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ÉLECTION DES PAPES


Ce moile d’élection à deux ou trois degrés fut appliqué aussi à l’évéquede Home, dans les premiers siècles. Cf. Hergenrôther, Lehrbuch des kath. Kirchenrechls, p. 242 ; Holder, Die Désignation der Nachfolger durcit die Pàpste, p. 13 ; Archiv fur kath. Kirchenrecht, 1894, p. 411. Les fidèles et le clergé du diocèse l’élisaient comme leur propre pasteur ; et quoique, par le fait de ce choix, l’élu devint en même temps le pasteur de l’Église universelle, le reste de la catholicité n’intervenait en rien dans cette élection, au résultat de laquelle il était pourtant si puissamment intéressé, il en fut ainsi pendant plus de dix siècles. Le peuple romain et les laïques notables proposaient quelques noms ; le clergé et ses dignitaires examinaient cette première liste, y ajoutaient ou y retranchaient. Enfin, les évéques de la province romaine, ou suburbicaires, suffragants directsde l’archevêque de Rome, se réunissaient, quelques jours après la mort du pape, et prononçaient en dernier ressort sur les sujets présentés par le clergé et par le peuple. C’est dans l’église de Saint-Jean-de-Lalran, considérée comme la cathédrale de Rome, que très généralement se tenaient ces réunions auxquelles prenaient aussi part, quoique à des titres différents, tous les rangs de la société chrétienne : laïques, clergé, évéques voisins. Parmi les laïques, les notables exerçaient assurément une influence plus grande que les membres de la classe populaire : les officiers de l’armée, les magistrats, les titulaires des grandes charges de l’État, les sénateurs, etc., formaient ce qu’on appellerait, de nos jours, la classe dirigeante. De même, parmi le clergé, les titulaires des églises et basiliques de Rome, ou cardinati ; ceux qui avaient une part dans l’administration épiscopale et pontificale, ou des fonctions dans les tribunaux ecclésiastiques, avaient, vu leur situation, un rôle prépondérant. Ce sont ces différences fondées sur la nature même des choses, qui, s’accentuant dans la suite, devaient restreindre peu à peu le nombre des électeurs, augmenter l’influence des uns, tout en diminuant d’autant celle des autres, et conduire insensiblement à la forme actuelle des conclaves.

Que, dans l’origine, l’élection des papes ait eu lieu, comme nous venons de l’exposer, c’est-à-dire par le choix du peuple et du clergé, ratifié, en dernier lieu, par les évéques de la province romaine, c’est hors de doute, et on en trouve la preuve dans les écrits des Pères des premiers siècles. Nous citerons, en particulier, saint Cyprien, l’évêque de Carthage. Voulant montrer, contre les partisans de l’antipape Novatien, la validité de l’élection de saint Corneille, élu en l’an 251, il expose que sur le nom de celui-ci s’était réunie presque la totalité des suffrages du peuple, du clergé, des notables, des dignitaires, et enfin des seize évéques présents à cette élection : Factus est Cornélius episcopus, de clericorum pêne omnium testimonio ; de plebis quæ lune adfuil sufjragio, et de sacerctotum anliquoruni et bonorum virorum collegio ; … factus est episcopus a pluribus collegis nosti is, qui lune in urbe Roma aderant, qui ad nos lilteras de ejus ordinatione miserunt. Epist., x, ad Anlonianum, en 252, c. iivi P. I… t. iii, col. 770, 771. Plus loin, il indique le nombre des évéques électeurs : Episcopo a sexdecim coepiscopis facto. Epist., x, c. xxiv, P. L., t. iii, col. 790. Cf. Deere tum Graliani, part. II, caus. VII, q. i, c. v, Factus est, et c.vi, Novalianus, t. I, col. 4913 ; Moroni, Dizionario di erudizione storico-ccclesiastica, 109 in-8°, Venise, 1860-1879, v » Antipapi, t. ii p. 181 sq.

lieux siècles plus tard, saint Léon le Grand montre dans ses lettres que le mode d’élection n’a pas changé : l’élection comporte toujours vola civium, testimonia populorum, honoratorum arbitrium, electio clericorum, Epist., x, ad episcopos per provinciam ViennenJCW1 consiitutos, c. iv, P. L., t. liv, col. 632. Il revient -sur cette idée : Qui prafuturus cal (minibus, ab om nibus eligatur… teneatur subscriptio clericorum, honoratorum testimonium, ordinis consensus et plebis. Ibid., c. VI, col. 631. Ailleurs, il dit que, pour l’élection d’un évêque, ce consentement du peuple et du clergé est requis : le choix du métropolitain ne suffirait pas : Nulli prorsus metropolitano hoc licere permittimus, ut suo lantum arbilrio, sine cleri et plebis assensu, quemquam episcopum consecret. Epist., xiii, ml episcopos niclropolitanos per lllyrici provincias consiitutos, c. ni, P. L., t. LIV, col. 665. Cum ergo de summi sacerdolis electione tractabitur, ille omnibus prseponatur ijuem cleri plebisque consensus concorditer poslularit. Epist., xiv, ad Anastasiuni Thessalonicensem episcopum, c. v, P. L., t. LIV, col. 673. Metropolitano vero defuncto, cum inloco ejus alius fuerit subrogandus, provinciales episcojd ad civitalem metropolitani convenire debebunt, ut omnium clericorum algue omnium civium voluntate discussa, ex presbyteris ejusdem Ecclesix, vel ex diaconis oplimus eligatur. Epist., xiv, c. vi, col. 673. C’est donc toujours aux évéques de la province qu’appartient le choix définitif, après toutefois s’être enquis des désirs du peuple et du clergé. Cf. Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’Eglise louchant les bénéfices et les béné/iciers, évéques, archevêques, primats, archidiacres, archiprêtres, curés, etc., 5 in-fol., Paris, 1679-1688, part. II, 1. II, c. xxix, t. ii p. 220 sq. ; Mabillon, Musseum ilalicum, 1 in-4°, Paris, 1687-1689 ; 2e édit., Paris, 1724, t. ii p. 119, 570 ; Cenni, Coucilium laleranense Stephani 111, anno 769, nunc jirimum in lucem edituni, in-4°, Rome, 1735, præl’at., p. xix ; Plettemberg, Notitia congregationum et tribunalium curiw romanse, in-8°, llildesheim, 1692, c. ii, De conclavi et electione summi pontifias, p. 60 sq.

IV. Inconvénients des élections populaires.

A mesure que l’Eglise, en se développant, pénétrait davantage la société, la foule des fidèles, appelés à prendre part à l’élection papale, était devenue de plus en plus considérable. Mais qui ne sait que, dans les assemblées nombreuses, le calme est beaucoup plus difficile à garder ? Elles se changent facilement en réunions tumultueuses, pour peu que l’esprit de parti s’y mêle, et que des influences rivales s’y fassent sentir en divers sens. Surtout, si des éléments turbulents y sont introduits, les causes de discorde enveniment les débals : la différence de vues engendre la haine ; d’où des luttes, des colères, des dissensions qui peuvent dégénérer aisément en violences et en émeutes sanglantes, car rien n’est plus impressionnable et irritable ((lie les foules conduites par des meneurs audacieux et ambitieux. Ces inconvénients étaient à redouter, dans les assemblées populaires qui avaient à choisir le successeur d’un pape défunt. Ils devaient d’autant plus se produire, que, en raison même de l’importance du choix à faire, les passions devaient être davantage excitées. Les hommes sont toujours hommes, et, même dans les choses qui par leur essence paraîtraient devoir s’y soustraire le plus, le côté humain ne disparaît jamais.

Une autre cause de dissension était dans cette sourde hostilité qui existe toujours entre les grands et les petits, entre les nobles et les plébéiens. L’ancienne Rome avait trouvé dans cette guerre des classes la principale source de ses malheurs : pour cela, plusieurs fois, elle s’était vue à deux doigts de sa perle. La Rome chrétienne ne devait pas échapper à ces difficultés. Elles furent si grandes, que, si l’Eglise n’avait pas été fondée sur le roc immuable et n’avait reçu de son divin fondateur les promesses de l’immortalité, elle n’y aurait certainement pas résisté. Elle aurait fini par succomber, comme les institutions humaines, que Dieu ne préserve pas spécialement, et abandonne aux germes de désorganisation sociale qu’elles portent toutesdans leur sein.