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ELECTION DES PAPES


/L INTERVENTION DES EMPEREURS D’ORIENT (536-741). — 1° Vempereur Jitstinien (536). — Mais la cour de Byzanceful extrêmementfroissée de cette prépondérance que îles rois barbares installés en Italie s’attribuaient dans l’élection des pontifes de Home. Elle y vit un péril pour son prestige, et résolut de prendre une (’datante revanche, en faisant prévaloir l’élection de Vigile contre celle de saint Silvère. Les empereurs d’Orient n’avaient pas renoncé’à ramener l’Italie sous leur domination. L’empereur Justinien venait d’arracher l’Afrique aux Vandales, et il espérait chasser de l’Italie les Goths, défaits déjà plusieurs fois par son général Bélisaire.

Vigile était alors à Constantinople, y remplissant les fonctions d’apocrisiaire. L’impératrice Théodora, la comédienne couronnée, très attachée à l’hérésie d’Eutychès, pensa avoir trouvé dans Vigile l’homme dont elle avait besoin pour assurer, en même temps, le triomphe de la politique impériale et la victoire de l’hérésie. Elle lui remit sept cents livres d’or, ei l’envoya à Bélisaire avec l’ordre secret de se saisir de saint Silvère, de l’écarter, et de faire élire Vigile à sa place. En retour, elle avait exigé de celui-ci la promesse de rejeter le concile de Chalcédoine, et de rétablir sur le siège de Constantinople le patriarche eutychien Anllii’mos, déposé autrefois par le pape saint Agapit. Si Vigile eut la faiblesse d’accepter ce sacrilège marché, il s’en repentit certainement dans la suite, et l’expia cruellement, quand, devenu pape et gardien fidèle de l’orthodoxie, il eut à subir les mauvais traitements auxquels l’empereur Justinien le condamna. Sa conduite parut cependant très répréhensible, puisqu’il se prêta complaisamment à la réalisation de l’horrible tragédie voulue par Théodora. En exécution des ordres de sa souveraine, Délisaire, en ellet, accusa saint Silvère de complicité avec les ennemis de l’empire. Il se saisit donc de lui, l’envoya en exil dans l’île Pontia, et commanda à l’assemblée du clergé et du peuple d’élire Vigile. Cette élection schismatique eut lieu le 29 mars 537. Vigile s’assit en intrus sur la chaire de saint Pierre, tandis que le pape légitime languissait en exil, où il mourut de misère, l’année suivante quin 538). Nous avons encore la terrible lettre que, avant de mourir, le martyr écrivit à Vigile, pour lui reprocher son crime, le déposer et l’excommunier, llabelo ergo cum liis qui tibi consentiunt pœnse damnationis perpétua’sententiam, sublatumque tibi nomen et munus ministerii sacerdotalis agnosce, Sancli Spiritus judicio et apostolica anobis auctorilate damnatus. Epist., i, ad Vigilium pseudopapam, P. L., t. lxvi, col. 85 sq.j Duchesne, Liber pontificalis, t. i, p.’293, 295.

A la mort de saint Silvère, cependant, Vigile fut reconnu pape par la majorité du clergé, et son élection devint canonique. Mais il est à remarquer que ce choix fut imposé au clergé romain, au nom de l’empereur d’Orient, par Bélisaire, vainqueur des Goths, comme par ceux-ci avail été’imposé, quelques années avant, le choix de saint Silvère. On peut juger par là ce qu’était, à cette époque, la liberté des électeurs, alternativement soumis à la pression de l’Orient et de l’Occident. Vigile fut meilleur pape qu’on n’aurait pu l’espérer après de tels débuts. Si Vigile avait souscrit des engagements, il refusa avec indignation de condamner un concile œcuménique, et de replacer sur son siège le patriarche eutychien ; mais, au contraire, il lama l’anathème contre Anlhiinos impénitent. Cf. Epist., iv, ad Justinianum imperatorem ; Epist., v, ad Mennam cpiscopum, P. L., t. i.xix, col. 21-20 ; Baronius, Annal, ecclesiast., an. 547, t. iiv p. 363 ; Duchesne, Liber pontificalis, t. i, p. 296 sq. ; Grisai-, Histoire de Ilonir et des papes au moyen âge, 1. U.c. v, § I, n.322 ; § 3, n. 327-331 ; I. III, c. n’i, t. ii p. 50, 58-03. 132-138.

2° Le placet impérial. Longueur regrettable des vacances du saint-siège. — L’ambition de Vigile

fut néanmoins la cause de cette désastreuse tutelle que les empereurs d’Orient, et, après eux, ceux d’Allemagne, voulurent imposera la papauté. Elle dura cinq siècles, et il ne fallut, pour la réduire à néant, rien moins que l’indomptable énergie de saint Grégoire VII.

Les empereurs d’Orient ayant, en ellet, détruit la domination des Goths, en Italie, par la défaite de Totila (552), prétendirent avoir les droits que les rois barbares s’étaient injustement arrogés. Ils exigèrent, dès lors, que l’élection des pontifes romains fût soumise à leur approbation, et ne fût définitive qu’après le placet impérial. De là, vu la distance de la cour de Byzance et les intrigues de palais, découlèrent une foule d’inconvénients, et entre autres, pour la chaire pontilicale, des vacances d’une longueur inouïe jusque-là. Cf. Baronius, Annales eccl., an. 526, n. 24 ; n. 007, n. 1, t. iiv p. 110 ; t. iivi p. 202 ; Pagi, Critica /iistorico-t heolog ica in universos Annales ecclesiasticos Em. et Rev. Cœsaris Card. Baronii, an. 526, n. 8, t. ii p. 530. Auparavant, à inoins de rares exceptions, les vacances du siège n’avaient pas dépassé une ou deux semaines. Mais, dès lors, elles durèrent, d’ordinaire, plusieurs mois. Il en fut ainsi pendant la dernière moitié du VIe siècle, et pendant presque tout le vii e. Après la mort de Vigile, il fallut plus de trois mois, avant l’élection de son successeur, saint Pelage I er. Après celui-ci, la vacance fut de quatre mois ; puis, à la mort de son successeur Jean III 57’t), elle alla jusqu’au delà de dix mois. Ce fut bien pire encore à la mort du pape Honorius I er (038). Le siège resta vacant plus de dix-neuf mois, ainsi qu’à la mort de saint Agathon (081), où la vacance dura dix-neuf mois et quinze jours. Cf. Duchesne, Bibliothèque de l’École des chartes, 1891.

Ces longues vacances avaient plusieurs causes. D’abord, vu les distances et l’imperfection des communications à cette époque, il fallait beaucoup de temps aux envoyés du pape élu pour arriver à Constantinople, et en revenir avec la réponse favorable de l’empereur. Ensuite, à Constantinople même, surgissaient sans cesse de nouvelles sources de conflits, et, par suite, de retards. C’étaient des intrigues de palais, des manœuvres politiques, des lenteurs interminables, suscitées par les exigences d’une bureaucratie pointilleuse, et par les formalités infinies d’une procédure savante et compliquée. Avant que la chancellerie byzantine se fût déclarée satisfaite, et que le document, preuve légale de la confirmation impériale, eût été rapporté à Rome et dûment notifié, l’élu ne pouvait recevoir la consécration épiscopale, ni se permettre le moindre acte de juridiction. Il lui élait même interdit de prendre possession de son siège. L’administration intérimaire restait, pendant tout ce temps-là, aux mains des trois p ! us hauts dignitaires de l’Église de Home : l’archiprêtre, l’archidiacre et le primicier des notaires. Cf. Liber diurnus ronianorum pontificum, c. ii, De ordinalione summi pontificis, P. /, ., i. cv, col. 27-30 ; t. < : xxvin, col. 621 ; Mabillon, Ordo romanus, Commentar. prævius, c. xvii, De varia creatione romani pontificis, P. L., t. i.xxviii, col. 915 ; Musseum italien »), 2 in-4°, Paris, 1724, t. il. p. 192.

C’est à ces excès de pouvoir de l’autocratie impériale que venait aboutir, par une suite naturelle, le système électoral qui avait permis autrefois aux factions populaires d’influer si fortement sur le choix des pontifes. Sous le spécieux prétexte de garantir le bon ordre, l’autorité civile avait commencé par intervenir dans les élections ; puis avait tenté d’en faire sa chose. Pour les cas où elle n’y réussirait point, elle s’était, du moins, réservé h ; droit de veto. La démocratie conduit trop souvent à l’autocratie. Les foules ont toujours besoin d’une tête, qui les mène ou qui les maîtrise. Au vi c siècle, l’autocrate fut l’empereur Justinien, qui