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DOUTE

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qu’ils manquent chacun de sincérité, s’abusent réciproquement l’un l’autre… Ils mentent et se trompent à l’envi. « Une pareille « piperie » de la raison et des sens devrait conduire au doute : « Que fera donc l’homme en cet état ? Doutera-t-il de tout'.' Doutera-t-il s’il veille, si on le pince, si on le brûle'.' Doutera-t-il s’il doute ? Doutera-t-il s’il est ? » Ce serait la conclusion normale et logique. Mais « on n’en peut venir là ; et je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien etléctif parfait. La nature soutient la raison impuissante et l’empêche d’extravaguer jusqu'à ce point. » Cette distinction entre « la nature » et « la raison » est intéressante. La raison impuissante est par ellemême réduite au pyrrhonisme douleur. Mais la nature vient à son secours et la sauve du doute, évidemment par des procédés qui seront extra ou suprarationnels. C’est ici qu’apparaît la foi : « Humiliez-vous, raison impuissante ; taisez-vous, nature imbécile (c’est la nature dont il vient cependant de dire qu’elle soutient la raison. Elle la soutient en lui interdisant de douter, mais elle est elle-même imbécile, quand il s’agit de fonder la certitude) ; apprenez que l’homme passe infiniment l’homme et entende : de votre maître votre condition véritable que vous ignorez. Écoulez Dieu. » Pensées, iii, 19. Ainsi la raison par elle-même ne peut engendrer que le doute, particulièrement sur le terrain religieux : « Les prophéties, les miracles mêmes, et les preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu’on puisse dire qu’ils sont absolument convaincants. » Ibid., xxiv, 18. « Ce n’est pas ici le pays de la vérité : elle erre inconnue parmi les hommes : Dieu l’a couverte d’un voile. » Ibid., xxiii, 31.

Comment sortir de cet état ou au moins comment échappera cette menace de doute ? Pascal indique plusieurs moyens qui relèvent tous de la religion, soit qu’ils intéressent la morale ou le dogme, soit qu’ils servent à l’apologétique. Nous en avons signalé un premier : la foi : « Ecoutez Dieu ». Il faut l'écouter avec son cœur : « C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur et non à la raison. » Ibid., xxiv, 5. La foi est donc affaire de cœur et de volonté, plutôt que d’intelligence et de raison. Les lumières viennent de Dieu, parla voie du cœur : « Je sais qu’il (Dieu) a voulu qu’elles entrent du cœur dans l’esprit, et non pas de l’esprit dans le cœur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit ; et pour guérir cette volonté infirme, qui s’est toute corrompue par de sales attachements. Et de là vient qu’au lieu qu’en parlant des choses humaines on dit qu’il faut 1rs connaître avant que de les aimer, ce qui est passé en proverbe (ignoti nulla cupido), les saints au contraire disent qu’il faut les aimer pour les connaître, et qu’on n’entre dans la vérité que par la charité. » Esprit géométrique, ni, p. 175. On verra à l’article Foi qu’il y a ici d’assez jolis renversements de l’ordre réel suivi par l'âme en marche vers la foi. Tandis que nous pensons que la raison conduit à la foi et que la foi sert de flambeau et de base à la charité, pour Pascal, la raison, capable seulement d’incertitude et de doute en matière religieuse, doit se taire devant la foi, et pour atteindre à celle-ci il faut d’abord passer par la charité. Certes nous ne nions pas que la pureté du cœur n’aide à la foi, ce qui est autre chose ; aussi Pascal se trompe-t-il moins, quand il conseille, pour préparer la foi, de combattre les passions. Il ne se tromperait même pas du tout, s’il ne joignait à ce conseil des préceptes absolus comme celui-ci : « Travaillez, non pas à vous convaincre par l’argumentation des preuves de Dieu (en quoi il a tort), mais par la diminution de vos passions (en quoi il a raison). » Pensées, x, 1. La pensée suivante est, par contre, tout à fait juste : « J’aurais

bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j’avais la foi, et moi, je vous dis : Vous auriez bientôt la foi, si vous quittiez les plaisirs. Or, c’est à vous à commencer. » Pensées, x, 3.

Nous ne saurions ici omettre un procédé célèbre, . indiqué par Pascal pour sortir du doute, et dont lesphilosophes, les théologiens et les apologistes se sont beaucoup occupés. Il s’agit du pari. « Examinons donc ce point, et disons : Dieu est ou il n’est pas. Mais de quel côte pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare. (Nous saisissons ici l'état de doute où, suivant Pa.ïcal r se trouve la raison par suite de sa prétendue et fausseimpuissance àseprononcer, en particuliersurl’existence de Dieu.) Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerezvous ? Parraison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix, car vous n’en savez rien. Non : mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car encore que celui qui prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier. Oui, mais il faut parier : cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrezvous donc ? Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre, le vrai et le bien ; et deux choses à engager, votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir, l’erreur et la misère. Votre raison n’est pas plus blessée, puisqu’il faut nécessairement choisir, en choisissant l’un que l’autre. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? disons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. » Pensées, x, édit. Ilavet, Paris. 1883, p. 173 sq. Oui, gagez qu’il est. Mais si ce procédé est destiné à créi r chez vous la foi, il est impuissant, parce que la foi est certaine et que le pari est incertain : parce que la foi est affirmation de vérité et que ce pari est recherche de béatitude ; parce que la foi présuppose la démonstration rationnelle de l’existence de Dieu, de la réalité des prophéties et des miracles et que ce pari la rejette ; parce que la foi est confiance en Dieu, et que ce pari est expédient humain. Si, au contraire — ce que Pascal ne fait pas, puisqu’il propose son pari pour suppléer à l’impuissance de la raison — vous conseillez le pari à ceux qui ont déjà arrêté leur attitude et fixé leur jugement, à ceux, en un mot, qui savent l’existence de Dieu et qui croient en lui ; si vous leur suggérez ce procédé pour les confirmer dans leur foi ou encore si, auprès des incrédules, aux preuves de la raison oux ajoutez la comparaison des deux alternatives, pour montrer l’avantage de l’une, c’est la un moyen oratoire qui peut se soutenir, quoiqu’il n’apporte qu’un médiocre concours à l’apologétique. Bourdaloue l’a employé : « En croyant ce que je crois, tout ce qui peut m’arriver de plus fâcheux, c’est de me priver inutilement et sans fruit de certains plaisirs défendus par la loi que je professe et défendus même par la raison… Mais vous, si ce que vous ne croyez pas ne laisse pas d'être vrai, vous vous mettez dans le danger de damnation éternelle. Telle est la différence de nos conditions : moi qui hasarde peu, si toutefois je hasarde quelque chose, je vis sans inquiétude, mais vous qui hasardez tout, puisque vous hasardez une éternité, vous devez être dans de perpétuelles alarmes. r> Sermon sur la paix chrétienne I'e partie. Cf. Revue pratique d’apologétique, l 01 décembre 1909 : L’argument du pari, par Clément Besse ; Lachelier, Notes sur le pari de Pascal, Paris, 1907 ; Hatzfeld, Pascal, Paris, 1901 ; A. Farges, Étude des