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lerminisme, non pas de droit mais de fait, met en rapport régulier de dépendance la décision volontaire, d’ailleurs autonome et libre, avec le jugement pratique prépondérant, que pour échapper à ce déterminisme du motif le plus fort, il n’y a qu’un moyen, c’est de recourir à un nouveau conseil qui mettra en évidence un motif plus fort encore.

Si l’on répond avec Suarez que la volonté n'étant nécessitée par aucun bien contingent, sa liberté justifie suffisamment ses eboix, et qu’il n’y a pas à chercher d’autre raison suffisante que le bon plaisir de h volonté libre, les thomistes concèdent la valeur de la réponse, mais demandent à faire remarquer, que, du fait de ce bon plaisir, le inoindre bien est devenu le meilleur. En effet, comme jamais la volonlé ne saurait agir sans lumière objective, il est clair que l’agent volontaire, en préférant à tout sa liberté, considère l’usage de cette liberté même comme un motif prépondérant, que l’exercice et la mise à l'épreuve de son indépendance souveraine vis-à-vis des motifs les plus forts s’ajoutent à la bonté du moyen le moins adapté pour constituer avec elle le meilleur bien de l’agent, que c’est en regard de ce bien intégral et supérieur qu’il se décide. Même dans ce cas limite, le déterminisme des motifs objectifs est la règle. Ainsi parlent les thomistes. Cf. Billuart, De actibus humants, diss. III, a. (i, S 4, Dices.

L’explication que l’on vient de lire a mis en évidence la raison pour laquelle, selon les thomistes, entre plusieurs motifs inégaux, la volonté ne peut choisir que le plus fort. Mais elle n’a pas manifesté en vertu de quel principe elle choisit ellectivement un parti. La volonté, en effet, est absolument libre vis-à-vis de tout motif contingent. Elle peut toujours, soit renoncer à toute élection, soit provoquer de nouvelles délibérations, aboutissant à de nouveaux et plus forts motifs, et cela indéfiniment. En d’autres termes, si elle choisit entre les moyens inégaux actuellement présentés, elle ne peut se prononcer que pour le plus adapté à la fin, mais pourquoi se décide-t-elle à le choisir'.' Est-ce elle finalement qui se détermine ? Si oui, peut-on dire encore qu’elle trouve dans son motif la raison suffisante de se décider ?que c’est un motif déterminant ? Si l’on répond non à cette dernière question, c’est la solution de Suarez, reculée seulement d’un cran. C’est sans raison suffisante que la volonté choisit, et nous revoilà en plein libertisme.

Pour répondre à cette difficulté, il est nécessaire de se donner une vue d’ensemble du dynamisme organique qui constitue l’acte humain. Voir le tableau synoptique. Le point de départ de l'ébranlement volontaire est l’intention efficace d’une fin : son point d’arrivée est la réalisation de cette même fin. Entre ces deux termes sont situés des actes ou mouvements de la volonté et de l’intelligence, émis sous l’empire de la fin efficacement voulue, et marquant le progrès dynamique du vouloir total. Or, il suffit d'être tant soit peu familiarisé avec les schèmes fonciers de saint Thomas en matière de causalité' el d’action, pour s’apercevoir que l’activité, qui relie le point de départ au point terminal, est de l’ordre instrumental. La réalisation de la fin est l’effet propre de la volonlé efficace de la fin, cause principale, se servant de l’intelligence et de la volonté comme d’instruments. L’wsmn, l’utilisation relie et soude entre eux tous les moments de l’action totale. Sans doute, chaque activité de l’intelligence et de la volonté, conseil, consentement, etc., accomplit son acte propre normalement ; l’intelligence délibère, la volonté accepte, en vertu d’une simple application à l’exercice de leur acte. Mais en tant que ces actes tendent non plus à leur fin propre et immédiate, mais à la fin de tout le processus qui les dépasse, et sont l'œuvre propre de la seule intention efficace, ces activités ont une

valeur instrumentale, et elles reçoivent une détermination spéciale, d’ordre dynamique, vis instrumentalis. qui actualise leur mouvement ou acte propre en vue de la réalisation de la fin.

C’est ainsi que le conseil se fait normalement et aboutit à un jugement de comparaison et de préférence pour un parti. Mais celle préférence, en tant que ressortissant au conseil, n’a d’inlluence que inactii primo. Et c’est sous cet aspect que le considère Suarez. Somme toute, il n’y a là, du fait du conseil, que plusieurs partis possibles à la disposition du vouloir. Mais, au point de vue de l’efficacité de la volonlé de la fin quise fait jour dans les jugements pratiques, il y a davantage : il y a dans le jugement de préférence un instrument en harmonie avec l’efficacité actuelle de l’intention, el que celle-ci se doit de faire, pour ainsi dire, sortir du rang, en le rendant practico-pratique de pratique qu’il était seulement. La vertu déterminante qui jaillit de la volonté efficace, hic et nunc de la fin, ne pourrait, en effet, se répandre sur le moyen le moins adapté' à cette fin. Ce serait une contradiction. Ce serait, à la fois, vouloir efficacement et ne pas vouloir efficacement, vouloir efficacement la fin et ne pas vouloir efficacement le moyen qui ne vaut que par son ordre à la fin. De là vient que le motif le plus fort, objectivement parlant, est promu motif déterminant subjectivement. Il ne le doit pas à sa plus-value objective comme telle, mais à l’intention efficace de la fin, dont sa valeur objective dessert supérieurement l’impérieuse impulsion.

De là vient que certains thomistes, signalés par Suarez, lue. cit., n. 1-3, font du jugement de préférence passé à l'état de jugement pratique un imperium. Il ne s’agit pas, cela est clair, de Yimperium qui suivra l'élection eteommandera l’utilisation du moyen en vue. Il s’agit de cet empire qu’exerce la volonté d’une fin sur toutes les démarches psychologiques qui s’emploient à la satisfaire, y compris les jugements pratiques : de Y imperium finis, qui utilise l’intelligence, ulitur consilio, et, lorsque celle-ci a découvert un moyen dont l’efficacité s’annonce comme prépondérante, pèse sur le jugement pratique de tout le poids de son désir, l’actualise et le rend practico-pratique, c’est-à-dire en acte d’attirance. Cf. Sum. theol., I a II », q. xvi, a. 4, £ Sed quia ; q. xvii, a. 3, ad 3um.

Dès lors, la partie est gagnée. Car, s’il reste à accepter l’influence de cet attrait, et donc à choisir, et si la volonté, de sa nature, natura, est indépendante vis-àvis de tous les moyens contingents, elle ne l’est pas de fait, vis-à-vis de ce motif objectif dont elle cause actuellement elle-même la suprême et déterminante actualisation. En abstrayant de l’acte par lequel elle actualise présentement le meilleur moyen, in sensu diviso, elle est libre ; mais in sensu composito, elle ne l’est pas. Si elle se sert efficacement de cet instrument qu’est le jugement prépondérant pour produire en soi la détermination objective, il est contradictoire qu’au moment même elle ne se détermine pas subjectivement eteffectivement parune motion efficiente et efficace, bien qu’elle demeure, en agissant ainsi, intrinsèquement libre etmaitressedeson vouloir. Toutcomme il est nécessaire, c’est l’exemple perpétuel d’Aristote et de saint Thomas, que Socrate soit assis durant qu’il est assis, encore que, même étant assis, il garde sa puissance très réelle à se lever. Lorsque la décision de la volonté voulant efficacement la fin, s'égalise au motif prescrit par l’ultime jugement pratique, comme c’est la libre volonté qui, au même instant, produit dans ce jugement ce caractère de motion objective déterminante, elle ne fait, au fond, par lechoix de ce motif que s'égaliser à elle-même et reconnaître un état d’actualisation de ses énergies libres déjà explicité dans son intérieur.

Telle est la synthèse latente sous les exposés thomistes de ce problème. Avec cette clef, on pourra en corn-