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ELUS (NOMBRE DES :

2358 « Les rigoristes me diront, peut-être, que Jésus-Christ cache ici le mystère de sa justice pour ne pas troubler les âmes timorées ; moi j’aime mieux penser qu’il nous cache le mystère de sa miséricorde pour nous faire éviter la présomption. » Monsabré, loc. cit. Quant au texte de saint Matthieu, où l’opposition entre midti et pauci existe, même en admettant que ces deux termes s’appliquent à tous les hommes de tous les temps, il ne prouverait encore pas péremptoirement la thèse du petit nombre. Il est suivi do ces autres paroles : « Je vous déclare que beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et s’assoieront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures, » vin, 11, 12, dites sans doute dans une autre circonstance, mais qui laissent à supposer que ceux qui trouvent la voie du salut ne seront décidément pas en petit nombre.

Ne serait-il pas plus exact de dire que NotreSeigneur, dans ces deux passages de Matthieu et de Luc, a voulu donner un précepte moral, en nous rappelant que la voie qui mène sûrement au salut est difficile et demande des efforts, tandis que la voie de la perdition est facile ? Beaucoup prennent celle-ci, peu, celle-là ; mais Notre-Seigneur ne dit pas que la foule nombreuse qui suit la voie de la perdition ira jusqu’au bout. Entre la voie et le terme, il y a place pour le repentir, la pénitence, et le retour au chemin du salut. Néanmoins on ne peut nier que les paroles très fortes du Christ, dont l’interprétation du P. Castelein n’arrive pas à énerver le sens général, et aiiNquelles la tradition, nous le verrons, a gardé un sens très particulier relativement aux termes mulii et pauci, ne soient un argument sérieux en faveur de la thèse du petit nombre des élus.

2. Multi sunt vocati, pauci vero electi. Matth., x. 16 ; XXII, 14. La célèbre maxime : « beaucoup d’appelés, peu d’élus », est-elle synonyme de « rares sont les sauvés, nombreux les réprouvés » ? En fait, d’après l’Évangile, Notre-Seignour Jésus-Christ s’est exprimé de la sorte deux fois, et par manière de conclusion : à la fin de la parabole des ouvriers de la vigne et à la fin de la parabole du festin nuptial. Or, dans le premier cas, si elle est réellement authentique, car elle manque en cet endroit dans plusieurs manuscrits onciaux et plusieurs versions anciennes, « au lieu d’être, comme elle est pour bien des personnes, un sujet de terreur, à mon avis, ditSalrneron, cette conclusion nous donne plutôt un motif de consolation : tous les ouvriers sont, en effet, récompensés, aucun n’est exclu. Elle signifie donc, poursuit-il, que beaucoup so>it appelés à l’observance des préceptes par une vocation ordinaire et commune, tandis qu’un petit nombre sont élus par une grâce de choix pour suivre les conseils ou remplir les ministères de la loi évangélique. » De j>arab. D.N.J. C, tr. XXXIII, n. 35. Corneille de la Pierre montre par son commentaire que cette interprétation n’est pas particulière à Salmeron : parmi les scolastiques l’avaient adoptée Gabriel Biel, lu IV Sent., 1. I, dist. LXI, q. i, a. 2 ; Ockam, ibid., a. 1 ; Catharin, De jirædeslinaliaue, I. I, c. ult. ; l.III, c. i-ii. Cf. Barradas, S. J., Comment. in Evang., t. iii, 1. Y, c. xvi. « En somme, il est pour le moins douteux que l’oracle divin, dans cet endroit, ait le sens exclusif où trop souvent on le voudrait enfermer. » P. Jean-Baptiste, dans les Etudes franciscaines, septembre 1906, p. 295-296. Si le denier accordé à tous les ouvriers de la vigne, au lieu d’être la vie éternelle, comme beaucoup d’exégètes l’ont pensé, est la vocation de tous les peuples à la foi, on conclura seulement que, si tous les hommes sont appelés à la foi en Jésus sauveur, tous dans le royaume de Dieu sur terre, tous n’entreront pas dans le royaume de Dieu au ciel. Cf. M’J’Le Camus, La vie de N.-S.Jésns-Christ, 6e édit., Paris, , 1901, t. ii p. 480-483. Une explication analogue

avait été donnée par Origène, /n Maltli., tom.xv, n. 37, P. G., t. xiii, col. 1360 ; par saint Jérôme, In Matth., P. L., t. xxvi, col. 141. et par saint Chrysostome, In Matth., homil. lxiv, n. 2-4, P. G., t. lviii, col. 612-611. « La seconde parabole, observe M :’r de Pressy, o ; >. cit., est de toutes celles de l’Évangile la plus énigmatique et la plus difficile à expliquer. > Aussi est-elle diversement interprétée. Cf. Velasquez, In Ejiist. ad Phil., i, 3, ann. 3, n. 5. Ces mots : peu d’élus ne signifient pas peu de sauvés, car il n’est pas possible de concilier cette interprétation avec le texte sacré. L’exégèse qui fonde sur ce passage la théorie du grand nombre des réprouvés rend difficilement compte de l’exclusion d’un seul convive entre tous ceux, bons et mauvais, que le Maître fait amener de différents cotés. L’interprétation qu’en donne le P. Meschler, Méditations, trad. Mazoyer, Paris, 1894, t. ii p. 467, ne paraît pas improbable : >< La conclusion : il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, résume l’enseignement et le but de la parabole. Elle s’adresse aux Juifs : elle leur rappelle que beaucoup d’entre eux, que tous sont appelés à l’Église, mais que peu y entreront. Elle ne s’applique aux gentils qu’en tant que la parabole leur enseigne que, parmi ceux qui entrent dans l’Église, par conséquent, parmi les gentils eux-mêmes, tous ne seront pas sauvés. Mais il n’est nullement dit que le plus grand nombre de ceux qui appartiennent à l’Église seront damnés. Parmi les gentils appelés au festin nuptial, il ne se trouve qu’un seul indigne. Cette conclusion, qui termine aussi la parabole des ouvriers envoyés à la vigne, Matth., x, 16, a donc ici un sens différent, parce que le but lui-même est différent. Dans la première parabole, il ne s’agit pas du salut en général, puisque tous les ouvriers reçoivent également h’denier : il s’agit de certains privilèges dans la récompense éternelle. Tous ceux qui sont appelés et qui, de fait, arrivent au ciel, sont loin d’être sur le même rang : il en est qui ont une place d’honneur et ces distinctions établissent une hiérarchie différente de celle qu’on voit ici-bas. » Voir Lesètrt*, dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, art. Élus.

On peut conclure avec M. Lesêtre, loc. cit., que « parmi les modernes, il y a une tendance à interpréter d’une manière plus large la sentence qui termine les deux paraboles évangéliques. » Les auteurs à consulter sur ce point spécial sont, d’après M. Lesêtre : Bergier, Traité de la vraie religion, IIIe part., IX, ii 7, Œuvres complètes, Paris, 1855, t. iiv col. 1285 ; Lacordaire, L.v.e conférence de Notre-Dame, 1851 ; Faber, Le créateur et la créature, iii, 2 ; Progris de l’âme, xxi ; M’J r E. Méric, L’autre vie, Paris, 1880, p. 181-19 !  ; Liagre, In SS. Matth. et Marc, Tournai, 1883, p. 339 ; Monsabré, Conf. de Notre-Dame, 1889, vi « conf. ; Knabenbauer, Evangeliumsec. S. Matth., Paris, 1893, t. ii p. 178, 247 ; Mauran, Élus et sauvés, Marseille, 1890, p. 87-128, auxquels il faut ajouter le P. Castelein, op. cit.

3. Regnum cœlorum vim patitur et violenti rapiunt illud, Matth., xi, 12, en rapprochant de ce texte tous ceux qui indiquent la difficulté d’entrer dans le royaume des cieux. C’est le dives difficile intrabit in regnum cœlorum, Matth., xix, 23, 26 ; Marc, x, 23, 27 ; Luc, XVIII, 21, 27 ; c’est la doctrine du renoncement, Matth., X, 37-39 ; c’est l’humilité évangélique : nisi ef/iciamini sicut parvuli, non intrabitis in regnum cœlorum, Matth., xviii, 3 ; c’est la sévérité du jugement de Dieu : Dico autem vobis quoniam omne verbum oliosum, quod locuti fuerinl homines, reddent rationem de eo in die judicii, Matth., xii, 36, et encore : Et si justus vix salvabitur, impius et peccator ubi parebunt ? I Pet., iv, 18. S’il est si difficile d’entrer dans le royaume des cieux, sera-ce le partage du grand nombre ? Combien n’auront pas le courage de rompre avec le monde