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ELECTION DES PAPES


l’Église. Trois mois après son intronisation (13 avril 1059), dans un concile tenu au Latran, et auquel assistèrent cent treize évêques d’Italie, avec beaucoup d’abbés, de prêtres et de clercs de tout ordre, il promulgua la bulle In nomine Domini. Elle modifiait la législation des élections pontificales, d’après le plan conçu par Hildebrand qui en fut l’inspirateur. Cf. Philips, Kirchenrecht, t. v, p. 892 ; Hefele, Conciliengeschichte, t. iv, p. 806 ; Ilinschius, System des katlt. Kirchenrechts, l. I, p. 248. Le pape rappelait le schisme récent de Benoit X, les violences et les désordres qui l’avaient accompagné. Pour prévenir le retour de pareils scandales, il déclarait que l’éleclion du souverain pontife appartiendrait désormais aux cardinaux-évêques. Ouant aux autres membres du clergé, on pourrait, conformément aux traditions anciennes, leur demander d’adhérer à l’élection qui serait ainsi faite ; mais ce ne serait là qu’une formalité accessoire : le rôle prépondérant reviendrait aux cardinaux, et les au Ires n’auraient qu’à suivre. Ideo religiosissimi viri (cardinales) prseduces sint in promovendi pontificis eleclione ; reliqui autem sequaces. Cf. Gratien, Decretum, part. I, dist. XXIII, c. I, t. i, p. 71 ; Labbe, Sacrusancta concilia, t. ix, col. 1103-1104 ; Lunig, Cod. diplom. liai.. t. iv, p. 4 ; Cseremoniale continens ritus electionis romani pontificis, Gregorii papæ XV jussu edilum, t.i, p.2sq. ; Philips, Kirchenrecht, t. v, p. 792 ; Ilinschius, System des katlt. Kirchenrechls, Berlin, 1869, 1. 1, p. 248 ; Pertz, Monumenta Germanise hislorica, 1. II, part. II, p. 177.

Cette prépondérance accordée aux cardinaux mettait les élections futures à l’abri des tumultes populaires et des violences des laïques puissants. Dans une lettre au successeur de Nicolas II, saint Pierre Damien, faisant le commentaire de cette constitution, disait : Episcoporum cardinalium fieri debere principale JUD1CIUM ; secundo loco, jure prsebeat clerus assensum ; tertio, popularis favor allollat APPLAUSUM, 1. 1, epist. xx, P. L., t. cxliv, col. 243. Ce texle montre bien que l’élection est le fait des cardinaux : ce sont eux qui jugent et décident, principale judicium. Ensuite, pour ne pas rompre trop ouvertement avec les traditions vénérables de l’antiquité, le clergé est invité à donner son adhésion, ou assentiment, assensum, et le peuple à applaudir à l’élection déjà consommée, attollat applausum. Ce n’est donc guère que pour la forme que l’on convie le clergé etle peuple. Refuseraient-ils leuradhésion ou leurs applaudissements, l’élection n’en serait pas moins valide.

Cette différence ou inégalité apparaît plus clairement encore dans la suite de la bulle. Si, à cause des troubles que des hommes pervers susciteraient à Rome, l’élection ne pouvait s’y accomplir librement, les cardinauxévêques étaient autorisés à se réunir, pour y procéder, dans tout autre lieu qu’ils jugeraient convenable, quelque petit que fût le nombre des clercs et des laïques pieux qui les y accompagyieraienl. C’est donc bien aux cardinaux qu’est dévolue l’élection : le rôle du clergé et du peuple est de plus en plus effacé. Il est bien spécifié ensuite que c’est cette élection qui constitue le pape, et non la consécration ou l’intronisation, comme beaucoup se l’étaient imaginé auparavant. S’il arrivait donc que celle-ci fût empêchée par les émeutes populaires, ou par les machinations coupables de la puissance séculière, l’élu n’en serait pas moins vrai pape : eleclus tamen sicut verus papa obtinet auctoritatem regendi liomanam Ecclesiam, et disponendi omnes facilitâtes illius.

Après avoir écarté du corps électoral le peuple et le clergé de second ordre, il fallait aussi écarter l’empereur lui-même. C’était le plus difficile, car il importait de ne point provoquer le ressentiment des Césars allemands, habitués à intervenir d’une façon si abusive

dans l’élection des pontifes. Cette grosse difficulté fut résolue par la phrase suivante, où tous les mots sont pesés à leur juste valeur, et savamment combinés : Salvato debito honore, et reverentia dilecti filii nostri Henrici, qui in prwsentiarum rex liabetur, et futurus imperator, Deo concedente, speratur ; et jam sibi concessimus, sicut successoribus illius qui ab hac aj>ostolica sede personalilcr hoc jus impetraverint. Le roi. ou l’empereur, ou leurs successeurs ne pourront donc intervenir dans l’élection qu’en vertu d’un privilège personnel librement accordé par le Saint-Siège, et non en vertu d’un droit de leur couronne. Ce privilège ne sera pas héréditaire, mais il n’appartiendra à leurs successeurs que s’il est renouvelé à chaque changement de titulaire.

C’est là un premier coup porté aux prétentions tudesques. Ce n’est pas le seul, car le privilège, même quand il existe, est renfermé dans de telles limites que pratiquement il se réduit à peu de chose. Ce n’est plus, en effet, la confirmation de l’élection : les termes qui pourraient le faire supposer ont été soigneusement écartés ; c’est une concession purement honorifique : honore et reverentia, comme elle a été accordée au roi Henri, qui n’avait alors que huit ans. L’élection lui sera notifiée directement pour qu’il y adhéra ; mais, pas plus que le peuple, il n’a le droit de s’y opposer, puisque, en cas de retard, violences ou ruses pour empêcher la prise de possession, l’élu n’en demeure pas moins vrai pape : electus, sicut verus papa, obtinet auctoritatem.

Que ce soit bien là le sens de la bulle, cela ressort de la lettre citée plus haut de saint Pierre Damien qui fut, avec Hildebrand, le collaborateur de Nicolas II dans la rédaction de ce document si important : reg’ue celsitudinis cONSOtATDR auctoritas. S’il s’agissait d’un droit strict de confirmation ou de veto, le mot consulatur aurait été remplacé par un autre plus catégorique. Le même auteur fait bien remarquer ensuite que ce simple recours honorifique à la majesté royale doit être omis, si le retard qui en résulte présente un danger, nisi pericuhim fortassis immineat, quod rem quantociua accelerare compcllat. S. Pierre Damien, loc. cit. Il n’y a donc là aucun droit inhérent à la couronne de Germanie, cf. Scheffer-Roichorst, Neuordnung der l’apstwahl unter Nicolas II, in-12, Strasbourg, 1879 ; ni à la couronne impériale, Martens, Besetzung des piiptsl. Stuhles unter Ileinrich III und IV, 1885 ; ni à la dignité de patrice. Fetzer, Voruntersuchungen zur Geschichte Alexanders II. in-8°, Strasbourg, bS87.

D’ailleurs, à cette époque, Henri IV n’était pas encore empereur. Celait un enfant de huit ans. Son père, en mourant, lui avait bien légué la couronne de Germanie, mais non la couronne impériale qui n’était pas héréditaire, car le pape se réservait le droit de la donner au prince chrétien qu’il choisissait pour protecteur de l’Église. C’est ce que Nicolas II laisse bien entrevoir, quand il dit que le jeune Henri est roi, et qu’on espère qu’il sera, un jour, empereur, futurus imperator, Deo concedente, speratur. Roi de Germanie par sa naissance, il ne sera empereur que lorsque le pape l’aura couronné. Le pape espère qu’il pourra, un jour, lui accorder cette dignité, futurus imperator speratur ; mais la chose n’est pas faite encore. Pour obtenir cette faveur, le jeune prince devra la mériter.

Telle est cette mémorable constitution de Nicolas IL Hildebrand en fut le principal inspirateur, et la fit observer dans les élections suivantes. La nouvelle législation garantissait l’indépendance de l’Église ; aussi fut-elle loin de plaire à la cour de Germanie, qui voyait réduit ostensiblement à l’état de privilège personnel, révocable et purement honorifique, ce qu’elle avait cru un droit réel, sans limite, et inaliénable de ses souverains. Comme le doute n’était pas possible sur le sens de la bulle, on se fâcha en haut lieu. Le conseil de