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EGOIS.ME


réside en tout homme (la bienheureuse Vierge Marie exceptée), il s’ensuit que l’abnégation est dans la vie chrétienne d’une absolue nécessité. Mattli., ii 12 ; Joa., xii, 25..Mais dans chaque homme en particulier l’amour désordonné de soi prend une direction dominante, suivant les dispositions naturelles de son âme. Jac, i, 14 ; S. Thomas, Sum. Ilteol, I « II », q. i.xxxxii, a. i, ad l, in’.

Iles lors l’abnégation, pour atteindre son but, pour rétablir l’ordre dans le conflit des désirs et des convoitises, devra engager une lutte courageuse et implacable contre l’inclination désordonnée, que l’âme aura reconnue prédominante. Cela suppose une exacte connaissance de soi, que l’on obtiendra par un examen diligent et attentif de son intérieur, examen exécuté sous la lumière de la grâce divine.

A la vérité, la connaissance exacte des mauvaises dispositions de son âme est le plus souvent pour l’homme une besogne difficile et pénible. C’est que l’amour-propre s’entend à merveille à se dissimuler et à se faire illusion. Il réussit â donner aux actes défendus l’apparence de ce qui est permis, voire de ce qui est vertueux et même de ce qui est obligatoire. A-t-on reconnu le danger de certaines affections, l’amourpropre n’est pas embarrassé pour se représenter les remèdes nécessaires comme inutiles, inaptes, imprudents, et s’affermir ainsi dans ses mauvaises habitudes.

Contre tous ces mouvements hostiles, l’abnégation doit être exercée sans relâche, avec une inlassable persévérance. Ainsi, on peut affirmer, sans crainte de se tromper, que la pratique de la vertu est impossible sans la victoire sur soi, sans l’abnégation. Car toute vertu peut se ramener à l’amour de Dieu, l’amour du prochain ou l’amour du salut éternel, mais aucune de ces sortes d’amour ne peut subsister si l’on ne combat l’amour désordonné de soi. Le plus sûr critérium pour mesurer le progrès fait dans le chemin de la vertu, c’est le degré d’abnégation auquel on est parvenu. Aussi tout acte de renoncement, même le plus petit, est-il éminemment précieux ; c’est un pas en avant vers le but de notre vie chrétienne, la béatitude éternelle.

Par la fidélité dans les petites choses, par de petits sacrifices répétés, l’âme acquiert des forces pour des sacrifices toujours plus grands et se prépare une riche couronne de mérites pour le ciel. En outre, l’exercice du renoncement dispose l’âme â la réception de grâces particulières que Dieu accorde avec la plus grande libéralité aux cœurs généreux qui luttent vaillamment au service du souverain Maître. « Plus la nature se renonce, plus abondantes seront les grâces reçues, » dit l’auteur de Ylmitation, 1. III, c. i.iv, 17. Les premières grâces que nous recevons dans la vie, consistent dans une excitation divine et un secours salutaire pour nous élever â Pieu par la prière et en même temps pour vaincre les mauvaises inclinations de la nature.

Cette impérieuse nécessité de l’abnégation est proclamée par des voix bien inattendues, pardes philosophes de l’école positiviste. M. Guyau, qui a cru pouvoir édifier une morale sans obligation ni sanction, ne s’est pas avisé d’en construire une sans renoncement, et il regarde l’abnégation comme la loi de l’existence humaine et de la plénitude de la vie. « La vie, dit-il, a deux faces ; par l’une elle est nutrition et assimilation, par l’autre production et activité. Plus elle acquiert, plus il faut qu’elle dépense, c’est sa loi… ; il y a une certaine générosité inséparable de l’existence, et sans laquelle on meurt, on se dessèche extérieurement, il faut fleurir la moralité ; le désintéressement, c’esi la fleur de la vie humaine… ; nous sommes loin, conclut M. Guyau, de Bentham et des utilitaires qui cherchent â éviter partout la peine, qui voient en elle l’irréconciliable ennemie ; c’est comme si on ne voulait pas respirer trop fort, de

peur de se dépenser. » Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, 1. II, c. i, II.

Un autre représentant du positivisme, M. Max Nordau, qui ne prétend pas s’élever au-delà de la sphère naturaliste, qui ne parle jamais d’âme spirituelle et immortelle, enseigne, lui aussi, la nécessité de l’abnégation. 11 voit dans l’homme inférieur une bête qu’il faut museler. Il reconnaît que le grand travail de la civilisation « a été de dompter la concupiscence, » de faire sortir l’homme « du carnassier voluptueux ». « Et cet elfort, chacun doit le continuer sans cesse ; cette conquête, chacun doit la défendre sans trêve contre les assauts du dedans et ceux du dehors. » Dégénérescence, 1. I,

c. VI.

Ce qui serait le plus proche de la morale chrétienne, c’est l’ascétisme péripatéticien. D’après Aristote, l’ascétisme repose sur la théorie du juste milieu. « La vertu, dit-il, est une sorte de juste milieu, » et il ajoute cette règle, qu’on retrouve presque dans les mêmes termes chez les maîtres chrétiens de la vie spirituelle : « Le premier soin de celui qui veut atteindre ce sage milieu, c’est de s’éloigner du vice qui est le plus contraire. Nous devons nous rendre compte des penchants qui sont le plus naturels en nous, et ce qui nous les fera facilement reconnaître, ce seront les émotions de plaisir ou de peine que nous ressentirons. Alors nous nous ferons pencher nous-mêmes en sens contraire, car en nous éloignant de toutes nos forces de la faute que nous redoutons, nous nous arrêtons dans le milieu, à peu près comme on fait quand on cherche à redresser un morceau de bois tordu. » Morale à Kicomague, 1. II, c. ii VI, ix. Cette règle fait bien comprendre comment la mortification chrétienne est vivifiante ; elle ne contrarie la nature que pour la féconder.

Plus cohérente et mieux appuyée est la doctrine des philosophes nettement spiritualités, comme aussi plus entier leur accord avec la vérité catholique. Plusieurs déclarent qu’ils se sont inspirés des enseignements du christianisme, mais trouvant par la raison des vérités qu’ils n’auraient pas découvertes, laissés à leurs seules forces, ils démontrent que cet idéal est aussi d’une sagesse toute humaine. Ils prouvent une fois de plus qu’il ne saurait y avoir dissentiment entre la révélation et la vraie philosophie. M. Ollé-Laprune, Le prix de la vie, c. xxii, et M. Blondel, L’action, p. 376, donnent les vrais et solides fondements de l’abnégation au point de vue de la saine raison. L’homme est fait pour un bien qui dépasse tous les biens finis ; dans l’homme, la volonté, faculté maîtresse, ne se trempe qu’en se résistant à ellemême et à ce qui l’entraîne.

V. Égoïsme et morale du bonheur.

Le catéchisme du concile de Trente recommande aux pasteurs d’exciter les fidèles à l’observation des préceptes divins par la considération de la récompense, et il invoque a cet effet l’exemple des Livres saints. Part. III, c. i, n. ! ) ; c. ii n. 25 ; part. IV, c. xi, n. 3. Or, les incrédules, ouvertement ou hypocritement, accusent cette morale du bonheur d’être du pur égoïsme. M. A. Charma écrivait en 1831 : « C’est en vain que le christianisme nous recommande sans cesse l’abnégation personnelle. Ses généreuses déclamations sur le désintéressement se terminent toujours par ces mots : Chrétien, sauve ton âme… Que suit-il de là ? La vertu est un calcul. » Essai sur 1rs bases n lu développement de la moralité, 1 8— î’*, p. 136. M. Renouvier reconnaît « qu’il est impossible â la vertu de ne pas tenir compte… des biens à rendre pour le bien, et des maux pour le mal ; » mais il ajoute : « Quant à la sanction des peines et des récompenses sous forme d’une rétribution accordée par une personne, que nous avons le droit d’appeler particulière en dépit des attributs infinis dont on la charge…, il faut avouer qu’un certain abaissement de vues accompagne cette forme religieuse de la rémunération, compara