Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/273

Cette page n’a pas encore été corrigée
1813
1814
DOUTE


Seigneur Jésus-Christ par les décrets des philosopiies profanes, se servant plus de l’autorité d’iceux que de celle des saints prophètes, apôtres et évangélistes, nonobstant qu’ils soient opposés et éloignés en toute distance les uns des autres. Outre ce qu’il y a une coutume perverse et damnable reçue en toutes les universités et collèges, d’astreindre par serment tous ceux qui viennent à prendre quelque degré, qu’ils ne contreviendront ni répugneront jamais à Aristote, Roèce, Thomas, Albert ou autre semblable dieu de leurs écoles ; et s’il advient à quelqu’un de s’éloigner tant soit peu des opinions et règles de ceux-là, l’on voit incontinent crier à l’hérétique, au scandaleux, au blasphémateur et le condamner au feu. Il est donc nécessaire d’assaillir ces outre-cuidés géants et ennemis des saintes Lettres, démolir leurs remparts et forteresses, et découvrir quel aveuglissement est es esprits humains, toujours errants et se dévoyants de la vérité, nonobstant si grand nombre d’arts et de sciences, et de maîtres auteurs et professeurs de chacune d’icelles, et quelle téméraire et arrogante présomption, c’est de préférer à l’Eglise de Dieu les écoles des philosophes, faire plus de compte des opinions des hommes que de sa sainte parole, en somme quelle impiété tyrannique, c’est de vouloir restreindre et comme emprisonner les esprits des gens d’étude à certains auteurs et ôter le moyen à ceux qui sont désireux d’apprendre, de chercher et ensuivre la vérité. » Cité par Strowski, Montaigne, p. 13I-132. Corneille Agrippa n’enseigne pas directement le doute, mais son pamphlet contre les sciences et les arts, les philosophes et les écoles, contre tout ce qui raisonne, devait conduire et conduisit réellement au doute sur la valeur de la raison naturelle et cela au profit de la foi.

3° La théorie anticatholique du doute et de l’impuissance originelle et naturelle de la raison fit de nouveaux progrès avec le protestantisme. Luther et Calvin prétendirent que la faute originelle avait profondément atteint l’Ame humaine dans ses facultés spirituelles. Us nièrent surtout le libre arbitre qui n’est plus qu’un nom, une res de solo titulo, Denzinger-Bannwart, n. 776 ; mais leurs négations portèrent aussi sur la valeur de l’intelligence. Voici ce qu’en dit Calvin dans son Institution chrétienne. En la créant, « Dieu donques a garny l’âme d’intelligence par laquelle elle peut discerner le bien du mal, ce qui est juste d’avec ce qui est injuste et voir ce qu’elle doit suyvre ou fuir, estant conduite par la clarté de raison. Parquoy ceste partie qui adresse a été nommée par les philosophes gouvernante comme en supériorité. Il luy a quant et quant adjousté la volonté, laquelle a avec soy l’élection : ce sont les facultés dont la première condition de l’homme a esté ornée et anoblie, » 1. I, c. xv, n. 8. Or, par la chute « ce qui est le plus noble et le plus à priser en nos âmes non seulement est navré et blessé, mais du tout corrompu, quelque dignité qui y reluise, en sorte qu’il n’a pas seulement mestier de gairison, mais faut qu’il veste une nature nouvelle, » 1. II, c. I, n. 9. C’est la corruption de nature produite par le péché, si bien que, de même que la liberté de la volonté a sombré, la certitude de la raison ne peut survivre à ce naufrage. « En sorte, dit l’art. 9 de la Confession de foi des Églises de France, que sa nature (de l’homme) est du tout corrompue ; et étant aveugle en son esprit et dépravé en son cœur, a perdu toute intégrité sans en avoir rien de résidu. » Voir Calvinisme, t. ii col. 1401. Lepyrrhonisme et le protestantisme ont introduit le doute dans les régions théologiques.

4° Les apologistes philosophes ou littérateurs vont continuer leur œuvre. Nous nous contenterons de citer Sanchez le sceptique, et son ouvrage Quod nihil scitur. Cf. Emilien Senchet, Essai sur la méthode de Francisco Sanchez, Paris, 1904, pour nous arrêter à Montaigne et à Pascal.

La théologie du doute dans Montaigne est inspirée par le respect de la foi et le désir de mettre en relief les vérités révélées par Dieu : intention excellente, mais entreprise fâcheuse pour la sécurité des dogmes. On peut ramènera trois points la thèse de Montaigne : la vraie attitude de la raison précédant la foi, est le doute qui rend ainsi le terrain libre pour les interventions de Dieu révélateur ; Dieu intervient alors et nous donne le secours de ses lumières auxquellesnous adhérons par foi ; enfin la raison suivra utilement la foi pour en illustrer les assertions, les étendre et les embellir.

1. Montaigne se range résolument du parti des pyrrboniens dont « la profession est de bransler, doubter et enquérir, ne s’assurer de rien, de rien ne se respondre. » Apologie de Raymond Sebond, Essais, 1. III c. xii, Paris, édit. I. V. Leclerc, 1872, t. i, p. 468. II propose cependant un amendement à leur manière de parler : « Je veois les philosophes pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur générale conception en aulcune manière de parler ; car il leur fauldroil un nouveau langage : le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies ; de façon que, quand ils disent : « Je doubte », on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire avouer qu’au moins asseurent et sçavent-ils cela, qu’ils doubtent… « Cette fantasie est plus seurement conceue par interrogation : QUE SCAY-jeI Comme je la porte à la devise d’une balance, » p. 493.

Les raisons qu’il a de douter ainsi naturellement de toutes choses, lui sont fournies par la théologie et la psychologie. Ces sciences, en effet, montrent la contingence du monde, la faillibilité des facultés de connaissance, les défaillances de celles-ci en face du problème de l’immortalité. La contingence du monde fait que toutes choses sont dans un mouvement perpétuel qui empêche de savoir d’une façon ferme et fixe ce qui cesse d’être ce qu’il était auparavant au moment précis où l’on s’efforce de le représenter par la connaissance. « Finalement, il n’y a aulcune constante existence, ny de nostre estre, ny de celuy des objects ; et nous, et nostre jugement, et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse ; ainsin, il ne se peult estahlir rien de certain de l’un à l’aultre, et le jugeant et le jugé estants en continuelle mutation et hransle, » p. 570. L’objection est ancienne et il y a longtemps que les philosophes de l’être ont répondu aux philosophes du devenir, que, sous les choses les plus mobiles, il y a un fond de nécessité immuable qui fournit à la connaissance un objet suffisant. Même quand Socrate s’asseoit, quelle que soit la contingence de cet acte, disaient-ils, il reste nécessaire que, s’il s’asseoit, ilsoit .-issis.

Montaigne souligne d’une façon plus particulière les [irises que notre nature oiïre au doute. « Nous n’avons aulcune communication à l’estre, parce que toute humaine nature est toujours au milieu, entre le naistre et le mourir, ne baillant de soy qu’une obscure apparence et umbre, et une incertaine et débile opinion ; et si, de fortune, vous fichez vostre pensée à vouloir prendre son estre, ce sera ne plus ne moins que qui vouldroit empoigner l’eau ; car tant plus il serrera et pressera ce qui de sa nature coule partout, tant plus il perdra ce qu’il vouloit tenir et empoigner, » p. 571.

Non seulement notre nature est dans une mobilité perpétuelle qui l’empêche d’être objet de science sûre, mais elle est, par ailleurs, dépourvue des moyens qui pourraient en faire le sujet apte d’une connaissance ferme. « Pour juger des apparences que nous recevons des subjects, il nous fauldroit un instrument judicatoire ; pour vérifier cet instrument, il nous y faultde la démonstration ; pour vérifier la démonstration, un