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ELECTION DES PAPES

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Pour les élections papales, le nombre des fidèles croissant, le témoignage des classes populaires perdit en importance ce qu’il gagnait en étendue. En vertu de l’ancien axiome : Docendus est populus, non sequendus, on prit l’habitude d’entendre, par le mot peuple, non la foule ignorante et servile, mais la partie éclairée, les notables, les personnages de distinction. Dès lors, les magistrats de la ville, les ofliciers supérieurs de l’armée, surtout les fonctionnaires impériaux, aspirèrent à jouer, dans les élections papales, un rôle prépondérant.

Ces causes perpétuelles de conllits ne devaient pas tarder à produire leurs fruits mauvais. Les factions populaires, les rivalités de partis, les intérêts politiques troublèrent bien des fois les élections des pontifes. De là naquirent, avec des scènes de désordre regrettables et des (’meutes sanglantes, les nombreux schismes qui désolèrent l’Église, furent un scandale pour les fidèles et une joie pour les païens, durant les six siècles qui suivirent le règne et les libéralités princières de Constantin le Grand.

Déjà, même à l’époque des persécutions, quand mourut le pape saint Fabien, martyrisé sous l’empereur Dèce (20 janvier 250), l’antipape Novaticn, cédant à des vues d’ambition personnelle, s’était paré d’un faux zèle pour recruter des partisans, et se faire élire en opposition au pape légitime, saint Corneille, qu’il accusait d’être trop indulgent pour ceux qui avaient faibli à l’heure de l’épreuve. Le sentiment du pressant danger que courait alors l’Église, et les menaces incessantes du tyran acharné à sa perte, n’avaient pu empêcher ni ces désordres ni cette scission. Combien plus fallait il les redouter, dans un temps où, n’ayant plus rien à craindre des ennemis du dehors, l’Église, devenue riche, voyait entrer dans ses rangs, et jusque dans le clergé, des hommes qui ne cherchaient pas avant tout le royaume de Dieu, suivant la prescription du Maître, Matth., vi, 33 ; mais qui, sous les apparences du chrétien, gardaient des habitudes païennes, et restaient extrêmement attachés aux honneurs et aux biens de la terre ? Saint Jérôme nous a conservé ce mot railleur du païen Prétextât, préfet de Rome, qui, comme beaucoup de ses contemporains, ne voyait dans les dignités ecclésiastiques que les avantages humains : Facile nie Romai/se urbis episcopum, et ero protinus christianusLiber contra Joannem Hierosolymitanum, ad Pammachium, c. iivi P. L., t. iixxi col. 361. Cf. Ammien Marcellin, 1. XXVII, c. m. Cet état des esprits fut un péril très grave pour l’Église et pour la papauté, au moment même où l’empire, romain tombait en décadence, et où accouraient de tous côtés les nations barbares pours’en disputer et s’en partager les lambeaux. Victime des ariens, le pape Libère mourut dans les catacombes, le 24 septembre 366. Six jours après, le 1 er octobre de la même année, la majorité des prêtres et des lidèles élut saint Damase pour lui succéder ; mais l’antipape Ursicinus lui fut aussitôt opposé par une faction composée de la lie du peuple et de quelques clercs dont le relâchement redoutait la sévérité du nouveau pontife. Cette populace, ameutée par quelques meneurs, envahit l’église de Saint-Laurent, où venait de s’accomplir l’élection de Damase, et s’y livra aux pires excès. Pendant plusieurs heures, ce fut une vraie bataille, et le pavé de la basilique fut inondé de sang. Les troupes du préfet de Rome durent agir vigoureusement pour rétablir l’ordre. Voilà où conduisaient l’ambition et le dérèglement de certains clercs, qui, d’après saint Jérôme, n’avaient rien d’ecclésiastique, et dont beaucoup même étaient mariés. « Ils me font rougir de honte, écrivait d’eux l’austère secrétaire de saint Damase. Leur unique souci est d’avoir des habits qui fassent ressortir l’élégance de leur taille, des souliers à la mode, des cheveux frisés au fer chaud, des bagues plein les doigts. On dirait des fiancés, plutôt que des

ministres des autels. Leur temps se passe en visites, en bavardages, en intrigues de tout genre. » Epist., xxii, ad Eustochiuni, De enstodia virginitatis, c. xxviii ; Epist., xxxviii, ad Marcellam, c. iv, v, P. L., t. xxii, col. 414, 465. On comprend que de pareilles gens, au moment de la vacance du siège pontifical, soutinssent par tous les moyens la candidature d’un ambitieux sans conscience, dont ils pouvaient espérer quelque gros bénéfice, plutôt que celle d’un sujet vertueux, dont la vigilance et la fermeté apostoliques les auraient gênés. Pendant la première année du pontificat de saint Damase, ils entretinrent l’anarchie dans la ville éternelle, s’emparant des basiliques, qu’ils transformaient en forteresses, et d’où il fallait les chasser de vive force. Un soir, après une de ces luttes sacrilèges, il n’y eut pas moins de cent cinquante cadavres, baignés dans leur sang. Ces conllits, suscités par les partisans de l’antipape, déterminèrent l’intervention énergique du préfet de Home, le païen Prétextât, celui-là même que saint Jérôme, dans ses lettres, appelle un misérable, un sacrilège et un adorateur des idoles. Liber contra Joannem Hierosohjmilauum, ad Pammachium, iicvi P. L., t. xxiii, col. 361. Cependant, sous l’influence de sainte Paule, dont la famille était alliée à la sienne, Prétextât soutint le parti de saint Damase et le fit triompher. Cf. Moroni, Dizionario di erudizione storicoecclesiaslica, v° Anlipapi, t. ii, p. 182 ; Cullombet, Histoire de saint Jérôme, ^ in-8°, Paris, 1814, t. i, p. 11, 420 sq. ; Lagrange, Histoire de sainte Paule, Paris, 1867 ; Grisar, Histoire de Rome et des papes au moyen âge, 1. I. Rome au déclin du monde antique, C. VI, s il. t. I, p. 314 sq.

V. Empiétements du poi voir civil. Rois barbares et EMPERKURS d’Orient (418-741). — Les scènes de ce genre, en se renouvelant trop souvent dans la suite, donnèrent occasion au pouvoir laïque de s’immiscer dans les élections papales. Ce fut, d’abord, sous le prétexte de maintenir la paix ; puis, peu à peu, en vertu d’un prétendu droit qu’il ne tarda pas à s’attribuer.

L INTERVENTION hK LA COUR DE RAVENNE (418-536).

— P L’empereur Honorius ( 418). — Un demi-siècle après saint Damase, à la mort du pape saint ZoLime (418), un antipape, Eulalius, disputa la tiare au pontife légitime, saint lioniface Ie’(418-422). Le préfet de Rome, le païen S mmaque, profita de cette circonstance pour s’arroger le rôle d’arbitre entre les partis, et affirma son prétendu droit, en s’inspirant des intérêts de sa politique. On s’habituait déjà à considérer l’Église élimine un instrument de règne. Avant de monter sur la chaire apostolique, saint Boniface I er avait été, pendant le pontificat de ses deux prédécesseurs immédiats, saint Innocent 1° et saint Zozime, légat à Constantinople. Il n’en fallut pas davantage a Symmaque pour le soupçonner d’être plus favorable à l’empereur d’Orient, Théodose II, qu’à l’empereur d’Occident, Honorius, dont la cour était à Ravenne. Il prit donc la résolution de soutenir les schismatiques, et installa de vive force l’antipape dans la basilique de Saint-Jeande-Latran, tandis que saint Boniface dut se contenter de la petile église de Saint-Marcel. Peu après, à la suite d’un rapport mensonger du préfet, le pontife légitime reçut de l’empereur Honorius l’ordre de sortir de Rome. Saint Boniface fut expulsé de la ville éternelle, le jour de l’Epiphanie, au moment où son indigne rival officiait en grande pompe à la basilique de Saint-Pierre et y faisait lire solennellement lerescrit impérial d’expulsion. Symmaque, Epist., i.xxxi, lxxxii, P. L., t. xviii, col. 397, 398. Les partisans du pape portèrent alors leurs plaintes jusqu’au trône de l’empereur, et Honorius, évoquant l’affaire à son tribunal, ordonna à saint Boniface et à Eulalius de comparaître devant lui, à Ravenne, le 8 février 419, sous peine, pour celui qui ne répondrait pas à la citation, de perdre ses droits.