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ECKART

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et autres mystiques de l’école d’Eckart. Il est vrai que ces mystiques, eux aussi, ont été parfois qualifiés de panthéistes, par exemple précisément par Cli. Schmidt, Études sur le mysticisme allemand au XIV siècle, p. 6, 103, 157, 168, 233, et, à sa suite, par P.-E. Puyol, L’auteur du livre De Imitatione Christi, I, La contestation, p. 383, 386-388, 401, 402-411, etc. Mais actuellement prévaut la tendance à les considérer comme échappant à l’accusation de panthéisme. Ch. Schmidt, op. cit., p. 103, en a fait la remarque, ils prêchèrent et ils répandirent dans leurs écrits « les profondes doctrines du maître » sans être le moins du monde inquiétés par l’Eglise. Ils ne répudièrent pas son héritage ; ils se bornèrent à adoucir, à expliquer quelquesunes de ses expressions. Cf. Z. Gonzalez, Histoire de la philosophie, trad. G. de Pascal, t. Il, p. 428, 432. Ruysbroeck lui-même, qui a paru le plus compromis de tous, cf. Gerson, Opéra, Paris, 1606, t. i, col. 460464, 482-487 ; Bossuet, Instruction sur les états d’oraison, t. I, n. 1-8, dans Œuvres, édit. Lâchât, Paris, 1864, t. xvin, p. 383-389, peut être défendu, sinon d’avoir employé, comme s’exprime Bossuet, des « expressions étranges…, exorbitantes », du moins, ce qui importe, d’être tombé dans le panthéisme, cf. A. Auger, De doctrina et meritis Joannis van Ruysbroeck, Louvain, 1892, p. 115-142 ; les Acta sanclse sedis, Rome, 1909, t. i, p. 164-167, ont publié naguère un décret de la S. C. des Rites confirmant le culte qui lui était décerné et contenant l’éloge de sa doctrine. Concluons : si, du théologien ne séparant pas le philosophe, l’on étudie tous les écrits connus d’Eckart, surtout les écrits latins, plus précis, plus doctrinaux ; si on les entend historiquement, en les replaçant dans leur milieu ; si l’on explique leur terminologie par celle du pseudo-Denys l’Aréopagite, de saint Thomas et des scolastiques, ses guides ; si on les compare avec ceux des mystiques de son école, il apparaît que maître Eckart, malgré des confusionsd’idées, des incohérences, des expressions obscures, outrées, malsonnantes, fausses, à bon droit censurées par le pape Jean XXII, n’est pas un panthéiste tout court : il a des passages panthéistes, mais qui ne font pas corps avec l’ensemble de son système. Le fond de sa doctrine est orthodoxe.

d) En quoi consiste le mysticisme d’Eckart’? — Et d’abord, Eckart est-il un mystique ? P.-E. Puyol l’a nié. « La dénomination de mysticisme allemand du XIV e siècle, dit-il, appliquée à la doctrine d’Eckart… n’est pas exacte… Tendre à l’union avec Dieu par la méthode prépondérante d’amour, voilà le mysticisme. Si… Eckart tend à l’union avec Dieu, ce n’est point de préférence par la méthode d’amour, c’est surtout par la méthode intellectuelle. » L’auteur du livre De Imitatione Christi, I, La contestation, p. 384 ; cf. p. 368, 384385, 388, 39i, et La doctrine du livre De Imitatione Christi, édit. de 1881, p. 235-277 ; édit. de 1898, p. 446-483. Assurément, si l’on s’en tient à cette définition, si tout le mysticisme consiste à aimer Dieu avec ardeur et à réaliser, par cet amour, l’union avec lui, la doctrine d’Eckart n’a rien de spécifiquement mystique. Mais cette notion du mysticisme ne s’impose pas ; elle n’est ni l’unique, ni, semble-t-il, la meilleure. Sans entrer dans les détails de ce beau sujet, disons seulement que, à s’arrêter au sens historique du mot, le mysticisme peut être entendu de façon large ou étroite. Dans un sens large, le mysticisme c’est l’union avec Dieu, l’union intime, la piété tendre. Cf..1. Pacheu, Psychologie des mystiques, Paris, 1901, p. 44-46. Dans un sens plus large encore et tout à fait impropre, mais souvent en usage, il est synonyme de religiosité vague, d’aspiration à l’idéal. Dans un sens strict, c’est l’union à Dieu, directe, sans intermédiaire, par l’intelligence, et aussi — et surtout — par l’amour. Le mysticisme faux, hétérodoxe, prétend que cette union avec Dieu

est l’œuvre des forces naturelles de l’homme, exercice normal de la raison et de la volonté, recettes de la théurgie, etc. Le vrai mysticisme déclare que l’union immédiate avec Dieu est produite par la grâce. La mystique chrétienne constitue donc « un département de l’ordre surnaturel ». M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, p. 225. Cf..1. Pacheu, op. cit., p. 40-43 ; A. Poulain, Des grâces d’oraison, traité de théologie mystique, Paris, 1901, p. 1-8 ; P. Mandonnet, Bulletin critique, 25 janvier 1901, p. 44-45. Cela étant, facile est la réponse à la question : Eckart est-il un mystique ? Il l’est certainement dans le sens large du mot, car ses écrits se ramènent à l’union avec Dieu. Il l’est encore dans le sens strict du mot, car il vise à l’union immédiate. Il admet un mysticisme orthodoxe, car, sauf dans quelques passages teintés de panthéisme et qui n’appartiennent pas au fond de son système, il proclame la transcendance divine, il n’identifie pas la substance de l’homme avec celle de Dieu, il base l’ascension de l’âme vers Dieu et vers la perfection sur la grâce. Sans doute, parlant à des chrétiens et leur montrant les sommets de la vie chrétienne, il ne leur dit point, à chaque fois, que la grâce divine est indispensable pour accomplir des actes méritoires, et, â plus forte raison, pour s’élever à l’union mystique ; de même que les Pères, traitant de l’homme concret, tel qu’il sortit des mains du créateur, établidans l’ordre surnaturel, n’éprouvaient pas le besoin de spécifier constamment que l’état primitif de nos premiers parents dépassait la nature. Il y a des choses qu’on peut sous-entendre quand on parle à ceux qui savent. Mais Eckart ne se contente pas toujours de sousentendus. Il précise que la divinisation de l’homme est l’effet de la grâce. Cf. W. Preger, Gesc/tichte der Myslik im Mittelalter, t. 1, p. 428-435 ; A. Lasson, dans Ueberweg-Ileinze, Grundriss der Geschichte der P/iilosoji/tie, t. M, p. 365-366 (ils indiquent un certain nombre de textes). Mystique, orthodoxe, â la dillérence de beaucoup de mystiques orthodoxes, qui soutiennent que l’âme atteint Dieu par la volonté et l’amour avant tout, et souvent à l’exclusion plus ou moins complète de l’intelligence, Eckart attribue le primat à l’intelligence et il subordonne l’amour à la pensée. Cf. Ch. Schmidt, Etudes sur te mysticisme allemand au XIV siècle, p. 63. En cela, une fois de plus, il se rattache au thomisme. Par cette voie, il est possible de s’acheminer à la solution de cette autre question : Eckart est-il un mystique original ? Longtemps on l’a dit ; on allait jusqu’à prétendre qu’il avait été comme le créateur de la philosophie et delà mystique allemandes. 11. Denille a combattu cette opinion. Pour lui, maître Eckart est un scolastique d’envergure ordinaire, il fut mystique comme de nombreux scolastiques l’étaient — car la mystique ne s’oppose pas à la scolastique — sans qu’il ait rien de très original, puisque sa doctrine se trouve dans les mystiques antérieurs, surtout chez les Victorins. Il y a beaucoup de vrai dans ces idées. Actuellement il est admis que la philosophie médiévale est étrangère aux préoccupations mystiques, mais qu’il n’est guère de philosophes du moyen âge, s’il en est, qui ne soient en même temps théologiens, et qu’il y a peu de théologiens, s’il en existe, qui ne confinent au mysticisme ou même, par moments, n’entrent à pleines voiles dans le mysticisme. Entre la scolastique et le mysticisme, il n’y a pas une ligne de démarcation infranchissable. Cf. Ad. llarnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. ni, p. 392-398 ; H. Delacroix, Essai sur le mysticisme en Allemagne au xn e siècle, p. 1012 ; P. Mandonnet, Bulletin critique, 25 janvier 1901, p. 42-44 ; S. M. Deutsch, Realencyklopàdie, t. v, p. 150 ; II. Lichtenberger, Revue des cours et conférences, 19 mai 1910, p. 439, 443-444. Ouvrons la Somme théologique de saint Thomas ; nous constatons que l’intellec