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ÉLUS (NOMBRE DES)

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salvan que los que se condenan, Madrid, 1860; le P. Hurter, op. cil.; l'abbé Martinet, La science de la. vie, leçon i. ; L'art d'enseigner la religion, c. xx, dans Œuvres, Paris, 1878, n'ont jamais été aussi loin que Gravina. Seuls, Ma> Bougaud, Le christianisme et les temps présents, Paris, t. v, et M. l'abbé Mauran, Élus et sauvés, Marseille, 1896, se rapprochent de Gravina, et néanmoins ils n'ont pas été condamnés par l'Église. Mais pour juger sainement de la condamnation de Gravina par rapport aux opinions larges de plusieurs tliéologiens du xix e siècle, il faut encore faire attention à un point tout particulier, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir : beaucoup d'hommes, le plus grand nombre peut-être, meurent avant d'avoir atteint l'âge de raison. De ce nombre, l'immense majorité se voient fermer la porte du ciel, à cause du péché ori- ginel, mais ne sont pas condamnés à l'enfer. D'une certaine manière, ils sont damnés, « c'est-à-dire con- damnés par la sentence portée contre notre nature déchue à ne jamais voir Dieu face à face et à ne jamais jouir du bonheur de cette contemplation. Mais igno- rant le grand bien qu'ils ont perdu, ils ne souffrent pas de cette privation, et Dieu les laisse jouir en paix de tous les biens delà nature. «Monsabré, loi-, cit. Voir Dam. Les Pères et les théologiens, avant le xvni" siècle, se plaçant au point de vue doctrinal, considéraient cette foule de non-élus comme faisant partie du nombre des réprouvés; de là, leur opinion unanime, qui semble, en effet, difficilement contestable, du plus grand nombre des réprouvés dans tout le genre humain, et la juste condamnation de la thèse de Gravina. Aujourd'hui, les partisans de l'opinion large entendent par damnés ceux qui sont condamnés à l'enfer; les non-élus, coupables seulement de la faute originelle, forment la classe des déshérités, qui, heureux d'un bonheur purement natu- rel, voir Limbes, glorifient à leur manière la bonté et la miséricorde de Dieu. De là — dans un but peut-être plus apologétique que doctrinal — tout en admettant même l'opinion du plus grand nombre des non-élus, on peut légitimement soutenir celle du petit nombre des damnés : l'une n'est pas exclusive de l'autre.

Ces explications préalables étaient nécessaires pour bien comprendre la question qui se pose et qui partage aujourd'hui en deux camps les théologiens qui s'y inté- ressent. Réduite aux termes que nous avons fixés, on con- çoit que la liberté de discussion est laissée au sujet des deux opinions. Sans nier la part de vrai qui existe dans leur affirmation par rapport à l'opinion trop large, il faut dire que le R. P. Godts et après lui dom Maréchaux, Du nombre des élus, Paris, 1901, ont exagéré, en refu- sant à leurs adversaires le droit d'opiner en faveur du plus grand nombre d'élus. On peut conclure avec le R. P. Jean-Baptiste du Petil-Bornand, dans les Études franciscaines, avril 1906 : « La question reste ouverte, et tout le monde reconnaît qu'on peut la discuter, parce que ni l'Ecriture, ni la tradition ne sont suffi- samment explicites et que l'Église ne s'est point pro- noncée. »

Et cependant c'est à l'Écriture sainte et à la tradition que s'adressent les partisans du petit nombre des élus, pour prouver leur thèse. C'est donc sur ce terrain qu'il convient de suivre les adversaires pour entendre leurs raisons de part et d'autre et les juger.

III. LA QUESTION DU NOMBRE DES ÉLUS DANS L'ÉCRITUHE

sainte. — Le P. Godts, op. cit., a rassemblé les preuves que les partisans du petit nombre ont coutume d'appor- ter. Le P. Caslelein, S. J., Le rigorisme, la nombre des élus et la doctrine du salut, Paris, Bruxelles, 1899, a fait le même travail pour la thèse opposée. Comme ces deux auteurs ont épuisé à peu près la matière, c'est à eux qu'il faut recourir pour avoir le développement complet de la discussion.

1° Textes allégués en faveur du pet il nombre des élus.

— 1. Textes de Luc, xm, >3, 24, cl de Matlli., vu, 13. — Un jour, quelqu'un s'approche de Notre-Seigneur et lui demande : Domine, si pauci sunl gui salvantur? 7p.se aulem dixil ad illos : Contendile intrare per anguslam portant ; quia UVLTI, dico vobis, quasrent intrarc et non poterunl. A cause de la similitude de pensée et d'expression, on rapproche cet autre texte de saint Matthieu : Intrate per anguslam portam : quia lala porta et spatiosa via est, quœ ducit ad per- ditionem; et MVLTl sunt qui intrant per cam. Quam angusla porta et viaest quse ducit ad vilam! et PAVi l sunt qui inveniunleam, vu, 13, 14.

Ces textes prouvent-ils péremptoirement le nombre des élus? On s'appuie sur l'autorité des Pères pour affir- mer que tel est bien leur sens, et, de fait, nombreuses sont les autorités qu'on peut invoquer. Cf. col. 2364 sq- Nous verrons plus loin quelle portée il faut attribuer à l'interprétation des Pères en faveur de la thèse du petit nombre des élus. Sur le sens obvie du texte pris en lui-même, voici la réponse des partisans de la thèse opposée : « Ce passage serait bien alarmant s'il avait un sens absolu et» une portée universelle. Mais le con- texte prouve clairement qu'il se restreint à l'entrée des Juifs contemporains de Notre-Seigneur dans le royaume du Messie. On ne peut soutenir que cette image de voie étroite, qui n'est découverte que par un petit nombre, s'applique à l'Eglise catholique et aux fidèles. Jésus-Christ peint ici l'état malheureux du peuple juif, auquel il prêchait son Evangile. Cet état était un état de décadence. Les docteurs de la loi, avec leur formalisme vain et leurs vices invétérés, menaient la foule à la perdition. Ils prétendaient que leur seul litre de fils d'Abraham leur assurerait l'entrée dans le royaume éternel du Messie et qu'ils y seraient conduits par la voie et la porte lari;e, la voie et la porte par ou peuvent passer tous les vices. » Caslelein, op. cit., p. 3i. Le P. Castelein n'est pas le premier à donner à ces passages de l'Évangile une signification différente de celle qu'on leur attribue communément; dès 1695, Sleyaert, docteur de Louvain, défendait la thèse sui- vante : Angusta porta, de qua Mattli., vu, l'I, est porta religionis c/iristianœ, etiam quatenus avulgo ftdelium (ne ad nescio quos rigores reslriclio fial)qbser- valur. On peut encore citer M'J>de Pressy, Inst. past. sur l'éternité des peines de l'enfer, c. Il, diflf. vu, dans Migne, Œuvres, t. i, col. 628; Rogacci, S. J., L'art de traiter avec Dieu, tr 'ad. franc, de YUnum necessarium, Clermont-Ferrand, 1841, p. 178; Bergier, Traité de la religion, b>c. cit.; Tesoridi confidenza in Dio, part. II, c. vu, difl. ix ; c. vin, dilf. i, etc.

En somme, le multi et le pauci de ces deux passages de l'Évangile ne regarderaient que les Juifs contempo- rains; l'idée morale représentée par les deux voies, la difficulté du chemin du ciel, la largeur et la facilité du chemin de la perdition regardent les fidèles de tous les temps. Cf. Knabenbauer, Evangelium sec. Matthteum, t. il, p. 178, 247. Ceux-ci marcheront-ils sur les traces des Juifs contemporains de Jésus? C'est le mystère de Dieu. Dans Luc, Notre-Seigneur ne répond pas direc- tement à la question qui lui est posée, il nous recom- mande seulement avec instance de faire effort, de lutter (dyôviÇeffÔe) pour entrer par la porte étroite. Saint, Cyrille d'Alexandrie, cité par saint Thomas, Catena aurea, fait bien remarquer le sens de la réponse du Christ; le sens de l'interrogation n'est pas douteux, car la question du nombre des élus était à l'ordre du jour dans les subtiles discussions des rabbins. On en trouve des échos au IV« livre d'Esdras, vin, 1; ix, 1."), 16. Mais Notre-Seigneur, dans sa réponse, laisse de côté le point de vue inutile de la question : « Peu ou beau- coup, que vous importe! » et il donne la leçon utile : « Efforcez-vous seulement d'entrer par la porte étroite. » Le terme nvdii qui suit n'a d'ailleurs aucun corrélatif.