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ECCLÉSIASTE (LIVRE DE L’)

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mentaires, les philosophes juifs commençaient à se préoccuper des difficultés et des apparentes contradictions du livre, dont les all<5goriseurs dos premiers temps avaient donné aisémenl des solutions orthodoxes. L’opinion générale parait avoir été que l’Ecclésiaste rapportai ! simplement et examinait pour en tirer une leçon morale les opinions diverses, opposées même, qui s’étaient manifestées jusqu’à lui sur le train des affaires de ce monde et la destinée de l’homme. Aben Esra, citant un commentateur ; le Zohar (XIII e siècle ; li. Salomon bon Mélech, MiclilaL Jôphi (XV e sièclei. Ginsburg, p. 56 sq., 59, 66.

3. I)ans les siècles suivants et jusqu’à la fin du XVIII e, l’exégèse grammaticale subissant une éclipse marquée, ces difficultés n’occasionnent que peu ou pas de trouble dans les esprits ; le livre du Qôhélet est parfaitement orthodoxe en toutes ses assertions, qui sont l’expression des plus sublimes vérités et contiennenl les plus hautes leçons de la célesle sagesse ; le commentaire redevient allégorique, cabalistique, abondant en cilations midraschiques et rabbiniques ; le but de Salomon écrivant ce livre dans les conditions que l’on sait a été de nous enseigner la parfaite vanité des choses terrestres et de nous apprendre que le grand objet de la vie ici-bas est de perfectionner son âme en vue de gagner le monde à venir. R. Isaac Ara ma h ; Élisa Galicho ; Moïse Alschech. Ginsburg, p. 66 sq. Le triomphe de la méthode, c’est les commentaires d’Élie Loanz et de Moïse Landsberger : le livre n’a ni dessein arrêté, ni sens littéral ; toute assertion y est affaire de combinaisons numériques et alphabétiques (Landsberger) ; les difficultés s’évanouissent, car « si une tête vide peut bien s’abriter sous la lettre, il n’y a aucune raison pour des hommes saines de brûler un livre (où l’exégèse allégorique fait trouver) de si sublimes senliments » (Loanz). Ginsburg, p. 74 sq. Il se produit cependant, à la fin du XVIII e siècle, alors qu’il se fait ailleurs un renouvellement dans l’exégèse biblique, un retour définitif au sens littéral et grammatical. Mendelssohn pense que Salomon écrivit le Qôhélet pour proposer la doctrine de l’immortalité 1 de l’âme et enseigner la nécessité de mener une vie agréable et satisfaite, entremêlant la démonstration de leçons diverses sur quelques autres points de moindre importance. Son digne élève, David Friedlânder, résout les difficultés en faisant de l’auteur « un philosophe dont c’est la tâche naturelle d’examiner les opinions contraires, d’écouter toutes les objections pour y répondre…, mais qui laisse transpirer tout cela du fond de son âme, et ne craint pas de penser tout haut. Il ne faut le juger pourtant, pour lui être juste, que sur la fin de sa contemplation : Crains Dieu, etc. » Ginsburg, p. 78 sq.

2° Chez les Pères ri écrivains ecclésiastiques. — i. Dans l’antiquité. — Comme les auteurs midraschiques et tous les commentateurs juifs qui ont eu peu de souci d’analyser le livre par le moyen d’une exégèse purement littérale, les Pères et autres écrivains chrétiens ont vu dans l’Ecclésiaste un traité du néant, de la vanité des créaturesterrestres, l’enseignemenl du mépris du monde, en vue de nous amener à la seule contemplation des choses célestes, Grégoire le Thaumaturge, Metaphrasis, i, I, 2, P. G., t. x, col. 988-989 ; au désir des perceptions du suprasensible, Grégoire de Nysse, In Evclr., homil. i, P. G., t. xi.iv, col. 620 ; à la vie ascétique, vouée totalement au service de Dieu, S. Jérôme, lu Eccle., prsef., P. L., t. xxni, col. 1061 ; Epîst., cvn, ad Lœtam, 12, P. L., t. xxn, col. 876 : vue que saint Augustin formulait ainsi d’originale façon : « Ayant découvert la vanité de ce monde, le plus sage des hommes n’écrivit ce livre que pour nous faire désirer cette vie qui ne comporte point de vanité sous le soleil, mais où brille la vérité sous celui qui a fait le soleil, o Dr civ. Dei, 1. XX, c. m, P. /.., I. xi.i, col. 661.

Le commentaire, de caractère moral, devient fort souvent allégorique. Ainsi Grégoire de Nysse applique i, 9, à la résurrection dernière ; saint Jérôme, îv, 8 sq., au Christ unique Sauveur qui nous relève et nous ressuscite ; saint Augustin, II, 24, au saint sacrifice, et x, 16, au démon. Dr civitate Dei, l. XVII, c. xx, P. L., t. xi.i, col. 556. Saint Jérôme sentit néanmoins la nécessité de répondre aux objections et difficultés que pouvait soulever le texte, autrement que par des allégories ; et c’est ainsi qu’après avoir, lui aussi, appliqué à l’eucharistie, il, 2i, il met dans la bouche des sceptiques et des adversaires de la vérité le passage similaire, IX, 7, 8. lu Errlr., ix, 7, P. L., t. xxiii, col. —Il 28. Philastre retombe dans l’interprétation allégorique de la n nourriture spirituelle » pour ces mêmes passages, et sauve tout le livre du crime de lèse-bonté et bienfaisance à l’égard du créateur de cet univers, en expliquant, conformément à la méthode, le mépris des choses transitoires par le fait d’une comparaison latente entre elles et la gloire céleste et durable que l’incarnation, la passion et la résurrection du Christ assurent aux croyants fidèles. Liber de hseresibus, cxxiv, P. L., t. xn, col. 1265-1267. Olympiodore résout les difficultés en observant que Salomon parle, dans l’Ecclésiaste, tantôt en son nom propre et tantôt au nom d’un personnage de convention que le train ordinaire du monde frapperait d’étonnement. In Eccle., arg., P. G., t. xcm, col. i80. On a rapporté plus haut l’expédient de saint Grégoire le Grand, voir col. 200L

2. Au moyen âge. — Les savants humanistes du haut moyen âge, tels que Alcuin et Walafrid Strabon, s’en tinrent pour la composition de leurs « bréviaires » et « gloses » de l’Ecclésiaste aux commentaires des Pères, et spécialement à celui de saint Jérôme. Les docteurs des xir et XIII e siècles, qui acceptent la pensée traditionnelle sur le but du livre (description du néant des choses terrestres pour conclure au mépris du monde), ajoutent aux allégories des anciens leurs propres spéculations morales, mystiques, métaphysiques sur le texte. Hugues de Saint-Victor catalogue les vanités selon qu’elles ont pour objet les choses faites pour l’homme, par l’homme, dans l’homme ; les pierres à lancer de ni, 5 sont les bonnes œuvres de la vie active, les pierres à ramasser sont les fruits de ces mêmes bonnes œuvres à recueillir dans les joies de la vie contemplative… Saint Bonaventure fait face à l’antique objection que l’on ne peut qualifier de vaines les créatures de Dieu, en distinguant entre la vanité / » •>• rtefectum boni, vel ordinis, qu’on ne saurait en effet leur attribuer, et leur vanité per defectum incommutabilitatis. Expositioin librum Ecclesiast., Opéra, Mayence, 1609, t. i, p. 294 sq. Au XIV e siècle, Nicolas de Lyre fait bénéficier son interprétation de l’Ecclésiaste du désir qui l’anime de rechercher d’abord dans l’Écriture le sens littéral. Aussi s’approcbe-t-il plus près de l’exacte définition du but du livre qu’aucun de ses prédécesseurs, quand i) assure que Salomon s’esl donné la tâche de nous montrer que le bonheur n’est pas dans la fortune, le plaisir, les honneurs, la science, etc., mais seulement dans la crainte et le service de Dieu. Il spécule encore cependant sur le vrai bonheur considéré objectivement d’un coté et en Dieu seul ; de l’autre, formellement, dans les joies divines que procurent les amvres méritoires (vu, 1-xil, 14). Beaucoup, au moyen âge, ont emprunté’à saint Grégoire le Grand, en vue de résoudre les difficultés, son hypothèse de pensées d’autrui acceplées cl rejetées ensuite comme autant de tentations susceptibles d’être éprouvées par une âme ignorante.

(. Aux temps modernes. — Les commentateurs catholiques suivent, pour la plupart, la voie tracée par

les Pères et les auteurs scolastiques et mystiques relativement à la définition du but de l’Kcclésiaste et à la solution des antinomies qu’il parail renfermer. Les