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ECKART

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ture est, selon son existence particulière, un non-être, et donc la demander à Dieu, c’est demander la négation de Dieu. Cet article n’est pas le seul qui se retrouve dans les œuvres latines d’Eckart. Denille y a relevé la formule des articles 1 à 7, 16 à 19, 23, 25. Il est probable qu’on s’est également servi des écrits allemands pour dresser la liste des erreurs d’Eckart. Les articles 27 et 28 sont empruntés à ses sermons, prsedicaverat duos alios articulos sub his verbis, et Ch. Schmidt, Etudes sur le mysticisme allemand au XIV e siècle, p. 19, 32, 37, 40, 41, 51, 56, 76, 78, 79, 83, 85, 88, 90, 91, 93, a signalé l’équivalent de la plupart des articles dans les œuvres allemandes qui lui sont attribuées. Les articles reproduisent-ils fidèlement la pensée d’Eckart’.’Dans sa protestation du 24 janvier 1327, Eckart réclama contre la procédure ; quant aux articles incriminés, il se plaignit non de ce qu’on les lui prêtait à faux, mais de ce qu’on les déclarait erronés dans la foi alors qu’ils ne l’étaient point. Cf. Deniile, p. 628. Dans l’acte du 13 février 1327, il s’expliqua sur deux points où on l’avait mal compris. On lui faisait un grief d’avoir prècbé m inimum meum digitum créasse omnia ; Eckart dit : illud non intellexi, nec dixi prout verba sortant, sed dixi de digitis illius parvi pueri Jkesu. En outre, tout en maintenant que l’âme, si elle était intellect par essence, serait incréée, ce qu’il entendait secundum doctores meos collegas, c’est-à-dire conformément à l’enseignement des docteurs dominicains, il observait : necefiam unrjuatn dixi, quod sciam, nec sensi quod aliquid sit in anima, quod aliquid sit anima, quod stt increatutn et increabile, quia lune anima esset peciala (= faite de pièces) excreato et increato, cujus opposition scripsi et docui, nisi (juis vellet dieere increatum vel non creatum, id est non per se créai um sed eoncreatum. Cf. Denille, p. 631-032. La bulle de Jean XXII ne semble pas avoir tenu grand compte de ces explicitions. Le premier de ces deux articles se retrouve, sous une forme adoucie mais, en somme, équivalente, dans l’article 13 condamné par la bulle ; le second figure à peu près tel quel dans la bulle sous le n. 27. II est vrai que les explications d’Eckart ne paraissent ni pleinement satisfaisantes en elles-mêmes ni en parfait accord avec ses écrits. A tout prendre, et quitte à voir de près quelques détails, on peut dire que « les vingt-huit propositions se trouvent dans lesj’écrits latins ou allemands de maître Eckart. » II. Delacroix, Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au XIV siècle, p. 236.

2° Le mysticisme d’Eckart. — Manifestement les articles condamnés par Jean XXII sont imprégnés de panthéisme. Par ailleurs, il est entendu que maître Eckart doit être classé parmi les mystiques. Quelle est la nature de son mysticisme.’jusqu’où va son panthéisme’.’jusqu’à quel point il a suivi la scolastique ou, s> cariant d’elle, il a frayé les voies à la Réforme et à la philosophie de Hegel ? ce sont là autan ! de questions qu’on a discutées et sur lesquelles l’entente n’est pas encore faite.

1. Opinions. — Sans parler des disciples immédiats d’Eckart, tels que Tauler et Suso (voir à la bibliographie), qui lui gardèrent un souvenir fidèle et le proclamèrent un théologien admirable, il se rencontra des dominicains qui vantèrent sa doctrine et essayèrent d’atténuer ce qu’elle eut de répréhensible, par exemple, B/.ovius, Annal, ecclesiast., ad annum 1337, n. 14 ; Quétif et Echard, Scriplores ordinis prsedicatorum, t. i, p. 507. Haynaldi, Annal, ecclesiast., ad antuiin 1329, n. 70, 72, fit une charge à fond contre maitre Eckart, qu’il traita de blasphémateur et d’hérésiarque. D. Bernino, Historia di lutte l’heresie, t. m, p. 459460, tint le milieu entre ces opinions extrêmes, et le dominicain Noèl Alexandre, Hisl. ecclesiast., édit. de Mansi, Venise, 1778, t. VIII, p. 80-81, protesta contre les éloges de Tauler etdeBzovius. La plupart des histo riens qui s’occupèrent de maitre Eckart ne le firent guère qu’en passant, et se bornèrent à rappeler les articles condamnés par Jean XXII. Voir encore Schrodl dans Kirchenlexïkon, 1™ édit., trad. I. Goschler, Dictionnaire encyclopédique de la théologie catholique, 3’édit., Paris, 1869, t. vu, p. 66-67.

Avec Ch. Schmidt s’ouvrit la période scientifique des recherches relatives aux doctrines mystiques du moyen âge. Dans plusieurs travaux, mais principalement dans ses Éludes sur le mysticisme allemand au XIV e siècle, lues à l’Académie des sciences morales et politiques d’octobre 1845 à janvier 1846, et publiées en 1817, il s’appliqua à dégager la physionomie intellectuelle d’Eckart et à préciser retendue de son rôle. Or. d’après Schmidt, p. 31, « la doctrine tout entière de maitre Eckart peut se résumer en ces mots : Dieu seul est, rien n’est hors de lui ; toute existence finie n’est qu’apparence, et n’existe qu’autant qu’elle est en Dieu et qu’elle est Dieu lui-même, ce qu’elle est quand elle est dépouillée de sa forme contingente ; pour arriver à cette connaissance, il faut faire abstraction de tout ce qui est fini, il faut que l’esprit de l’homme annule toutes les bornes de sa nature, en se détournant de tout ce qui est créé et en renonçant à son propre moi. » C’est le panthéisme pur, et non point partiel, mais intégral, systématique, englobant tout : entre les personnes divines, comme entre Dieu et la création, pas de différence réelle. Schmidt conclut son exposition détaillée du système eckartien par ces mots, p. 100 : « C’est le panthéisme idéaliste le plus absolu, bien dillérent de cet autre panthéisme qui établit une grossière identité objective entre Dieu et le monde visible, et où ce dernier conserve son existence matérielle, car Dieu est seul ; hors de lui rien n’existe ; tout ce qui semble être hors de lui n’est qu’un contingent, un phénomène ; le lini, comme tlit Hegel, n’est qu’un moment de la vie divine. Le monde, il est vrai, est la création, ou plutôt la manifestation, l’apparition extérieure de Dieu ; mais il est tout cela éternellement, nécessairement, sans cette manifestation, Dieu n’est pas ce qu’il est, bien qu’elle ne soit rien en elle-même : elle rentre éternellement en Dieu. » Ce n’est pas par hasard que Schmidt nomme Hegel ; il dit à plusieurs reprises, p. 9, 11, 26, et il s’ell’orce de démontrer, dans les p. 256-278 qui terminent son volume, que les analogies « sont frappantes » entre l’hégélianisme et le mysticisme eckartien, p. 257. Cf. 11. Marlensen, Meister Eckart, eine theologische Studie, Hambourg, 1812, qui le premier avait développé cette thèse. Et, si la philosophie de Hegel est Tabou tisse ment logique des doctrines d’Eckart, cet <i homme d’un grand génie » que fut Eckart dépendit de la secte des frères du libre esprit (voir ce mot), dont il voulut transplanter le « mysticisme panthéiste » sur le sol de l’Église, « en réunissant en un système spéculatif leurs idées populaires et peu cohérentes, » p. 5, 21 ; cf. p. 6, 15, 28, 82-83, 101, 2711. En outre, Eckart protesta « contre le mérite que l’Eglise attribuait aux bonnes œuvres », p. 84, ce qui revient à dire qu’il fut un précurseur de la Réforme. Du reste, il croit être et veut être parfaitement orthodoxe ; il bat en brèche la foi catholique, mais sans en avoir conscience. Cf. p. 99. Les Etudes de Schmidt firent époque. Cf. déjà B. Saint-Hilaire, dans Compte i-endu des Séances et’travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1810, t. ix, p. 487-497. Au premier rang des travailleurs de son « école » il convient de citer Aug. Jundt (voir à la bibliographie). Les conclusions de Schmidt ont passé, en tout ou en partie, dans une foule de livres, dont les auteurs le nomment et se réclament de lui, cf., par exemple, Puyol, La doctrine du livre De lmilalione Christi, Paris, 1881, p. 406-409, et L’auteur du livre De Imilatione Christi, !, La eonI testalion, Paris, 1899, p. 375-380, P. Janet et G. Séailles,