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ÉLIPAND DE TOLÈDE

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Fidelis), irascible et ne supportant pas la contradiction, ainsi que l’attestent ses lettres rédigées dans un style dur et pleines d’emportements et d’invectives, tout porte à croire que ce nonagénaire têtu s’obstina jusqu’au bout dans ses idées, comme cet autre nonagénaire espagnol, qui lui ressemble, Benoît XIII ou Pierre de Luna, resté intraitable et se disant le vrai pape, même après le concile de Constance, même quand il n’eut conservé qu’une poignée de fidèles. Au surplus, Éiipand ne fut pas inquiété' pour ses doctrines. La répression de l’hérésie était alors bénigne, et il n’y avait guère que le pouvoir séculier pour en prendre l’initiative. Félix d’Urgel était un sujet du royaume franc, depuis la conquête de la Marche d’Espagne ; de par la volonté de Charlemagne, il dut comparaître devant les conciles et le pape et rétracter ses erreurs. Éiipand, archevêque de Tolède, alors sous la domination des Maures, ne relevait pas de Charlemagne ; il dogmatisa en toute liberté. Cf. Th. de Cauzons, Histoire de l’inquisition en France, t. i. Les origines de l’inquisition, Paris, 1909, p. 216.

II. Doctrines.

Baronius, Annal, ecclesiast., an. 783, n. 9, assimile l’erreur d'Élipand à l’impiété musulmane, et d’autres historiens l’ont considérée comme le résultat de la cohabitation des inahométans et des Espagnols ; ce rapprochement n’est pas valable, car les adoptianistes ont maintenu tous les dogmes rejetés par l’islamisme, notamment la divinité de Jésus-Christ. Il n’est pas juste non plus de rattacher l’adoptianisme à l’hérésie de Bonose, comme l’a fait, après plusieurs autres, H. Favier, Essai historique sur Leidrad, Lyon, 1898, p. 38 ; Bonose avait attribué l’adoption non pas à l’humanité, mais à la nature divine du Fils : aussi Eiipand anathématisa-t-il Bonose, qu’il déclara condamnable au même titre que Beatus de Liebana. Cf. ses lettres à Fidelis, P. L., t. xcvi, col. 919, et aux évêques de la Gaule, P. L., t. ci, col. 1330. Il n’y a pas à parler davantage d’une influence directe de l’arianisme ; l’adoptianisme n’hésita jamais à retenir et à défendre la divinité du Christ. En revanche, quoi qu’il en soit de la question assez obscure de l’introduction en Espagne d'écrits nestoriens (Théodore de Mopsueste), cf. Ilefele, Conciliengeschichte, t. iii, p. 651-657 ; trad. Leclercq, t. iii, p. 1016-1019 ; Ad. Ilarnack, Lehrbuch âer Dogmengeschichte, 3°' édit., Fribourg-en-Brisgau, 1897, t. iii, p. 260-261, il est certain que l’adoptianisme s’apparente au nestorianisme. Éiipand n’en eut sans doute pas conscience ; il se garda de formuler un néo-nestorianisme en termes exprès et il affirma formellement l’unité de personne dans le Christ, ce qui explique que des théologiens, par exemple Vasquez, In III"" parlent D. Thotvæ, q. xxiii, disp. LXXXIX, c. iivi et des écrivains ecclésiastiques aient voulu le défendre sur ce point. Mais les contemporains ne s’y trompèrent pas ; ils virent, à bon droit, dans l’adoptianisme une forme du nestorianisme. Voir t. i, col. 411-412 ; cf., I.-F. Madrisi, P. L., t. xcix, col.515-568 ; J.-B. Enhneber, P.L., t. ci, col. 337-458 ; Suarez, lnlll*™, q.xxiii, disp.XLIX, sect. iii, n. 8-10 ; , 1. Bach, Die Dogmengeschic/i te des Miltelalters, Vienne, 1874, t. i, p. 116 ; Al. Stentrup, De Verbo incarnato, i, Christologia, Inspruck, 1882, t. ii p. 677-693.

Comment le vieil archevêque de Tolède fut-il amené à l’adoptianisme ? Nous avons vu que ce fut à l’occasion des hérésies de Migetius. Mais d’où vient que, voulant réagir contre le sabellianisme de Migetius, Eiipand émit la doctrine adoptianiste ? Il semble que, selon la remarque d’A. Borner, Grundriss der Dogmengescliichte, Berlin, 1899, p. 282, note, nous avons ici un exemple de l’inlluence de la liturgie sur la formation des conceptions théologiques. Éiipand se réclama de l’autorité des Pères dans la défense de ses idées, mais sans appuyerbeaucoupet sans réussir à trouver quelque chose de décisif. Cf. J. Turmel, Histoire de la théolo DICT. DE THÉOL. CATHOL.

gie positive depuis l’origine jusqu’au concilede Trente, Paris, 1904, p. 38i-386. Manifestement il avait été frappé davantage par quelques textes de la liturgie mozarabe, dans lesquels il est parlé de Vadoplio. Cf. ses lettres à Alcuin, P. L., t. xqvi, col. 874-875, et aux évêques de la Gaule, 7'. L., t. ci, col. 1324. Ces textes, qui revenaient périodiquement au cours de l’année liturgique, c'étaient les formules de la prière officielle, et c'était encore, pour lui, le langage de ses saints prédécesseurs sur le siège de Tolède, Eugène, Ildefonse et Julien. Cf. P. L., t. ci, col. 1324. On comprend qu’ils l’aient impressionné et que, prenant à la lettre les mots adoptio, adoptivus, il soit parti de là pour imaginer sa distinction entre la filiation naturelle ou proprement dite du Christ en tant que Dieu et sa filiation adoptive en tant qu’homme. Voir la discussion de ces passages dans Alcuin, Adversus Elipandum, 1. II, c. iiv P. L., t. ci, col. 261-205, et, plus complètement, dans Ilefele, Conciliengeschic/ile, t. iii, p. 650-052 ; trad. Leclercq, t. iii, p. 1012-101 i.

Assez communément on expose les doctrines adoptianistes sans faire de différence entre leurs deux coryphées, Éiipand et Félix. Il apparaît cependant que, s’ils aboutissent l’un et l’autre au nestorianisme, Félix y va avec plus de décision. Eiipand répète qu’il y a dans le Christ une seule et même personne du Dieu et de l’homme, du Verbe et de la chair. Cf. le Symbolum (idei elipandianse, P. L., t. xevi, col. 917 ; la lettre à Alcuin, P. L., t. xevi, col. 876-879 ; la lettre aux évêques de la Gaule, P. L., t. ci, col. 1326-1327. Seulement ce qu’il vient de proclamer il le retire à l’instant même, car il ajoute, P. L., t. cxvi, col. 917 : Quidicit : Gloriam meam alleri non dabo, komo inter nos in unæailemque Dei et hominispersona aggloméra tus atijue camis veslimento indutus. ijuia non per il’tuni qui nalus est de Virgine visibilia condidit, sed per illum qui non est adoplione sad génère [generaUone], neque gralia sed natura. Cf. P. L., t. xevi, col. 880 ; t. ci, col. 1327. Dans le Christ, dont il affirme l’unité de personne, il distingue donc relui par qui Dieu a créé les choses visibles, qui est fils par la génération, par la nature, et celui qui est né de la Vierge, qui est fils par grâce et par adoption ; c’est dire qu’en lui il y a deux personnes. Éiipand poursuit, P. L., t. xevi, col. 917 : Et per istum Dei simul et hominis filium, adopticum humanilate, et ncquaquam adoptivutn divinitate, mundum redemi t… Si conformes sunt omnes sancti Ituic /ilio Dei secundum gratiam profeclo et cum adoplico adoplivi, et cuni Christo christi, et cum parvulo parvuli, et cum servo servi… Xon nego liominem Cltristum esse adoptirum. Xous sommes en plein dualisme. Ce dualisme Félix l’accentue. Par sa filiation naturelle, la seule véritable, enseigne-t-il, le Christ est vraiment Dieu ; par la filiation adoptive, il est un homme ordinaire, qui a le nom mais seulement le nom de Dieu, comme tout homme en état de grâce ; en lui l’homme vrai, ordinaire, est un accedensvu Fils de Dieu véritable et naturel ; connue un homme ordinaire, le Christ, dans son humanité, a reçu la naissance charnelle à son entrée dans la vie et la naissance spirituelle, quæ per adoplioncm fit, à son baptême ; dire que l’IIomme-Oieu concret est vraiment Fils de Dieu, c’est tomber dans le monophysisme ; le Christ, en tant qu’homme, a deux pères, un père véritable qui est David, un père adoptif qui est Dieu. Voir les textes dans J. Bach, Die Dogmengeschiclite des Miltelalters, t. i, p. 110-113. Bref, Félix ne dit pas ipsis terminis qu’il y a deux personnes en Jésus-Christ, mais il le professe équivalemment ; il réitère les allirmations les plus hardies qui nous présentent dans le Christ, d’une part, le Fils véritable de Dieu, et, d’autre part, un homme ordinaire, pareil à nous, et font de sa nature humaine « non seulement une nature adoptée,

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