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1803

DOUKHOBORS

1804

d'Ékatérinovslav. Ce paysan, nommé Sylvain Kolesnikov (1750-1775), s'était acquis un grand renom de vertu et de droiture, grâce auquel il avait pu répandre ses doctrines.

On ne saurait cependant pas considérer Kolesnikov comme le fondateur et le premier apôtre de la secte. Au point de vue doctrinal, celle-ci a beaucoup d’affinité avec la secle des quakers, importée en Russie en 1740, par un sous-of(icier prussien, qui avait fixé son siège dans le village d’Okliotchee, district de Zmiev, gouvernement de Kliarkov. De même, à Moscou en 1737, on découvrait une autre secte russe, se rapprochant beaucoup des Doukhobors actuels. Kn 1717, à Kliaritonovka, district d’Ouglitcli, un soldat du corps des Strélitz, se faisait passer pour un nouveau Christ, et niait la visibilité de l'Église et l’efficacité des sacrements pour le salut. Novitzky croit découvrir des liens de parenté entre les Doukhobors et les faux Christs, qui, dès le XIV siècle, paraissent en Russie à plusieurs reprises. A son avis, par ces faux Christs, les Doukhobors se rattachent aux bogomiles, émigrés en Russie à l’aube même du christianisme russe, et par les bogomiles, aux montanistes et aux manichéens.

A la fin du xviiie siècle, les Doukhobors se répandent en beaucoup de provinces russes. On les trouve, par groupes nombreux, dans les gouvernements de Kharkov, Tambov et Ékatérinoslav. Quelques centaines de cosaques du Don se livrent, corps et âme, à la secle. Le gouvernement russe ne tarde pas à se préoccuper de la propagande des Doukhobors, il exile en Sibérie les cosaques qui en faisaient partie, et il porte contre la secte des peines sévères. Les Doukhobors de la province de Tambov furent exilés en Sibérie : on essaya vainement par le knout et le fouet d’amener à résipiscence les Doukhobors de Pérékop, dans la Tauride. Le gouvernement russe poussa la rigueur au point que l’on coupa le nez à plusieurs paysans du village de Tebnéchev, district de Berjetzk, gouvernement de Tver. Sous le règne d’Alexandre I et (1801-1825), les Doukhobors respirèrent plus à l’aise. Deux sénateurs, Lopoukhine et Nélédinsky MéletLky, reçurent la mission de visiter les centres de la secte et d’en faire un rapport au gouvernement. Ils se rendirent dans la province de Kharkov, et s’abouchèrent avec les chefs de la secte. Les Doukhobors protestèrent de leur soumission au pouvoir civil et demandèrent à quitter leurs villages, et à s'établir là où il leur serait permis de vivre conformément à leurs théories. Sur un rapport favorable des deux sénateurs, Alexandre I er, par un oukaze du 25 janvier 1802, fit droit à leur requête, et les autorisa à s'établir sur les bords de la Molotchnaïa, en un endroit appelé Molotchnyiia vody (les eaux de la Molotchnaïa) qui embrassait une immense étendue déterres, arrosées par de nombreuses rivières et ruisseaux. Après la promulgation de cet oukaze, 300 Doukhobors revinrent de Sibérie, et s'établirent dans leur nouvelle résidence. Ils avaient à leur tête Cyrille, fils de Sylvain Kolesnikov. Un autre oukaze du 16 décembre 1804 accorda la même concession aux Doukhobors de Tambov et de Voronèje, qui au nombre de 500, en 1805, émigrèrent dans la même localité. Ils y furent conduits par Savelius Kapoustine, qu’on vénérait comme une réincarnation du Christ. Les Doukhobors continuèrent à se grouper sur les bords de la Molotchnaïa jusqu’en 1821. Kn 1808, ils avaient déjà bâti neuf villages : Bogdanovka, Spasskoe, Troïlzkoe, Terpiénie, Tambovka, Rodionovka, Éphrémovka, Goriéloe, Kirillovka. Terpiénie axait été choisi comme le chef-lieu du cantonnement de la secte. On y avait érigé une maison, appelée Sion, pour y abriter les orphelins et les invalides. Kapoustine ('tait un petit souverain pour ces colonies naissantes. On lui livrait tous les revenus du sol et du travail, et il en disposait à son gré. A sa mort, il laissa

des biens considérables à sa famille. Les Doukhobors connaissaient ces abus, contre lesquels ils ne protestaient pas.

La situation des Doukhobors changea brusquement sous le règne de Nicolas I er (1825-1855). La politique de l’intolérance et du fanatisme religieux reprit le dessus. Déjà, sous Alexandre I er, le clergé orthodoxe s'était plaint du rapide développement de la secte. Job Potemkine, archevêque d’Ekatérinoslav (1812-1823), avait engagé le gouvernement à adopter des mesures sévères pour arrêter cet essor. Nicolas I er crut qu’il était temps de prendre en considération les cris d’alarme du clergé, et édicta des lois exceptionnelles contre la secte. Les Doukhobors reprirent le chemin de la Sibérie. On leur défendit, sous peine de l’exil ou de la prison, la propagande religieuse, et on limita leurs droits civils.

Les Doukhobors de la Molotchnaïa ne tardèrent pas à ressentir aussi les conséquences du changement de régime. Leurs colonies étaient prospères. La richesse avait engendré le relâchement des mœurs. Ceux que les anciens rapports des gouverneurs russes décrivaient comme des hommes très vertueux et très abstinents, se livraient à la boisson. Leur chef, Hilarion Kalmikov, donnait l’exemple de ce dérèglement. A cela s’ajoutaient les dissensions intestines de la communauté, qui fournirent à Nicolas I er le prétexte de transplanter les colonies de la Molotchnaïa dans la Transcaucasie, au milieu des Tatars. En 1841, 800 Doukhobors reçurent l’ordre de quitter leur résidence, et d'émigrer dans le district d’Akhaltzykh, à l’ouest de Tiflis, près des monts Mokry (humides). Ils furent suivis par 800 de leurs coreligionnaires en 1842, et par 900 en 1813, 1814 et 1845. Ils construisirent aussitôt de nouveaux villages, à qui ils donnèrent le nom des anciens. La maison des orphelins fut érigée au village de Goriéloe.

Nicolas I er s’aperçut vite qu’il se trompait dans son plan d’extermination des Doukhobors. Les Tatars, - sur lesquels on comptait pour leur rendre la vie insupportable, les laissèrent tranquilles. Sous l’habile direction d’une femme énergique, Lucéria Kamylkova, épouse du défunt Hilarion, les colonies se réorganisèrent, les traditions de travail et d’austérité furent remises en honneur et l’ancienne prospérité vint relleurir dans la nouvelle résidence. En 1880, Lucéria mourut ; avant sa mort, elle avait confié la direction de son petit royaume à un paysan nommé Pierre Vasilévitcli Vérighine.

Mais par les intrigues du frère de Lucéria, la maison des orphelins fut dépossédée de ses biens et de ses revenus. Il s’ensuivit un procès, qui se termina par l’exil de Vérighine à Cheuboursk, dans la province d’Arkhangelsk. La communauté cependant ne resta pas privée de son chef. De son exil, Vérighine continua à lui envoyer ses instructions, et son autorité ne fit que s’accroître. Le gouvernement russe eut connaissance de ces relations clandestines, et il relégua Vérighine à Odborsk, une des villes les plus isolées de la Sibéi ie, Vérighine s’y rendit. Tandis qu’il demeurait à Cheuboursk, il avait parcouru quelques ouvrages de Tolstoï, et en avait subi l’inlluence. De passage à Moscou pour aller en Sibérie, il reçut la visite de son frère Basile Vérighine, et de son cousin Basile Véréchlchaghine. Par leur entremise, il engagea ses coreligionnaires à refuser de prêter serment et de servir dans l’armée, et à renoncer à la propriété individuelle. Les Doukhobors obéirent, sans se soucier aucunement des conséquences fâcheuses de leur soumission aux ordres de leur chef. En 1895, ceux d’entre eux qui servaient dans les régiments d’Klisabetpol déposèrent les armes, et déclarèrent qu’ils n’entendaient plus se soumettre à la discipline militaire. Ils furent condamnés à plusieurs années de prison. Leur exemple fut bientôt suivi par