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ELECTION

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absolu, doit être, //i(. - et nunc, efficacement voulue. D’où la sentence commune des moralistes catholiques de toutes les écoles sur ce point.

Deuxième cas. — S’il y a deux partis égaux et, par suite, deux opinions qui se contrebalancent, la psychologie suarézienne de l'élection doit logiquement autoriser un choix arbitraire. C’est ce que font couramment les probabilistes. Le principe lex dubia non obligat n’est pas, qu’on le remarque bien, un de ces principes réflexes dont la valeur objective, s’ajoutanl à la valeur du motif qui favorise la liberté, forme un motif total absolu en faveur de celle-ci. En effet, ce principe a comme contre-partie cet autre, aussi évident que le premier dans le cas des opinions qui se font équilibre : liberlas dubia non libéral. Les deux considérations se valent et, parlant, l'équilibre des objets en conflit n’est pas rompu. C’est un cas de doule strict. Aucune difficulté d’ailleurs à cela, selon la thèse qui tient qu’il n’y a pas besoin, pour trancher ce cas, de raison suffisante se formulant en motifs objectifs et que la liberté subjective se sert à soi-même de raison suffisante, stat pro ratione libertas. Il est évident, selon cette théorie, que la liberté a tout ce qu’il faut pour se prononcer en faveur du parti qui lui plaît, et d’ailleurs, ce faisant, elle n’otfense pas la loi morale, puisque les deux opinions en présence sont données dans la conscience comme étant en harmonie avec une volonté antérieurement rectifiée par une fin moralement bonne.

Seulement, dans l’explication de cette opinion par les thomistes, selon laquelle le stat pro ratione voluntas doit s’interpréter dans le sens d’une plus-value de motifs objectifs, voir plus haut, col. 2247, il semble bien que cette plus-value provenant, ici, de la volonté arbitraire de choisir l’un quelconque des motifs égaux, n’apporte aucun complément proprement moral à celle des alternatives qui est choisie. Il y a raison suffisante pour se décider physiquement ; il n’y a pas, sernble-t-il, raison suffisante pour se décider moralement.

Les thomistes, suivant la lettre de leur docteur, diriment autrement le cas. Ils accordent qu’entre deux opinions également probables il n’y a pas de choix moralement justifié, tant que l’une des opinions n’est pas devenue, par le jeu du conseil, moralement plus probable. Cette plus-value est ordinairement assurée par des principes réflexes, c’est-à-dire tirés, non pas de l’objet précis en vue, qui est supposé avoir livré tout ce qu’il possède comme relation à la fin honnête, mais de points de vue supérieurs, de nécessités et de lois générales s’imposant, au point de vue moral s’entend, et qui peuvent trouver une application, au moins par l’effet d’une analogie sérieuse et fondée, dans l’une des alternalivgs en concours. Nil proldbet si aliqua duo œqualia proponuntur secundum uuam considérationem, quin circa alterum consideretur aliqua conditio per quam emincat et magis /lectatur voluntas (in casu, voluntas moraliter recta) in ipsum quam in aliud. S. Thomas, loc. cil. Nous retombons ainsi dans le probabiliorisme. Cf. lîilluart, De actibus hum.. disp. VI, a. 2.

Faut-il distinguer du probabiliorisme le système équiprobabiliste, pour autant qu’il fait le départ des deux alternatives en équilibre, celle qui favorise la loi et celle qui favorise la liberté à l’aide du principe de possession ? Pour ma part, sans me prononcer d’ailleurs sur la valeur universelle de ce principe pour résoudre tous les cas, j’estime que, si on en entend l’usage comme le fait saint Liguori. cf. R. Beaudouin, Tr. de conscientia, Tournai, 1911, q. iv, a. 5, il n’y a pas de différence. Le principe de possession, transposé par analogie des matières de justice et autres semblables dans l’intérieur de la conscience, rend plus probable le parti auquel il peut s’appliquer, lit dès lors,

avec le principe du probabiliorisme, verisimilius est sequeiidum, aidé' du principe général du probabilisme, à savoir que, s’il s’agit de la seule honnêteté morale de l’action, la condition humaine ne saurait exiger une évidence absolue comme règle de toutes nos démarches, on peut se former la conscience moralement certaine requise pour agir. A mon avis, sine prsejudicio, le principe de possession, décisif quand il s’agit du for externe, ne saurait, à lui seul, donner d’emblée cette certitude morale, en raison de la transposition analogique qu’il faut lui faire subir pour l'ériger en critère de conscience. C’est seulement une notable probabilité de plus.

Troisième cas. — Il se résout facilement, selon la psychologie suarézienne. par le probabilisme pur, ou système de la moindre probabilité, minusprobabilisnuts. En effet, si, d’une manière générale, une fin peut être vraiment et efficacement voulue par la volonté, alors que celle-ci choisit parmi les moyens qui y conduisent celui qui a le moins de chances d’assurer la fin, il n’y a pas de raison de faire exception pour les fins de la moralité. On est encore honnête, du fait que l’on a choisi le moyen offrant le moindre coefficient d’honnêteté, parmi ceux qui sont présents, pourvu, bien entendu, qu’il ne dépasse pas la limite où il serait peu probablement honnête, tenuiter probabilis, où il ne serait plus honnête du tout. Je n’ai rien à dire contre la logique de cette conséquence. La seule question que l’on pourrait soulever est de savoir si l’on veut encore vraiment, sincèrement et efficacement une fin quand on prend les moyens les moins efficaces parmi ceux qui y conduisent.

A cette questionnes thomistes répondent résolument par la négative, et c’est dans la logique de leur doctrine sur l'élection. Si, en effet, un choix fait sans raison objective déterminante ne saurait être qualifié d’acte proprement humain, le choix d’un moyen qui, moins probablement, conduit à une fin morale qu’il s’agit de réaliser, alors que d’autres moyens plus probables sont en conflit avec lui dans l’uni té indivisible de la conscience, unfel choix, dis-je, ne saurait être qualifié d’acte moral. On ne voit pas bien un négociant, efficacement désireux de faire fortune, employer pour arriver à cette fin des moyens qui y aboutiront moins probablement que d’autres qu’il sait parfaitement exister el êlre à sa disposition. De même, disent les thomistes, on ne voit pas bien comment se combine une volonté, ayant l’intention efficace d’une fin moralement bonne, avec le choix d’un parti qui représente un minimum de tendance efficace vers cette fin. Cf. Mandonnet, De la valeur des théories sur la probabilité morale, dans la Bévue thomiste, 1902, p. 334.

Il n’entre pas dans le but de cet article sur l'élection de trancher ce débat, dont les diverses solutions sont librement discutées dans l’Eglise, car il ne s’agit pas ici d’idéal moral, mais de simple licéité ; il s’agit de savoir où commence le péché. Il nous suffit d’avoir manifesté' le lien qui rattache ces solutions avec les diverses conceptions psychologiques de l'élection. Pour le reste, voir Probabilisme.

Les vertus morales.

La vertu morale naturelle ou infuse se définil : habitus clcclivus mediorum servato ordine finis, une habitude de choisir les moyens adaptés aux fins de la moralité. Cette habitude est tantôt le résultat de la répétition constante d’acles au service d’intentions rectifiées par la volonté du bien, et c’esl la vertu morale naturelle qui est comme une consolidation d’acles antérieurs, désormais passés à l'état de ressorts permanents d’activité ; tantôt elle est produite directement par la grâce divine, et c’est la vertu morale infuse, qui a d’emblée les mêmes prérogatives que la vertu naturelle, mais en regard des objets surnaturels. Cf.S. Thomas, Sum. theol., I » II », q. lxiii, a. 2, i.