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ECGLESIASTE (LIVRE DE L’2018

but, l’auteur use de la méthode socratique (sceptical method of induction) ; il suspend la décision finale jusqu’au moment où la vérité a été rendue tout à fait évidente. Ginsburg, p. 211 sq.

3. Il n’est pas de livre de l’Ancien Testament où l’on n’ait pensé trouver plus d’erreurs philosophiques que dans l’Ecclésiaste. C’est dans chacun de ses versets presque, que l’on a voulu découvrir des traces de l’un ou l’autre de ces systèmes qui se nomment le pessimisme, le déterminisme ou fatalisme, le matérialisme, le scepticisme ou l’épicuréisme. — a) Quelques anciens l’avaient déjà accusé de professer une sorte de manichéisme en proclamant vaines toutes les créatures, que Dieu cependant avait trouvées bonnes (i, 2, contre Gen., I, 31) ; et les Pères avaient aussi déjà répondu à cette difficulté en observant qu’il s’agissait là, pour les choses de ce monde, d’une vanité relative seulement, si on les compare à Dieu ou aux choses de Dieu. Voir S.Jérôme, Comm. in Ecclesiasten, P.L., t. xxiii, col. 1066 ; pseudohlhanase, Syimrsis $crij>luræsacræ, xxui, P. G., t. xxviii, col. 349 ; S. Grégoire de Nysse, In Ecole., homil. i, P. G., t. xliv, col. 621 ; S. Chrysostome, In Eph., homil. xii, 1, P. G., t. lxii, col. 89, etc. ; Philastre, cité plus haut, col. 2012. Mais de modernes pessimistes n’en ont pas moins prétendu retrouver le fond de leur doctrine dans les traits du sombre tableau que l’Ecclésiaste nous a fait du monde, de la société et de la vie. Un disciple de Schopenhauer, Maurice Venetianer, identifie en quelques points (i, 18 ; IV, 1) le sentiment de l’auteur hébreu avec la théorie de son maître. Schopenhauer als Scholastiker, Berlin, 1873, p. 275. A. Taubert, la première femme d’Edouard von Hartmann, dont le mari systématisa les idées du philosophe antihégelien, appelle même les c. i-m et iv, 1-4, de l’Ecclésiaste un « catéchisme du pessimisme » et n’en trouve pas la doctrine essentiellement différente de celle du maître. Der Pessimismus und seine Gegner, Berlin, 1873, p. 75, 85 sq. — 11 y a sans doute dans le livre du Qôhélef un cachet de pessimisme non niable. Les réflexions de son auteur sur la nature et son uniformité déprimante, c. i ; sur le sort pareillement misérable du sage et de l’insensé au jour de la mort, ii, 14 sq. ; sur la destinée commune de l’homme et de la bête ici-bas, ni, 18 sq. ; sur l’injustice qui règne partout, là même où elle devrait être impossible, ni, 16 ; iv, 1 sq. ; v, 7 sq., et qui paraît être à la base de la rétribution faite au juste et au méchant, iivi 9 sq. ; îx, 2 sq. ; sur le mauvais naturel qui semble être le propre de la femme, vu, 26 sq., ne le prédisposaient guère à prendre de la vie une idée bien réjouie ; et l’on conçoit que sous l’empire de l’impression première, née de ces sombres réflexions, il ait maudit l’existence, ii, 17, et trouvé la mort préférable à la vie, IV, 2 sq. Il ne faut point s’y tromper cependant. Tout le Qôhélef n’est pas dans ces traits. Son humeur, pleine de contrastes, contient par ailleurs une forte dose, et très sensible, d’optimisme. Il y a, pour lui, un remède à tous ces maux, un refuge dans toutes ces afflictions. L’Ecclésiaste a foi en Dieu, qui a bien fait toutes choses, iii, 14, 15, tandis que Schopenhauer et Hartmann sont de purs athées. S’il y a temps pour les injustices apparentes du sort, il y a temps aussi pour le jugement de Dieu qui jugera le juste et le méchant, iii, 17. La lumière (la vie) a aussi sa douceur, xi, 7 ; à tout prendre, elle vaut encore mieux que la mort, ix, 4. C’est la femme de mauvaise vie seule dont le cœur est un filet ; elle n’y prend que le pécheur ; le juste craignant Dieu lui échappe, iiv 26 ; l’autre, la bonne, justement chère, peut faire à son mari une existence relativement heureuse, IX, 9. — b) Mais précisément, parce que Dieu régit toutes choses souverainement et uniformément, iii, 14-15 ; parce qu’il est plus fort que l’homme, vi, 10, et que celui-ci est prisonnier de son destin comme le poisson dans le filet, l’oiseau

DICT. DE THÉOL CATHOL.

dans le piège, ix, 12, ne sachant rien de son sort « placé devant lui », tout entier « dans la main de Dieu », ix, 1-2, et n’y pouvant rien par sagesse ou par folie, ii 14-16, le Qôhélef ne prèche-t-il pas maintenant le fatalisme, le déterminisme ? (Luther et quelques modernes ; cf. Zapletal, Bas Bnch Kohélet, Fribourg, 1905, p. 82.) — Non plus, car Dieu en agissant ainsi, c’est-à-dire en ne dévoilant rien aux hommes de la conduite de ses desseins, n’agit point en puissance aveugle ; il a un but, surtout moral : il veut qu’on le craigne, ni, 14. N’est point réellement fataliste, du reste, qui conseille, iv, 17-v, 6, etc., et presse de bien agir en vue d’échapper au jugement de Dieu, iii, 17 ; iivi 12 ; xi, 9 ; xii, 14. — c) Matérialiste, l’Ecclésiaste nierait simplementl’immortalité de l’âme : l’homme n’est rien de plus qu’une bête ; venu comme elle de la poussière, comme elle à la poussière il retourne, iii, 19-20 ; nul n’a jamais su ce que devenait l’âme après la mort, si elle « montait en haut » pour l’homme, si elle « descendait en bas » pour la bête. Ibid., 21. Ce que l’homme a de mieux à faire ici-bas, n’est-ce pas alors de jouir de la vie, iivi 14, 15, sans souci de l’avenir, qui est un néant, xi, 8, de l’audelà, où les morts ne jouissent d’aucun bien, IX, 4, 5 ? Knobel ; De Wette, Lehrbuch der liist.-krit. Eiideitung in dus A. Test., Berlin, 1852, § 282, 283 ; Heuss, Die Geschichte der heil. Schriften des A. T., Braunschweig, 1890, p. 573. Cf. Ginsburg, p. 213 sq. ; Zapletal, o/>. cit., p. 75 sq., 83. — Dans le passage incriminé particulièrement (ni, 19 sq.), l’Ecclésiaste, qui distingue dans l’homme, par ailleurs, xi, 5, et xii, 7, le corps et le « souffle de Dieu » (cf. Gen., ii 7), n’affirme aucunement le néant de l’homme après la mort, puisqu’il croit au scliéol, où subsiste encore pour lui quelque chose de la personnalité humaine, et dont il parle dans les mêmes termes que les autres livres de l’Ancien Testament, ii 14 sq. ; IX, 5, 10. Ce qu’il nie, ou plutôt ce qu’il repousse, c’est l’idée que, sous le rapport du souflle de Dieu « retournant à Dieu qui l’a donné », xii, 7, le sort de l’homme et celui de la bête soient dissemblables ; et en affirmant sous forme interrogative, pensant bien que nul ne le voudra contredire, la similitude absolue de l’un et de l’autre sort, il se tient simplement à la vieille doctrine que les animaux participent aussi bien que l’homme à ce souffle divin qui les fait vivre Cf. Gen., ii 7 ; Job, xxviii, 3 ; xxxiv, 14, 15 ; Ps. civ, 29, 30. Son argumentation est claire : admettre que « le souille de la bête descend en bas dans la terre », ni, 21 b, quand celui de l’homme « monte en haut », ni, 21a, « vers Dieu », XII, 7, ce serait nier que « tout va dans le même lieu », ni, 20a, « la poussière à la poussière », 20 b, « le souflle, qui est le même chez tous », m, 19 6, au souflle créateur ; mais qui voudrait l’admettre, 21, o et b ? « Le sort des fils de l’homme et celui de la bête est donc pour eux un même sort », 19 a. Ainsi n’est point niée non plus l’immortalité de l’àme, puisque l’Ecclésiaste suppose dans l’homme, avec Gen., n, 7, comme un triple principe : le corps qui est poussière ; le souflle vital, qui vient de Dieu et retourne à lui ; la personne, l’âme, l’ombre, la néphesch hébraïque, qui se rend au schèol. Autres réponses dans Cornely, Introductio specialis, t. ii 2, p. 179 sq. ; Vigouroux, Manuel biblique, 12’édit., Paris, 1906, t. ii, p. 522-523 ; Zapletal, (>i>. cit., p. 83, p. 77-80. — d) Parce qu’il nie que l’homme puisse « connaître l’œuvre de Dieu », VIII ; 17 ; xi, 5, et que tous les elforts soient dépensés en vain qui ont pour objectif l’acquisition de la science et de la sagesse, i, 17, 18 ; ii 13-15 ; iii 11 ; iiv 14, 23-28 ; parce qu’il suspend son jugement avec une sorte de désespérance à l’endroit de la réponse, à chaque fois qu’il interroge : « Qui sait… ? » ii 19 ; ni, 21, 22 ; vi, 12 (vin, 7 ; x, 14), l’Ecclésiaste est-il un sceptique, et fait-il profession avouée de pyrrhonisme. Umbreit, Cuheleth scepticus de sumnw boni), Gœttingue, 1820 ;

IV.

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