Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1737
1738

DONS DU SAINT-ESPRIT

du dehors ; l’habitude est, au contraire, un principe intérieur, devenu connaturel, d’activité psychologique. Mais l’opposition n’existe que si l’on conçoit cette activité du don comme une activité purement motrice et efficiente. Car il est des activités d’un autre caractère, des activités réceptrices, qui ne s’exercent que pour mettre leur sujet dans un état de passivité. Telle l’attention du disciple qui le met en disposition de recevoir l’enseignement de son maître, telle l’obéissance qui met une âme en état de disponibilité à l’endroit des commandements légitimes. Rien ne s’oppose à ce qu’il y ait en nous un principe permanent et habituel de semblables activités. De fait, l’attention et l’obéissance sont en nous à l’état de vertus. Si donc on conçoit les dons du Saint-Esprit comme des dispositions de l’âme à recevoir et à desservir les inspirations du Saint-Esprit, rien ne s’oppose à ce qu’ils puissent être considérés comme des habitudes, B. Froget, De l’habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes, 2e édit., Paris, 1900, part. IV, c. cf, les dons du Saint-Esprit, p. 381.

Le sont-ils en effet ? C’est une question qui divise les théologiens. A la rigueur ils peuvent ne pas l’être. Le Saint-Esprit, résidant en nous, avec toute la sainte Trinité, par la grâce sanctifiante, procurerait, par ses initiatives toties quoties, le bon fonctionnement des vertus théologales et des vertus morales infuses ou surélevées, de manière à assurer le salut du juste, en le prémunissant contre les dangers provenant de l’imperfection de notre participation â la vie surnaturelle. Mais il semble que cette manière de garantir le service d’interventions, d’ailleurs absolument nécessaires pour le salut, ne s’harmonise pas avec la perfection que Dieu apporte dans ses œuvres, toutes les fois qu’il s’agit d’assurer le nécessaire. Ainsi dans l’ordre de la perfection morale naturelle, les vertus morales n’ont pas seulement une efficacité active, mais, par l’acquis qu’elles représentent, elles disposent habituellement nos inclinations appélitives à recevoir les commandements rationnels. Toujours la même question : l’ordre surnaturel sera-t-il moins complet en nous que l’ordre naturel ? Nous aurions des organes permanents pour recevoir les impulsions de la raison, et nous n’en aurions pas pour recevoir les impulsions du Saint-Esprit qui, par la grâce et la charité, réside dans notre âme, aussi ordinairement que notre propre raison ? Dieu aurait seulement ébauché la partie supérieure de son œuvre, tandis qu’il aurait achevé la partie inférieure : notre moralité naturelle serait mieux assurée que notre moralité surnaturelle et notre salut ! Il faut conclure de tout cela que les dons du Saint-Esprit sont en nous, comme les vertus, à l’état d’habitude. Cela est de haute convenance.

Ici une difticulté se présente. Le propre de l’habitude est d’être â la disposition de la volonté de son possesseur. Disposerons-nous donc â notre arbitraire de l’activité même de la cause première ? Cette difficulté n’en est pas une si l’on entend bien le principe allégué : l’habitude est à notre disposition. Ce principe doit s’entendre positis ponendis. Aucun acte naturel ne se produit sans une intervention du Dieu qui in omni natura et voluntate intervus operatur : de même, aucun acte surnaturel, sans un secours divin surnaturel. Or, l’utilisation d’une habitude surnaturelle est un acte surnaturel, qui ne peut se produire que par une intervention divine coordonnée à l’intervention spéciale du Saint-Esprit, résultant de l’usage effectif du don. Ainsi entendu, le principe en question n’a rien d’impossible : si nous utilisons l’agir divin, c’est que Dieu nous a d’abord excités, par une grâce actuelle, à nous servir du don, lequel, à son tour, nous donne en quelque sorte barre sur le Saint-Esprit. Nous n’avons d’ailleurs le pouvoir de mettre en branle l’action du Saint-Esprit, est-il besoin de le rappeler, que pour nous soumettre à cette action. Notre droit sur lui n’est que le pouvoir efficace de nous mettre en regard de lui dans une altitude obédientielle, qui provoque efficacement son intervention. Cf. A. Gardeil, Les dons du Saint-Esprit dans les Saints dominicains, Paris, 1903, Introduction, p. 32 sq.

V. Différence des dons du Saint-Esprit et les vertus morales infuses

Sum. theol., Ia IIæ, q. lxviii, a. 1.

Les dons du Saint-Esprit occupent en regard de l’action du Saint-Esprit une place analogue â celle que les vertus inorales occupent dans l’homme naturel en regard de la raison. Ici, une nouvelle difficulté se présente. Selon l’opinion commune, inaugurée par saint Thomas, il existe des vertus morales infuses, véritables habitudes surnaturelles, qui ont précisément pour objet d’assurer dans le domaine de la pratique l’influence continue de la charité et, par conséquent, du Saint-Esprit qui nous gouverne par elle. Si l’on accepte cette opinion, les dons, tels que nous les avons définis, ne font-ils pas double emploi, ou, du moins, ne se confondent-ils pas avec les vertus morales infuses ? Cette manière de voir est confirmée par ce qui se passe dans l’ordre des vertus naturelles, qui, demeurant identiques â elles-mêmes, cumulent le rôle de principes actifs d’opérations morales avec celui de disponibilités permanentes au service des injonctions rationnelles.

Certains théologiens ont pensé qu’il n’y avait lieu que de faire une distinction morale. La qualité de don ne ferait que mettre l’accent sur le côté par lequel les vertus infuses dépendent de leur cause divine, tout en demeurant essentiellement des vertus purement actives. Mais cette opinion ne se concilie pas avec les différences que manifestent les énumérations des dons et des vertus. Si l’on parcourt la liste des sept dons, on constate que certaines vertus morales ne se trouvent pas parmi les dons, la justice, par exemple ; certains dons, la crainte en particulier, n’ont pas rang de vertu, d’autres, les dons intellectuels, ne sauraient faire partie des vertus morales infuses. Cette manière de voir est donc controuvée.

Et c’est pourquoi la distinction réelle doit être maintenue. Elle trouve sa raison d’être dans la double manière dont une cause première d’un ordre donné peut intervenir dans son domaine, à savoir : premièrement en mettant en mouvement des causes secondes, auxquelles elle a départi d’une manière habituelle une partie de son pouvoir actif ; deuxièmement en intervenant directement, par des initiatives personnelles, dans le fonctionnement ordinaire déjà assuré par les causes secondes. La première manière fait appel â un simple concours ou prémotion de la cause seconde avec la cause première, la seconde manière relève de la causalité instrumentale proprement dite. A la première se rattache l’activité des vertus morales infuses, à la seconde, les dons. Les vertus morales ne font que détailler l’impulsion motrice que le Saint-Esprit leur transmet par la charité ; comme la charité dont elles émanent, elles perfectionnent la puissance naturelle spéciale dans laquelle elles résident ; en elles et avec elles la raison et les puissances appétitives gardent l’initiative de leur mouvement et le gouvernement de notre vie morale. Par elles, celle-ci est surnaturalisée ; mais la rançon de l’initiative laissée à la raison, est l’imparfaite garantie du salut, que seule l’action directe et continue du Saint-Esprit peut mettre hors de toute atteinte.

C’est cette action directe et continue du Saint-Esprit que les dons font descendre sur le terrain même des vertus morales, sur le terrain de la vie de chaque jour. N’agissant que pour nous mettre en état de recevoir, ils font de nous les instruments du Saint-Esprit qui