les passages menaçants et sévères, on en vint à forger ce que le P. Monsabré appelle une théologie sauvage et Joseph de Maislre une théologie féroce. Contre ces âpres tendances en dogme et en morale, il fallait une réaction : il fallait répondre aux accusations de cruauté et d’absurdité dont les incrédules taxaient

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