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1805

DOUKHOBORS

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les Doukhobors casernes à Kars, Akhalkalaki, Tillis, Manglis. On n’hésilapas à en mettre quelques-uns à la torture. Ils restèrent inébranlables.

En même temps, les chefs des villages habités par les membres de la secte résolurent de brûler toutes les armes, qui étaient en leur possession : ce qu’ils firent dans la nuit du 28-29 juin 1895. Pour les punir, le prince Cherwachidzé soumit les villages à la loi martiale, et les laissa à la merci de quelques centaines de cosaques, qui pillèrent les maisons, et violèrent quelques femmes à Bogdanovka. Mais bientôt ces mesures furent jugées insuflisantes. A la suite des agissements de Pobiédonostzev, qui travaillait avec acharnement à extirper en Russie les confessions hétérodoxes, le gouvernement expulsa de nouveau les Doukhobors de leurs résidences et les dispersa, par groupes de 2 ou 5 familles, dans les villages géorgiens des districts de Douchet, Gori, ïiounety et Signakh. Les malheureux n’eurent pas même le temps de vendre leurs biens et leurs troupeaux, et d’emporter leurs meubles. Ils ne tardèrent pasà èlreréduitsà la famine, tandis que les autorités civiles les harcelaient de vexations, et que les maladies, dues à la rigueur du climat, les décimaient. Dans l’espace de trois ans il en mourut 450. Se croyant voués à une prochaine disparition, les Doukhobors s’abstinrent même de procréer des enfants. Beaucoup d’entre eux devinrent aveugles. Mais ils ne se laissèrent pas abattre par l’adversité, et ils déclarèrent qu’ils étaient prêts à mourir plutôt que de renoncer à leurs convictions.

Le comte Tolstoï et les quakers anglais s’intéressèrent alors au sort de la secte si cruellement éprouvée. Dans une lettre du 19 mars 1898, le premier appelait sur elle l’attention du monde civilisé, et implorait des secours pour soulager ses souffrances. Les chefs de la secte demandèrent qu’on leur permit au moins d’émigrer dans une colonie anglaise. Le gouvernement russe céda, à condition qu’ils ne reviendraient plus en Russie, et qu’ils émigreraient à leurs frais.

Ces conditions furent acceptées. Les Doukhobors se décidèrent à quitter leur pays natal. Ils envoyèrent à Londres deux délégués, Ivan lvineet Pierre Makhortov, en les chargeant de demander au gouvernement anglais l’autorisation de se fixer dans l’Ile de Chypre ou au Canada. Au mois d’août 1898, une première expédition de Doukhobors aborda en Chypre et fut dirigée sur les villages de Pergamos, Kouklia, Atalassa. Ils y ressentirent aussitôt les effets de l’air malsain. Un grand nombre tombèrent malades et en quelques mois il en périt 51.

Les autres Doukhobors quiltèrent la Russie pour s’établir au Canada. Au mois de janvier 1899, il en arriva 2000, qui furent dirigés vers la province de Manitoba. Ils furent suivis, à bref délai, par 4000 de leurs coreligionnaires des provinces de Kars et d’Élisabetpol, et par les 1000 émigrants de Chypre. Il y eut ainsi, dans le Manitoba, un noyau important de 7000 Doukhobors. Le gouvernement leur lit un accueil très hospitalier. En 1902, ils furent rejoints par Vérighine et les autres exilés de Sibérie.

Ils commencèrent à s’organiser de nouveau, mais de fâcheux déboires les attendaient. Ils manifestèrent au gouvernement le désir de ne posséder leurs terres qu’en commun, et de ne pas déclarer leurs mariages, naissances et décès. Les autorités répondirent qu’il n’y avait, au Canada, qu’un seul code de lois, et qu’on ne pouvait pas l’abroger pour eux. Les Doukhobors s’entêtèrent dans leur utopie. Ils en arrivèrent même à mettre en liberté leurs troupeaux, ne se reconnaissant pas le droit de commander aux animaux, comme à des esclaves et à ne point user de souliers, les considérant comme le produit de la violence et du meurtre. Les autorités canadiennes renoncèrent alors à traiter avec bienveil lance les Doukhobors, et en 1907 les terres labourables qu’on leur avait assignées leur furent reprises. Les Doukhobors ne s’en émurent point. Ils continuèrent à vivre pauvrement, en attendant que Dieu leur ouvre les frontières d’autres régions, où ils pourront s’établir d’après leur idéal.

II. Doctrines.

Pour les Doukhobors, la religion révélée n’est que la connaissance intérieure de Dieu, l’illumination de l’âme par Dieu, une inspiration surnaturelle qui lui explique les vérités qu’tlle a reçues immédiatement du Verbe dnin ou de l’Ecriture sainte. Livanov, t. i, p. 93. L’Ecriture a sans doute été donnée par Dieu aux hommes ; mais elle n’est pas le fondement de leurs croyances. On doit y puiser ce qui est utile pour le salut, et écarter tout ce qui ne répond pas à ce but.

Les Doukhobors abusent du sens mystique dans l’interprétation des Livres saints. Les récits de la Bible sont pour eux de simples allégories, dépourvues de toute base historique. Caïn, par exemple, est un être imaginaire qui symbolise le mauvais fils et son châtiment ; le miracle de Cana signifie le mariage spirituel de Jésus-Christ avec l’âme fidèle, « ce mariage qui dans les larmes du repentir sincère verse le nectar des anges. » Les livres inspirés ne sont pas exempts de fautes. Un des chefs de la secte, ililarion Pobirokhine, conseillait même de ne point les lire pour s’épargner l’occasion de tomberdans l’erreur. Xovitzky, p. 242-213. A l’Écriture sainte, il faut préférer la tradition, le livre vivant, ainsi nommée parce qu’elle est gravée dans la mémoire et dans le cœur des élt » s (les Doukhobors) et qu’elle s’oppose â la Bible qui est une lettre morte. Mais cette tradition n’est point la voix de l’Église vivante, qui se perpétue à travers les siècles. Elle consiste simplementdans un recueil de psaumes, où entrent, comme éléments essentiels, des extraits du Psautier et île la Bible, et les préceptes religieux des chefs de la secte. D’après les Doukhobors, ces psaumes seraient si nombreux qu’un seul homme, en les étudiant toute sa vie, ne pourrait les apprendre par cœur. Ils forment donc un trésor doctrinal qui appartient à toute la communauté. On se les transmet de père en fils. C’est ainsi qu’ils ne périssent pas, et qu’ils ne périront jamais, d’autant plus que Jésus-Christ, le maître qui les enseigne, est immortel. La Bible est destinée à disparaître, parce qu’elle est mélangée d’erreurs ; mais les psaumes, que les Doukhobors récitent, ne s’effaceront jamais de la mémoire des élus. Ils remontent aux origines mêmes du christianisme : saint Matthieu, saint Marc et saint Luc consignèrent par écrit le récit de la vie et des œuvres du Christ. Mais ils n’eurent pas cette illumination intérieure, qui les eût préservés de l’erreur. D’autres recueillirent fidèlement les doctrines du Verbe de Dieu et les transmirent à leurs descendants sans aucune altération. Dans la Bible et dans la tradition, les Doukhobors choisirent, comme dans un tas de blé, les « rains les plus purs, et en composèrent le livre vivant, que les brou il lards de la raison humaine n’obscurciront jamais. Novitzky, p. 213 218. Plusieurs de ces psaumes ont été publiés par Novitzky et Birioukov. Il serait trop long de les analyser ici. A côté de pensées empruntées à l’Écriture sainte, on trouve des sentences qui ne s’accordent pas avec la doctrine chrétienne. On y rencontre aussi des allusions malveillantes à l’rJglise orthodoxe et au formalisme extérieur de son culte.

Pour ce qui concerne l’Église, les Doukhobors soutiennent qu’elle n’est pas nécessaire. L’homme a besoin d’une Église éternelle, d’une église qui n’est point bâlie en pierre ou en bois, mais dans la partie la plus intime de l’âme. Cette Église n’a pas de frontières icibas. Elle existe chez tous les peuples et dans toutes les religions : les juifs, les mahométans, les païens euxmêmes en font partie, pourvu que Dieu les illumine