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EGOISME

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le résultat d’un noble souci de la perfection ; mais la seconde partie qui n’est qu’une sorte de dilettantisme psychologique et moral ne peut guère se détendre du reproche d’égoïsme.

II. ÉGOïSME dans un sens absolu.

Dans le sens absolu du mot, l’égoïsme est l’amour déréglé de soi, subordonnant absolument tout à la satisfaction de ses désirs et de ses appétits. Dès lors, par son essence même, l’égoïsme absolu est la négation de l’ordre moral, parce qu’il établit le moi comme bien suprême, et qu’il pousse l’âme, malgré sa limitation et sa dépendance, à prendre la place du bien final et infini qui est Dieu. Dans son extension la plus large, l’égoïsme comprend le désir et la volonté de tout dominer, de tout posséder, de jouir de tout et autant que cela est possible, d’exclure les autres de la possession et de la jouissance des biens acquis ou convoités. Tout homme est animé d’une tendance innée vers le bonheur, mais cette tendance doit être conforme à l’ordre essentiel des choses, qui oriente la créature raisonnable, ses facultés, ses opérations et ses désirs vers le bien final, le bien infini.

L’égoïsme absolu, en déplaçant le centre d’orientation de la nature humaine, brise donc l’ordre naturel des choses et pervertit l’inclination innée de l’homme à la béatitude. Ainsi l’égoïsme absolu apparaît comme une corruption de l’intégrité de la nature humaine, c’est la concupiscence née du péché originel. Rom., vu, 22 ; S. Thomas, Sum. tlteol., I a 11^, q. i.xxxii, a. 2. L’amour de soi déréglé et absolu provient du péché et excite au péché.

Il n’est cependant pas en soi un péché imputable, comme le soutiennent les protestants, mais, d’après la doctrine du concile de Trente, il peut seulement être appelé habitas peccati, péché habituel. Sess. V, Decretum de peccato original), n. 5. Pour que le péché personnel actuel prenne naissance, il est nécessaire que la volonté s’introduise dans cette inclination déréglée il désordonnée qu’est l’égoïsme absolu. Plus la volonté se met au service de la passion par des actes coupables répétés, plus l’égoïsme croit dans ses désirs, ses tendances et ses convoitises, alors Y habilus peccati devient vitium, l’amour désordonné de soi atteint son sommet.

Tout ce qui est péché a sa racine profonde dans l’égoïsme absolu, car le péché, c’est la déviation de la volonté qui préfère la créature à Dieu, qui estime le bien fini et passager plus que le bien infini et immuable, qui recherche la jouissance malgré la volonté de Dieu, en un mot, fait de l’amour du moi la règle de ses actions.

Saint Grégoire le Grand appelle l’égoïsme, pris dans le sens que nous venons d’exposer, vitiorum regina, Moral., ]. XXXI, n.87, P. L., Llxxvi, col. 620. D’après saint Donaventure, Breviloquium, m. 9, il est omnium peccatorum aciualium initium, etd’après saintThomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxix, a. 4, fous omnium peccalorum. Saint Augustin remarque à la fin du 1. XIV 1’de la Cité de Dieu : Fecerunt itaque civitates duas amores duo : terrenam scilicet, arnor sut usque ad contemptum Dei ; cœlestem vero, amor Dei usque ad contemptum sui. Denique illa in seipsa, hœc in Domino gloriatur. lllænim quscrit ab homiuibus gloriam, huic autem Deus, conscientise testis, maxima est gloria. P. L., t. xii, col. 436. Enfin sur le même sujet, le divin Platon s’exprime en ces termes : « Et en vérité c’est l’amour excessif de soi qui est pour tous et toujours la cause de toutes les fautes. » Traite des lois v, 731.

III. ÉGOÏSME DANS UN SENS RESTREINT.

L’égoïsme

se prend dans une signification restreinte, lorsqu’il désigne l’amour exclusif de soi par rapport aux autres hommes et aux choses extérieures. Il n’est pas directement exclusif par rapport à Dieu.

Le désordre consiste à ne pas tenir compte dans l’amour de soi des devoirs de justice et de charité qui nous lient à nos semblables. L’égoïste recherche injustement le développement et le perfectionnement de son moi au détriment du prochain ; il désire toujours et s’efforce d’obtenir le premier rang, de tirer de toutes choses avantage pour soi-même, au mépris des exigences de la justice et de la charité. Tout ce qui existe, tout ce qui se passe dans le monde, n’a de prix et de sens pour lui qu’autant que les choses se rapportent à lui et favorisent ses projets et ses intérêts personnels. Il veut que tout ce qui l’entoure le serve comme si le monde n’avait été créé que pour lui ; ses vues étroites doivent être la règle du jugement et des actions des autres. Idolâtre de sa propre personnalité, il ne craint pas de rendre les autres victimes de sa tyrannie ; il ne les considère que comme les instruments de ses desseins, et après en avoir usé et abusé, il les rejette avec insolence comme des jouets inutiles. On comprend qu’il s’inquiète peu du bonheur ou du malheur du prochain et ne songe guère à sécher ses larmes.

L’amour déréglé de soi est antisocial, parce que l’égoïsme s’opposant à l’égoïsme, les intérêts se heurtent nécessairement et engendrent la lutte et la guerre. Les prétentions exagérées qu’affiche l’égoïste à la louange et à l’admiration, aux hommages des autres, mettent ceux-ci en garde contre lui et les poussent à renverser 1rs rôles et à s’emparer à leur profit et gloire de ce qui devait servir à glorifier et à exalter l’égoïste. Cette lutte des égoïsines a pour conséquence inévitable la guerre de tous contre tous et ainsi elle ébranle dans ses fondements la société civile.

L’égoïsme relatif, dont il est ici question, est le commencement de l’égoïsme absolu. A force de se rechercher soi-même, de se préférer aux autres, de faire servir les choses extérieures à son intérêt personnel exclusif, l’homme en arrive à s’aimer plus que le bien iinal infini ; il tombe dans l’égoïsme absolu, source de tous les maux.

IV. ÉGOïSME it abnégation.

L’égoïsme et l’abnégation étant deux tendances opposées de l’âme humaine, on en comprendra mieux la nature en les comparant l’une à l’autre. L’égoïste prend connue centre de ses volontés et de ses actions son propre moi et la satisfaction de ses inclinations, l’abnégation réprime les tendances désordonnées de l’amour-propre. L’égoïsme est le renversement de l’ordre moral, parce qu’il subordonne tout à ses désirs et à ses inclinations personnelles ; l’abnégation, au contraire, est l’intégration du véritable ordre moral, parce qu’elle soumet le corps et l’appétit sensible â la raison, la nature ; i 1 grâce et l’homme tout entier à Dieu ; enfin l’égoïsme est la source de tous les péchés, l’abnégation est le point de départ de toutes les vertus.

Rien de plus exprés, de plus fondamental dans la morale chrétienne que le précepte de l’abnégation. Le divin auteur du christianisme en a multiplié les formules : « Que celui qui veut être mon disciple se renonce » ; « Personne ne peut être des miens si d’abord il ne se renonce », et nombre de paroles de ce genre. Ces maximes, tous les ascètes les ont recueillies et commentées, elles forment le fond de leurs ouvrages. Le livre de l’Imitation, ce manuel par excellence de l’ascétisme chrétien, n’en est pour ainsi dire que l’admirable paraphrase. L’auteur s’est résumé lui-même en disant :  ; < Retenez bien cet axiome court et plein de sens : Quittez tout et vous recevrez tout. » La voie par laquelle il fait cheminer l’âme fidèle, c’est la voie de l’abnégation, c’est ce qu’il appelle la voie royale de la croix. Sur ce point le doux saint François de Sales ne tient pas un autre langage que l’austère saint Jérôme.

Parce que l’égoïsme absolu, fruit du péché origine !