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théologique sur la nature et l’extension de la primauté du pape.

Conclusions relatives à l’objet et au mode d’exercice de ce pouvoir législatif.

Les documents que nous venons d’analyser nous autorisent à déduire les conclusions suivantes, d’ailleurs bien nécessaires pour préciser la doctrine de l'Église sur ce point.

1. Conclusions relatives à l’objet de l’autorité législalivede l'Église. — i'e conclusion. — D’après l’institution même de Jésus-Christ, l'Église seule, chargée de la fin surnaturelle à laquelle tout doit être nécessairement subordonné, doit avoir un pouvoir souverain et exclusif sur tout ce qui, par sa propre nature ou par la fin à laquelle il est destiné, se rapporte immédiatement à cette fin surnaturelle, comme les sacrements, les objets servant au culte divin, ou les biens affectés à l’usage exclusif de l'Église.

a. C’est ce qui ressort de l’enseignement néo-testamentaire, où l'Église nous est manifestée comme revêtue par Jésus Christ de la plénitude de tout pouvoir, pour accomplir sa mission surnaturelle indépendamment de toute autorité humaine.

b. C’est aussi ce qui ressort de l’enseignement traditionnel et de la pratique constante de l'Église, d’après les preuves précédemment indiquées. Pour rendre cette démonstration plus sensible, il nous suffira de rappeler brièvement l’exemple particulier de la législation de l'Église en ce qui concerne le mariage chrétien, selon l’encyclique Arcanvm de Léon XIII du lOfévrier 1880. L’histoire atteste, de la manière la plus évidente, que le pouvoir législatif et judiciaire, en tout ce qui concerne le mariage chrétien, a été librement et constamment exercé par l'Église, même dans les temps où il serait ridicule et absurde de supposer que le pouvoir séculier eût accordé, sur ce point, à l’Eglise son assentiment ou sa participation. Car il est manifeste que les lois portées par l'Église dans les premiers siècles, sur la sainteté et la stabilité du lien conjugal, sur les mariages entre esclaves et personnes li’res, ne furent point promulguées avec l’assentiment des empereurs romains, très hostiles au nom chrétien et ne désirant rien tant que d'étouffer, par la violence et le supplice, la religion chrétienne naissante ; surtout si l’on considère que ce droit exercé par l'Église était parfois tellement en désaccord avec le droit civil, que saint Ignace martyr, saint Justin, Athénagore et Tertullien dénonçaient publiquement comme illicites et adultères certains mariages, qui étaient cependant favorisés par les lois impériales. Et quand l’autorité fut exercée par les empereurs chrétiens, les papes et les évêques réunis en concile continuèrent, avec la même liberté et avec la

même conscience de leur droit, à prescrire et à défendre, au sujet du mariage chrétien, ce qu’ils jugeaient utile et opportun, quelque différent que ce fut des lois civiles. C’est ce que montrent beaucoup de décisions sur les empêchements de mariage, édictées par les conciles de cette époque. D’ailleurs, les documents de cette même époque attestent aussi que les empereurs, loin de s’attribuer aucun pouvoir sur les mariages chrétiens, reconnurent et déclarèrent que ce pouvoir appartient entièrement à l'Église. Et cette même pratique de l'Église persévéra constamment au cours des siècles.

c. C’est enfin l’enseignement formel de l’Eglise, dans cette même encyclique Arcanum et surtout dans l’encyclique lmmorlale Dei du 1 er novembre 1885, où Léon XIII, après avoir montré qu’il doit y avoir accord et harmonie entre les deux pouvoirs établis par Dieu, le pouvoir ecclésiastique préposé aux choses divines, et le pouvoir civil chargé des choses humaines, trace à chacun sa sphère d’autorité : Quidquid igitur est in rébus humatiis quoquo modo sacrum, quidquid ad salutem animarum cultumve Dei pertinet, sive taie illud sit natura sua, sive rursus taie intelligatur pro pler causant ad quam rcfertur, id est onine in potestate arbilrioque Ecclesix, cætera vero qitee civile et polilicum genus compleclitur, rectum est civili auctoritate esse subjeela, cum Jésus Christus jusseril quæ Cxsaris sint reddi Cxsari, qux Dei Deo.

2* conclusion. — L’Eglise, en vertu de la mission exclusive qu’elle a reçue de Jésus-Christ, de diriger tous les fidèles à la fin surnaturelle, a le droit de leur commander tout ce qu’elle juge utile pour assurer cette direction efficace, et le droit d’interdire tout ce qui est capable de l’entraver. Etcomme toutes les actions humaines, appartenant à la vie individuelle ou à la vie sociale, sont, dans l’ordre actuel de la providence, nécessairement subordonnées à cette fin surnaturelle, en ce sens du moins qu’elles ne doivent jamais être en désaccord avec elle, il est évident que l’autorité ecclésiastique a sur elles et dans cette même mesure un pouvoir universel de direction. C’est l’enseignement constant de la tradition chrétienne, résumé par saint Thomas dans le texte déjà cité, De regiminc principum, l. I, c. XV. C’est l’enseignement officiel de l’Eglise, comme on peut le constater dans beaucoup de documents de Léon XIII et de Pie X, indiquant aux catholiques l’attitude qu’ils doivent garder et les devoirs qu’ils doivent observer, dans leur vie publique, ou relativement aux matières sociales et à l’action populaire chrétienne : documents que l’on aura l’occasion d'étudier dans d’autres articles.

3e conclusion. — L’Eglise, en vertu de cette mission, peut, en tout ce qui concerne la direction obligatoire vers la fin surnaturelle, exercer ce double pouvoir de commandement et d’interdiction à l'égard des sociétés chrétiennes et de leurs chefs temporels, aussi bien qu'à l'égard des individus eux-mêmes. C’est l’enseignement constant de la tradition chrétienne, du moins à toutes les époques où ce pouvoir de l’Eglise peut s’exercer dans une société chrétienne normalement constituée. C’est ce qu’indique particulièrement saint Thomas, affirmant que le pouvoir séculier est soumis au pouvoir spirituel autant que l’exige l’ordre di-ïn, c’est-àdire en ce qui appartient au salut de l'âme, et qu’en cela on doit obéir à la puissance ecclésiastique plutôt qu'à la puissance séculière, tandis qu’en ce qui concerne le bien purement civil on doit plutôt obéir à la puissance séculière. In IV Sent., I. IV, disl. XLIV, q. iii, a. 3, ad i 1 "" ; Sum. t/ieol., II » II, q. XL, a. 2, ad 3<" » ; De regimine principum, l. I, c. w.

C’est l’enseignement formel de l'Église, notamment dans les documents précités de saint Grégoire VII, d’Innocent III et de Boniface VIII.

Et, s’il est vrai que, depuis plusieurs siècles, l'Église n’exerce plus ce droit comme elle l’exerçait autrefois, par suite de l’indifférence des pouvoirs séculiers, elle l’exerce cependant encore, sous la forme qui lui reste accessible, en s’adressant directement à ses sujets catholiques, pour leur indiquer leurs devoirs dans leur vie publique et sociale. C’est notamment ce qu’a fait Léon XIII dans son encyclique Sapientix christianse du 10 janvier 1890, où il traite des principaux devoirs des catholiques dans leur vie publique.

2. Conclusion relative à l’indépendance absolue avec laquelle l’Eglise doit exercer son autorité législative. — Tout ce qui concerne l’exercice de cette autorité ayant été étudié', ou devant l'être, aux articles spéciaux sur le pape, sur les Congrégations romaines, voir t. iii, col. 1106 sq., et sur les évêques, il nous suffira de signaler ici, comme corollaire de nos thèses précédentes, l’indépendance absolue qui appartient de droit, en cette matière, à l’autorité ecclésiastique.

o) Celte indépendance absolue de l’autorité législative de l’Eglise vis-à-vis des puissances séculières, est une conséquence évidente de son institution divine comme société parfaite, exclusivement chargée de diriger à la fin surnaturelle à laquelle tout doit être subor-