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ELECTION

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— L'élection étant essentiellement un acte de préférence, comment la volonté peut-elle préférer, si, objectivement parlant, il n’y a aucune raison de préférer ? La volonté, on ne saurait trop le répéter, est une faculté aveugle : elle suit l’attrait du bien, mais du bien présenté par l’intelligence, in casu, par le jugement pratique. Or, dans le cas présent, les attraits sont égaux. Il semble bien que prendre un parti équivale à se décider irrationnellement, ce qui revient à ne pas faire un acte de volonté, à ne pas véritablement eboisir. Telle est la difficulté.

Et c’est en effet ce qui arrive souvent en pareil cas. Sous l’impulsion du désir de la fin, un mouvement irréfléchi, émis sous l’inlluence de la passion, de l’instinct, de l’habitude, décide du parti qui est choisi. Mais ce n’est pas là une solution universelle, bien qu’un théologien, Lorca, In Sum. theol., Ia-IIæ, q. xiii, disp. XVII, ait cru pouvoir la comprendre ainsi. C’est sur le terrain de l'élection et par des principes tirés de ce qui la constitue, que la question veut être résolue. La solution de Lorca est une échappatoire, divertit a difficultate ista in qua loquimur de veræt propria eleclione, non de eo quod fit ex im petit naturse. Jean de Saint-Thomas, Cursus theol., in /"" II", disp. VI, a. 2, n. S ; fiilluart, Inc. cit., i 4, inst. 4°.

Suarez, Metaphysica, disp. XIX, sect. vi, n. 13, reconnaît à la volonté le pouvoir absolu de choisir le moyen qui lui plaira. C’est la conséquence de sa doctrine spéciale sur l’indifférence de la volonté. Comme cette doctrine etsa conséquence concernent non seulement le cas présent, mais aussi celui où les moyens sont inégaux en valeur, nous en renvoyons l’exposé au troisième cas. Saint Thomas, dans un texte unique et célèbre, résout ainsi la difficulté : Nihil prohibet, si aliqua duo œquaiia proponuntur secundum unam considéra tionem, quin circa allerum consiileretur aliqua condilio, per quam emineat, et magis (lectatur voluntas in ipsum, quant in aliud. Sum. theol., I* IIe, q. VI, n. I. Cette solution est tirée de la nature même du libre arbitre qui consiste dans le pouvoir qu’a la volonté, en acte d’intention d’une fin, de mouvoir l’intelligence à la recherche des moyens, pouvoir qui n’est jamais ('puisé du fait de la valeur de l’un des moyens rencontrés, dès là qu’il n’est pas nécessaire à la fin.Cf.Vasquez, InSum. theol., Ia-IIæ, disp. XLIII, c. H, qui déclare plus probable l’opinion de saint Thomas, et l’appuie de l’autorité d’Aristote et des saints Pères. Cajetan, Comment, in Sum. theol., Ia-IIæ, q. xiii, a. 5, n. 3, ne limite pas la portée de la réponse de saint Thomas, comme le prétend Vasquez, loc. cit., n. 5, mais fait remarquer seulement combien formelle est la réponse du saint docteur, puisqu’elle se place sur le propre terrain de l'élection, pour montrer que la difficulté soulevée ne saurait lui être un obstacle. Il y avait, en effet, une autre réponse possible ; c’est de résoudre ce cas, comme le précédent, par la liberté d’exercice et de contradiction. La volonté, en effet, peut se refuser à l’une et l’autre alternative, mais cette solution, comme nous l’avons dit, supprime l'élection. C’est, semble-t-il, tout ce qu’entend dire Cajetan.

Cette solution de saint Thomas nous ramène au troisième cas annoncé plus haut. Il en résulte, en effet, que saint Thomas tient, d’une manière tout à fait générale, que, pour qu’il y ait choix, élection, il est nécessaire que le jugement pratique articule une préférence, qu’il présente l’un des moyens en concours, comme mieux adapté à la fin que le ou les autres. Et il professe ainsi, après Aristote, que l'élection ne se peut faire que dans le sens du moyen le meilleur. N’y a-t-il pas là un déterminisme objectif qui rend illusoire la liberté essentielle à l'élection et détruit la notion même de choix ? C’est cette difficulté que l’examen du troisième cas va nous amènera solutionner.

Cas de plusieurs moyens inégaux.

1. Opinion de Suare : . — Cette opinion est attribuée à Suarez, non pas qu’il en soit le seul ou le premier auteur, car il cite lui-même ses prédécesseurs, Metaph., loc. cit., n. 2, cf. Salmanticenses, De volnntario, disp. II, dub. i, §3j n. 14, mais parce qu’il en a donné la théorie la plus complète. La racine de cette opinion est la notion que Suarez adopte touchant l’indifférence caractéristique du jugement pratique qui précède immédiatement l'élection. Tous les théologiens admettent, après saint Thomas, que, seuls, des moyens contingents, c’est-àdire non nécessairement reliés à la (in qu’ils sont destinés à procurer, peuvent être l’objet de l'élection. Il suit de là une certaine indilf'érence objective du jugement pratique qui les présente au choix de l’agent. Quelle que soit la préférence que ce jugement articule en faveur du meilleur moyen, ce meilleur moyen est libre dans son fond, car il n’est pas l'équivalent de la fin voulue, de même que l’opinion libre n’est pas l'équivalent du vrai nécessaire et obligatoire sur le même objet. C’est dire, à entendre Suarez, qu’une intervention libre de la volonté a été nécessaire pour que le jugement pratique fût formulé. Ce caractère de liberté objective et d’indifférence foncière, est tellement mis en relief par Suarez, qu'à l’entendre, la préférence pour le meilleur moyen, énoncée dans le jugement pratique portant sur plusieurs moyens, ne saurait avoir aucune inlluence décisive et déterminante sur le parti que prendra la volonté de l’agent. Il y a proposition de plusieurs issues, multiplex judicium, a. 12, mais c’est a la volonté de choisir et de déterminer absolument par son choix quel sera le parti élu. Le moyen le moins adapté' peut être de ce fait choisi par la volonté. Et il n’y a là, à l’entendre, aucune violation du principe : voluntas sequitur intellectum, caria volonté suit l’objet dans la mesure où l’objet s’impose à elle. Or. dans notre cas, il ne s’impose pas nécessairement, il est avant tout contingent ; et s’il a une supériorité relative comme moyen d’atteindre la fin, cette supériorité laisse leur bonté et leur convenance aux autres alternatives. Il n’est pas nécessaire que la volonté épouse toutes les modalités du jugement, mais seulement celles qui imposent une nécessité. Quant à la raison de ses préférences pour un moyen reconnu inférieur, il n’y a pas à la chercher du côté de l’intelligence : slui pro ratione voluntas. Cf. Metaph., disp. XIX, sect. vi, n. 7-13.

2. Opinion thomiste.

Les thomistes conçoivent autrement l’indifférence du jugement pratique. Sans doute, ils admettent que les différents moyens présentes par l’intelligence, étant contingents vis-à-vis de la fin, peuvent tous et chacun, y compris le plus avantageux, être récuséspar la volonté en acte d’intention de la lin. Aucun d’eux ne peut vaincre l’amplitude de cette lin. .Mais ce pouvoir, qui relève de la liberté d’exercice, n’entraîne pas, à les entendre, le pouvoir de eboisir entre plusieurs moyens actuellement présents les moins avantageux. Car, disent-ils, un tel acte, s’il est un acte de préférence et par ce côté un choix, serait un acte injustifié, sans raison objective suffisante. Le motif exclusif de la volonté est, en effet, notre bien propre. Mon bien propre étant actuellement conçu par moi comme attaché à cette fin, et cette fin étant voulue par moi en cette qualité, est-il admissible qu’en présence de plusieurs moyens parmi lesquels il en est un qui plus sûrement, plus efficacement, conduit à la fin dans laquelle pour le moment est constitué mon bonheur, je choisisse l’un de ceux qui ollrent le moins de garanties ? Cela n’est-il pas en contradiction avec cet appétit du bonheur qui est le moteur foncier et toujours en acte de mes moindres volontés ? Il le semble, et il faut en conséquence conclure, avec Aristote, que l'élection se porte toujours du cé, té du meilleur, qu’un dé-