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ECKART

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peu décourageante : « Où trouver un sermon d’Eckart qui nous soit vraiment parvenu en bon état ? » 11 ne semble pas qu’Eckart ait rédigé lui-même ses sermons, au moins habituellement. Ils ont été reproduits, tant bien que mal, par des auditeurs qui avaient d’autant plus de peine à atteindre l’exactitude, qu’il s’agissait de questions extrêmement difficiles. Ajoutez à cela que les copistes ont leur part de responsabilité dans le mauvais état du texte : transcriptions médiocres, mutilations, condensation de longs passages et parfois, peut-être, de sermons entiers en quelques brèves sentences plus ou moins exactes, tels sont quelques-uns de leurs méfaits. Enfin, il est très malaisé, pour ne pas dire impossible, de distinguer l’œuvre d’Eckart de celle de ses disciples. Cf. Josles, op. cit., p. ix-xiii. H. Delacroix, Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au xive siècle, p. 150-154, tout en constatant ces lacunes, rappelle que Pfeiffer lui-même jugeait son édition d’Eckart incomplète, et déclare qu’elle esta refaire, mais pense qu’  « il ne faut pas désespérer de la critique, » p. 153 ; moins confiant, Jostes, op. cit., p. ix, dit que, même si l’on prévoyait la découverte de nouveaux manuscrits, à peine pourrait-on concevoir l’espérance de pouvoir présenter un jour les textes authentiques, et qu’aussi bien il est fort douteux que Pfeiffer trouve un successeur qui remplace par une bonne édition l’édition de Pfeiffer « tombée depuis longtemps dans le domaine des bouquinistes. » Dans cette pénurie de renseignements surs, il est impossible de fixer, même de façon approximative, la chronologie des sermons d’Eckart et de ses Iraités, fort ressemblants aux serinons. Preger s’y est essayé, Gesckichte der deutschoi Mystik, t. i, p. 309317 ; il a cru distinguer trois phases dans le développement de la doctrine eckartienne, caractérisées la première par l’affirmation du primat de la volonté, la deuxième par celle du primat de la raison créée, la dernière par la théorie du primat de la raison incréée. Ce sont là « suppositions ambitieuses », qui ne s’appuient sur rien de solide, et auxquelles, < en l’état actuel des choses, il faut renoncer, » dit justement H. Delacroix, op. cit., p. 168.

Ecrits latins.

On savait que Nicolas de Cues (mort en 1464) avait connu de nombreux écrits d’Eckart, en dehors de ses serinons. Cf. son Apolugia doctse ignorantise, dans Opéra, Paris, 1514, fol. 39 : Ait se niulta ejus expositoria opéra hinc inde in librariis vidisse saper plerosrjue libros Biblise, et sermones multos, ilisputata multa, atque etiam plures legisse articulas ex scriptis ejus super Joannem extrados, ab aliis notatos et refutatos. Trilhème (mort en 1516), De scriptoribus ecclesiasticis, Paris, 1494, fol. 118, recto, donne cette liste des ouvrages latins d’Eckart : Super Sententias libri IV ; In Genesim ; In E.vodum ; In librum Sapientiæ ; In Cantica Canlicorum ; In Evangelium Johannis ; Super oratione dominica ; In capitulo prædicatorum sernto ; Positionum suarum ; Sermones de tempore ; Sermones de sanctis. Jusqu’à ces derniers temps, toute cette littérature était tombée dans l’oubli. En août 1880, H. Denille en trouva des fragments dans un manuscrit de la bibliothèque d’Erfurt (voira la bibliographie) ; ils proviennent surtout de la troisième partie d’un grand ouvrage, VOpus tripartitum, qui comprenait VOpus propositionum, VOpus quæstionum et VOpus exposi tionum. Un peu plus tard, Denille trouvait, dans la bibliothèque de l’hôpital de Cues, un second manuscrit, de 1444, plus récent d’une centaine d’années que celui d’Erfurt, mais meilleur et plus riche. Evidemment V Opus expositionum correspond au Positionum suarum du catalogue de Trithème (il faut donc rayer de l’édition de Pfeiffer le traité qu’il a intitulé indûment Liber positionum, car non seulement le titre est inexact, mais le traité entier n’est très probablement pas d’Eckart). Denille a publié une partie de

ces fragments, ainsi qu’un Sermo in die beati Auguslini. Il a montré que la glose sur l’Evangile de saini Jean, éditée par Pfeilfer, paraît être une traduction et un remaniement de l’exposition latine d’Eckart sur cet Évangile, et que, parmi les fragments allemands de l’édition de Pfeiffer, il en est qui sont traduits du latin d’Eckart. Mais surtout Denifle a établi les conclusions suivantes : la plus grande partie des écrits d’Eckart, et, parmi eux, les plus caractéristiques, ceux dans lesquels il procède systématiquement et discute les bases de son enseignement, les Libri propositionum et les Libri quæstionum, ne sont pas encore retrouvés ; ces écrits ont été rédigés eu lalin ; les écrits allemands d’Eckart représentent seulement une portion minime de son œuvre.

III. Doctrines.

1° Les vingt-huit articles condamnés par Jean XXII. — La bulle In agro dominica de Jean XXII, condamnant (27 mars 1329) les erreurs d’Eckarl, a été souvent publiée, par exemple par Raynaldi, Annal, ecclesiast., ad annum 1329, n. 70-72, d’après les registres de Jean XXII aux archives vaticanes, et récemment par H. Denifle, Arc/ne far Littéral ur und Kircliengeschicltte des Mittelalters, t. ii, p. 636639. Voici les vingt-huit articles d’Eckart qui en sont extraits, d’après Denzinger-Bannwart, Enchiridion symbolorum, 10° édit., Fribourg-en-Brisgau, 1908, n. 510529, p. 214-216, reproduisant le texle de Denille.

Interroijutus quandoque quare Deus mundum non prias produxerit, respondit…

1. Quod Deus non potuit primo producere mundum, quia res non potest agere antequani sit ; unde quam cito Iléus fuit, tam cito mundum creavit.

2. Item concedi potest mundum fuisse ab seterno.

3. Item simul et semel quando Deus luit, quando Filium sibi coaHernum peromnia coæqualem Deuin gentil, etiam mundum creavit.

4. Item in omni opère, etiam malo, malo, inquam, tam pœme quam culpa ?, manifestatur et relucet ajqualiter gloria Dei.

5. Item vituperans quempiam vituperio ipso peccato vituperii laudat Deum, et quo plus vitupérât et pravius peccat amplius Deum laudat.

G. Item Deum ipsum quis blasphemando Deum laudat.

7. Item quod petens hoc aut lioc malum petit et mate, quia negationem honi et negationem Dei petit, et orat Deum sllii negari.

8. Qui non intendunt res, nec honores, nec utilitatem nec devotionem inteinam, nec sanctitatem, nec pnemium, nec regnum cœlorum, sed omnibus his renuntiaverunt, etiam quod suum est, in illis hominibus honoratur Deus.

9. Ego nuper cogitavi utrum ego vellem aliquid recipere a Deo vel desiderare : ego volo de hoc valde bene deliberare, quia ubi ego essem accipiens a Deo ibi essem ego sub eo vel

Interrogé quelquefois pourquoi Dieu >i’a pan produit plus t’it le monde, il a répondu…

Que Dieu n’a pas pu d’abord produire le monde, parce qu’on ni peut agu Avant d : tre d au dés que Dieu fut, aussitôt il créa le monde.

De même mi peut accorder que le monde fut de toute éternité.

De morne une fois et en m. in.’temps que Dieu fut, qu’il engendra son fils Dieu coéternel et cuégal en toutes choses, il créa aussi le monde.

De même dans toute œuvre, même mauvaise, mauvaise, dis-je, tant du mal de la pe’ne que de la Coulpe. se manifeste et brille également la gloire de Dieu.

De même celui qui blâme le prochain de manière à commettre le péché celui-là loue Dieu par son péché même, et plusil blâme et plus gravement il pèche, plus il loue Dieu.

De même celui qui blasphème Dieu loue Dieu.

De même celui qui demande Ceci ou cela demande du mai et mal, car il demande la négation du bien et la négation de Dieu, et il demande à Dieu de se nier soi-même.

Ceux qui n’ont pas en vue les biens, ni les honneurs, ni l’utilité, ni la dévotion intérieure, ni la sainteté, ni 1^ récompense, ni le royaume des cieux. mais ont renoncé à toutes ces choses, même à ce qui est à eux, c’est en ces hommes là que Dieu est honoré.

J’ai récemment pensé à ceci : voudrais-je recevoir quelque chose de Dieu ou le désirer ? Là-dessus je veux très bien délibérer, car là où je serais en recevant quelque chose de