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ÉLECTION DES PAPES


apparaissait de plus en plus comme un danger, depuis qu’il avait été vicié par l’immixtion de la politique au sein de l’assemblée délibérante. C’est de là que provenaient l’avilissement de la papauté et l’affaiblissement de son action salutaire dans le monde, à cette période de transition qui suivit la dislocation du grand empire de Cbarlemagne. Les hordes barbares, qui si souvent avaient envahi l’Europe, s’y étaient établies. Si, au contact des peuples policés qu’elles y trouvèrent, elles avaient perdu quelque chose de leur rudesse, elles n’avaient pas subi complètement encore l’influence de la civilisation. Leur instinct sauvage avait parfois, et trop souvent, de terribles réveils. Avant que de la fusion de tant d’éléments hétérogènes sortissent les nations modernes, il fallait encore des siècles de conllits inévitables. Voilà pourquoi les conditions de la société ayant si profondément changé, il convenait de modifier profondément aussi le système ancien des élections papales. Pour cela, il fallait un homme de génie qui se mit au-dessus des préjugés de son époque, et eût assez de force d’âme pour ne pas craindre de heurter de front les passions indomptées de ses contemporains. Le danger pour l’Eglise était grand. Il allait devenir plus pressant encore. L’empereur Henri 111 qui se trouvait investi du droit exorbitant de choisir le pontife romain, était sur le point de remettre son sceptre aux mains de son indigne fils Henri IV, qui, pendant un règne d’un demi-siècle, personnifiant toutes les usurpations d’un despotisme sans conscience, tenterait constamment d’asservir l’hglise, en usant contre elle de ce privilège que ses prédécesseurs avaient reçu uniquement pour garantir sa liberté. Hildebrand devait faire accepter, malgré les prétentions du césarisme allemand et les ambitions féodales, que les élections pontificales ne fussent plus l’œuvre du suffrage universel, mais du suffrage restreint d’un corps électoral qui serait purement ecclésiastique, et dont l’élément laïque serait à jamais banni.

Après la mort terrifiante de Damase II, aucun des évêques allemands auxquels Henri III en fit la proposition n’accepta de venir à Rome ceindre la tiare. Vers les derniers jours de l’année 1048, l’empereur, dans la diète de VVorms, désigna son cousin, Bruno, évéque de ïoul. Celui-ci refusa longtemps d’acquiescer au désir du prince, par un sentiment de réelle humilité. A la fin, vaincu par les instances réitérées des évêques et des députés romains qui étaient venus demander à Henri III de leur choisir un pontife, il accepta d’aller à Home, mais en affirmant qu’il ne se considérerait comme pape qu’après une élection canonique, faite hien librement et spontanément par le clergé et le peuple romain. En passant par Cluny, il prit Hildebrand, et tous deux entrèrent dans la ville éternelle en habits de pèlerins. Rruno y était déjà connu. Par un consentement unanime, le clergé et le peuple lui donnèrent leur sull’rage. Ainsi fut élu souverain pontife, saint Léon IX (1019-1051). Il retint près de lui un autre saint pour en faire son premier ministre et son conseiller intime, le sous-diacre Hildebrand, le futur Grégoire VII. Cf. Codex regius, fol. 126 ; Wibert, archidiacre de Toul, Vita S. Leonis IX, l. II, c. ii P. L., t. cxi.n, col. 487 sq. ; Ronizo de Sutri, Ad amicum, l. V, P. L., t. ci., col. 821 ; Bruno de Segni, Vita S. Leonis IX, dans Watterich, t. i, p. 96 sq.

Quand saint Léon IX mourut, le clergé aurait désiré Hildebrand pour pape. Celui-ci refusa avec instances, mais fut chargé’d’aller en Allemagne à la tête d’une députation du clergé romain, pour s’entendre avec l’empereur sur le choix du nouveau pontife. Il se proposait d’agir sur l’esprit du prince, pour l’amener, par la persuasion, à renoncer de lui-même au prétendu droit qu’il croyait avoir de présider les élections pontificales, et d’y jouer le rôle prépondérant. Hildebrand

apporta tant de sagesse dans cette difficile négociation qu’il réussit au delà de toute espérance. H obtint que l’empereur se désisterait, et laisserait aux députés romains le soin de choisir le pontife. Hildebrand eût dès lors été élu, s’il y eût consenti, mais il ne voulait pas laisser croire aux hommes d’Etat de l’empire qu’il avait travaillé pour lui-même. Donnant aux évêques de cour une preuve éclatante de son désintéressement, il déclara à la diète de Mayence (septembre 1054), que les députés romains choisissaient pour pape Gébéhard, évéque d’Eichstosedt, archichancelier de l’empire. En désignant ainsi un prélat plein de mérites, mais dont la jeunesse promettait une longue vie, Hildebrand se fermait à lui-même la voie qui aurait pu le conduire à l’honneur du pontificat suprême. Gébéhard devint donc Victor II. Il était digne de porter la tiare ; mais il fut bientôt ravi à l’amour des Romains (1055-1057). Cf. Bonizo, Ad amicum, 1. VI, P. L., I. ci., col. 825 ; Giesebrecht, Geschichte der Kaiser, t. ii p. 469 ; anonyme Haserensis, Lib. de ejiiscop. Eiclistetensibus, dans Watterich, t. I, p. 179.

La mort imprévue de Victor II arriva un an après celle de l’empereur Henri III. Le successeur du monarque défunt, et qui devait, dans la suite, faire tant de mal à l’Église, Henri IV, n’était encore qu’un enfant de cinq ans. L’élection pontificale se fit donc à Rome sans aucune difficulté. Frédéric, des ducs de Lorraine, alors abbé du Mont-Cassin, devint pape, sous le nom d’Etienne X ; mais il mourut sept mois après (22 mars 1058). Avant d’expirer, il défendit, sous peine d’anaIhème, au clergé et au peuple romain, de procéder à l’élection pontificale, avant le retour du cardinal Hildebrand, qu’il avait envoyé en Allemagne pour aider le conseil de régence à surmonter les difficultés auxquelles donnait lieu la minorité du jeune Henri IV, que son père, en mourant, avait confié à la sollicitude du SaintSiège. Cf. Codex regius, fol. 126, verso ; S. Pierre Damien, 1. III, epist. iv, P. L., t. cxliv, col. 290 ; Léon d’Ostie, Chronicon Cassin., 1. II, c. xcviii. P. L., t. clxxiii, col. 706 ; Bonizo, Ad amicum, I. VI, P. L., t. cl, col. 826 ; Archives du Vatican, dans Watterich, t. I, p. 201.

Cette recommandation du pontife expirant montrait combien grand était le crédit dont Hildebrand avait joui auprès d’Etienne X, comme auprès de Victor II et de saint Léon IX. Elle était justifiée, en outre, par les manœuvres ambitieuses des comtes de Tusculum, qui, depuis la mort de l’empereur Henri III, relevaient la tête et se proposaient d’accaparer encore la papauté à leur profit. En effet, à peine Etienne X avait-il fermé les yeux, que Grégoire de Tusculum, fils d’Albéric, à l’aide d’une troupe armée, s’empara du Latran, et installa de vive force, sur le trône apostolique, son cousin Jean, évéque de Velletri, qui prit le nom de Benoît X. Contre cette intrusion tous les cardinaux protestèrent avec saint Pierre Damien, évéque d’Ostie, auquel seul appartenait le droit d’introniser le nouveau pontifp. Cf. Bonizo, Ad amicum, 1. VI, P. L., t. cl, col. 826 ; Léon d’Ostie, Chronicon Cassin., P. L., t. clxxiii, col. 706, 826.

A son retour d’Allemagne, Hildebrand, en vertu du pouvoir que lui avait conféré Etienne X, convoqua à Sienne les cardinaux et les membres influents du clergé romain. Dans ce synode présidé par lui, il fit acclamer le nom du Bourguignon Gérard, archevêque de Florence, dont l’élection fut ratifiée à Rome et qui s’appela Nicolas II (1059-1061). Devant cette unanimité de suffrages, Renoit X prit la fuite et disparut. Cf. Léon d’Ostie, Clironic. Cassin., 1. III, c. xiv ; Bonizo, loc. cil., P. L., t. clxxiii, col. 724, 826 ; Codex Archiv. Vatican., dans Watterich, t. I, p. 208 sq.

Le pontificat de Nicolas II ne dura que deux ans ; mais, malgré sa brièveté, il fut l’un des plus utiles à