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ECKART


reçut des plaintes sur des frères d’Allemagne qui prêchaient, en langue vulgaire, des choses qui pouvaient facilement induire en erreur un auditoire ignorant. Cf. Ch. Schmidt, Éludes sur le mysticisme allemand au XIV siècle, p. 15-16. l’eut-être les prédications d’Eckarl furent-elles pour quelque chose dans ces doléances et dans les mesures qu’elles suscitèrent ; mais ce n’est pas sur. Cf. II. Denille, Archiv fur Lilleratur und Kirchengeschichte des Mittelalters, 1886, t. ii p. 623.

En 1326, Eckart eut affaire avec l’inquisition épiscopale. Nous ne savons pas s’il fut mêlé, à un titre quelconque, au procès instruit contre les héghards de Cologne. Voir t. ii col. 530-531. Mais ce qui est bien connu, c’est que l’archevêque de Cologne, Henri de Virnebourg, après avoir procédé à la répression du héghardisme, cita maître Eckart devant son tribunal comme suspect d’hé résie. Or, le 1 er août 1325, le pape Jean XXII avait chargé Nicolas de Strasbourg, professeur de théologie au couvent de Cologne, conjointement avec un autre dominicain, Benoit de Corne, de surveiller les maisons de la province allemande et de remédier à des abus contre la discipline. Son mandat ne comprenait pas, du moins explicitement, l’examen et le jugement des questions doctrinales. Il retint cependant par devers lui le procès d’Eckart, peut-être parce que « l’archevêque s’appuyait sur le témoignage de quelques frères de l’ordre, personnages, du reste, assez suspects. Les désordres que cette dissension devait amener au sein du couvent de Strasbourg rentraient dans la compétence » de Nicolas de Strasbourg. Cf. H. Delacroix, Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au XIV siècle, 1899, p. 222, note 2. Le 14 janvier 1327, par devant les inquisiteurs de l’archevêque, un maître en théologie et un franciscain, Nicolas protesta contre une accusation fausse et une enquête insuffisante dans une cause si grave et ardue. Le lendemain, il protestait de nouveau, et déniait à l’archevêque et à ses commissaires le droit de passer outre, pour cette raison que le pape l’avait muni du pouvoir d’enquêter et de juger en toutes choses, et que les dominicains n’étaientpas soumis à l’inquisition épiscopale. Cf., sur ce dernier point, H.-C. Les, Histoire de l’inquisition au moyen âge, trad. S. Reinacli, Paris, 1903, 1. 1, p. 410, 411, note ; L. Tanon, Histoire des tribunaux de l’inquisition en France, Paris, 1893, p. 252. Le même jour, il lançait une troisième protestation, et demandait ses apostoli, ou lettres d’appel au pape. Maître Eckart à son tour proteste énergiquernent contre le procès et la procédure, déclarant qu’on lui reproche des doctrines qui ne sont pas erronées et qu’on prolonge à l’excès un procès qui devrait être fini depuis six mois, que, du reste, il a toujours offert d’obéir au légitime jugement de la sainte Église, et que les commissaires épiscopaux n’ont pas ledroit de rouvrir l’enquête de Nicolas de Strasbourg, dont les résultats lui ont été favorables ; il en appelle au pape et réclame ses apostoli (2’t janvier). Le 13 février, dans l’église des dominicains, il fait lire, en présence d’un notaire, un papier où il se lavait des accusations d’hérésie, portées contre lui ; à mesure qu’un article est lu en latin, luimême l’expose au peuple en langue vulgaire ; il révoque d’avance toute erreur sur la foi ou les mœurs qui serait trouvée dans sesécritsou dans ses paroles, et s’explique spécialement sur deux articles qu’on lui reproche. Le 22 février, l’appel d’Eckart au Saint-Siège est repousse’1 comme frivole. Néanmoins, l’affaire est portée devant la curie romaine. Eckart n’eut pas le temps d’en voir la fin. Il mourut en 1327. Cf. VV. Pregcr, Geschichte der deutschen Mystik, t. r, p. 362, note 2. Le jugement du Saint-Siège ne fui rendu que le 27 mars 1329. Jean XXII y déclarait que la conduite de l’archevêque de Cologne avait été régulière ; il condamnait vingt-huit propositions d’Eckart, dix-sept comme hérétiques, les autres comme malsonnantes, téméraires et suspectes

d’hérésie. En terminant, le pape disail : « Comme il conste par un acte public, Eckart, in fine vitse suée, professant la foi catholique, révoqua et réprouva ces vingt-six articles (les n os 1-26 condamnés par la bulle), et, en même temps, tout ce qu’il aurait pu écrire ou enseigner, tant dans ses prédications que dans ses leçons, qui pourrait engendrer dans l’esprit des fidèles un sens hérétique ou erroné et ennemi de la vraie foi…, se soumettant, lui et ses écrits et toutes ses paroles, au jugement du siège apostolique et au nôtre. » Cf. Denille, Archiv fur Litteratur und Kirc/ienrjeschichte des M ittellallcrs, 1886, t. ii p. 637. On s’accorde généralement à voir dans ces lignes une allusion à l’acte du 13 février 1327 ; c’est même pour ce motif, parce que la bulle de Jean XXII spécifie que la rétractation d’Eckart eut lieu in fine vitse suie, que S. M.Deutsch, dans Realencyklopâdie, 3e édit., Leipzig, 1898, t. v, p. 146, déclare qu’en l’absence de loute autre donnée sur la mort d’Eckart (il ne discute ni ne mentionne les indications de Preger), il faut supposer qu’elle ne fut guère postérieure à l’acte du 13 février. H. Delacroix, Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au XIV siècle, p. 238, cf. p. 228, estime qu’  « on perçoit, à travers l’ambiguïté de ce passage » de la bulle, « le désir de favoriser une équivoque », et défaire « une rétractation explicite particulière et absolue », d’une rétractation « implicite, formelle, conditionnelle », Eckart s’étant « réservé le droit de réclamer qu’on lui montrât son erreur. » Ce jugement sévère appelle deux réserves. D’abord, il n’est pas exact qu’Eckart se soit soumis à l’Église conditionnellement, pourvu que sa « correction fût légitime et qu’on lui prouvât son erreur » ; il révoque tout ce qui, dans ses écrits ou dans ses discours, pourrait être trouvé erroné en matière de foi, si quiderronium (sic) reperlum fuerit, ou susceptible d’un sens fâcheux, quwcumque reperiri polerunt habere intellectum minus sanu71i, cf. Denille, Archiv fur Litteratur und Kirchengeschichle des Mittelalters, t. ii p. 631, 632 ; les deux mots repertum fuerit et reperiri polerunt se rapportent manifestement à l’Eglise, à qui il appartient de dire s’il y a, dans les sermons ou dans les écrits d’Eckart, des erreurs ou des expressions malsonnantes, et dont Eckart, d’avance, accepte le jugement. En outre, est-ce bien sûr que la bulle vise i’acle du 13 février ? A deux reprises, dans le préambule et dans la finale, la bulle porte qu’Eckart a confessé avoir enseigné les vingt-six articles qui sont condamnés ; elle ne fait aucune allusion à la plainte d’Eckarl d’avoir été mal compris ; elle cite deux propositions qu’on a reprochées à Eckart, or, l’une seulement de ces propositions apparaît dans l’acte du 13 février, et d’une seconde proposition qui fut objectée à Eckart et qu’il expliqua dans l’acte du 13 février la bulle ne dit rien. Bref, enlre l’acte du 13 février 1327 et la bulle du 17 mars 1329 il n’y a pas concordance. Au lieu de prêter au pape, sans preuves suffisantes, un mensonge, ne pourrait-on pas admettre tout simplement, avec D. Bernino, Historia di lutte l’heresie, Venise, 1721, t. iii, p. 459, que maître Eckart se rétracta explicitement après le 13 février 1327, et que de celle rétractation un acte fut dressé qui ne nous est pas connu, sinon par la bulle de Jean XXII ?

II. Œuvres. — 1° Écrits allemands. — Nos éditions (voir à la bibliographie) des œuvres allemandes d’Eckarl sont très incomplètes et défectueuses. Eckart prêcha beaucoup, d’ordinaire en allemand. Il s’adressa à des auditoires divers : frères de son ordre, frères d’autres ordres, religieuses, béguines, peuple. Les couvents de dominicaines, en particulier, principalement ceux {le Strasbourg— il y en avait sept — l’entendirent souvent. Mais ses sermons nous sont parvenus en assez petit nombre, et dans un état déplorable, si bien que F, Josles, Meister Eckart und seine Jùnger, Fribourg (Suisse), 1895, p. xi, a pu écrire cette parole quelque