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DOMMAGE

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Les lois qui imposent l’obligation de réparer le dommage provenant d’une faute purement juridique doivent être regardées comme parfaitement justes. Elles sont, en effet, portées dans l’intérêt du bien commun de la société, puisqu’elles ont pour objet de faire éviter, grâce à des mesures préventives des accidents, des infortunes, des malheurs. D’ailleurs les lois justes obligent en conscience. Remarquez toutefois que ces lois probibitives sont pénales : elles imposent une peine ; à ceux qui négligent les précautions prescrites. Or la loi pénale n’oblige pas avant la sentence du juge : personne, en effet, n’est forcé à s’imposer à soi-même une sanction pénale.

Le dommage causé, sans qu’il y ait de faute théologique, à une chose détenue en vertu d’un contrat (commodat, dépôt, etc.). ne doit pas être réparé en conscience avant l’injonction du tribunal. Celle obligation est, en effet, en debors des clauses du contrat. Sans doute, rien n’empêche que, par une convention spéciale, le dépositaire s’engage à réparer avant la décision judiciaire, le dommage provenant d’un cas fortuit ou d’une faute purement juridique, mais il est bien entendu que cette nouvelle obligation ne ressort point du contrat primitif.

Le dommage causé dans l’exercice d’une profession juge, avocat, médecin, etc.), sans qu’il y ait faute théologique, n’est pas soumis, avant l’action judiciaire, à l’obligation de restituer. Dans l’exercice de sa profession, l’homme doit apporter un soin, une vigilance, une attention ordinaires et s’il en était autrement, personne ne voudrait remplir des fonctions qui postulent habituellement l’héroïsme.

Quelques tbéologiens ont soutenu que, dans le quasi-contrat, contenu dans l’exercice de ces professions, se trouvait un pacte implicite de réparer, même avant la décision du tribunal, le tort causé dans l’exercice de la profession. Mais d’autres moralistes en plus grand nombre ont nié l’existence de ce prétendu pacte, que ne réclame point la loi naturelle etdont ne parle pas la loi positive. Ainsi, par exemple, le locataire pour la perte de la ebose louée, le médecin pour le tort causé involontairement au malade, en l’absence de faute tbéologique, ne sont point tenus à restitution, à moins d’y être contraints par voie judiciaire.

2 » Quotité de la restitution. — D’une manière générale, celui qui a causé du dommage à autrui doit restituer : 1. l’équivalent de la chose endommagée ; 2. l’équivalent du tort causé par l’action nuisible. Exemple : Pierre détruit les instruments de travail d’un ouvrier, il doit non seulement lui fournir l’argent nécessaire pour acheter d’autres instruments, mais encore l’indemniser pour la perte de salaire subie par le chômage forcé. En effet, la personne injustement lésée dans ses intérêts doit recouvrer tout ce qu’elle a perdu par la faute d’autrui ; or, dans le cas présent, l’ouvrier a perdu non seulement ses instruments de travail, mais encore le salaire provenant de l’incapacité de travail à laquelle il a été momentanément réduit.

L’obligation de restituer s’étend aussi aux dommages causés dans les biens spirituels, soit que ces biens appartiennent à l’ordre naturel (science, arts, réputation), soit qu’ils se trouvent compris dans l’ordre surnaturel (l’état sacerdotal, l’état religieux). Celui donc qui par des moyens injustes (fraude, mensonge, violence) cause à son prochain un dommage spirituel est tenu de réparer ce dommage, si toutefois celui-ci peut être réparé dans le même ordre. Vous avez blessé la réputation du prochain par une calomnie, si vous ne pouvez pas réparer cette calomnie, vous n’êtes pas obligé à donner une réparation matérielle, une somme d’argent par exemple. L’honneur et l’argent sont des biens d’ordre essentiellement différent. Voir CALOMNIE.

Cas du doute ou de l’erreur.

1. Le doute. — a) Celui qui doute si le dommage a été réellement commis, c’est-à-dire si l’acte posé par lui a été cause du dommage, doit d’abord procéder à un examen sérieux, mais si le doute persiste il n’est pas tenu à restitution. La raison de cette solution, c’est le principe fondamental de la morale pratique : on ne doit pas imposer une obligation dont l’existence n’est pas certaine. Exemple : Pierre a calomnié un négociant de ses concurrents, celui-ci fait de mauvaises affaires. Comme il doute que cette calomnie ait été cause de la déconfiture de son rival, il n’est pas tenu à restitution.

b) Pour le même motif, n’est pas soumis à l’obligation de restituer, celui qui a posé un acte dommageable, mais qui doute si le tort provient de cet acte ou d’une cause naturelle.

c) Voici un cas plus compliqué : Le dommage est certain, il a été commis par plusieurs complices dont chacun était une cause suffisante du dommage, mais le doute porte sur celui qui a été’réellement cause efficace du dégât. Si les complices se sont entendus explicitement ou tacitement pour que leur action combinée empêche de découvrir le vrai coupable, alors ils sont tenus solidairement à restituer. Chacun d’eux, en effet, parcelle minière d’agir, est la cause pour laquelle l’auteur du dommage reste douteux et ainsi empêche celui qui est lésé dans son droit d’exiger une jusle réparation. Si, au contraire, il n’y a eu entre ces agents aucune entente préalable, mais simple rencontre fortuite, en ce cas, à cause du doute existant, aucun d’eux n’est soumis en conscience à l’obligation de restituer.

Voici une autre question d’un intérêt plus général. A quoi est tenu le débiteur qui doute s’il a déjà payé sa dette ? a) Si le doute est négatif, le débiteur est certainement tenu de solder sa créance, c’est (’vident : il faut payer ses dettes, à moins d’avoir déjà accompli cette obligation, b) Le doute est positif. J’ai de bonnes raisons de croire que ma dette est éteinte, et de sérieux motifs me portent à penser que je n’ai pas encore payé. Le créancier conserve le droit d’exiger le paiement, car la dette ne peut être éteinte que par un paiement certain. Mais le débiteur est-il tenu en conscience de payer spontanément cette dette douteuse, sans attendre d’être mis en demeure judiciairement ? C’est une opinion très controversée parmi les théologiens. Les uns obligent au paiement intégral de la dette, d’autres imposent une partie de la detle au prorata du doute, d’autres enfin exemptent purement et simplement de tout paiement. Une obligation douteuse, remarquent ces derniers, ne saurait lier la conscience. Au vrai, l’égalité entre le donné et le reçu, qui est l’essence de la justice commutative, ne saurait s’établir dans le cas du doute. Il n’y a pas de raison pour que le créancier plutôt que le débiteur reçoive plus que de droit. Wanelært, De justitia, t. ii n. 261 ; De principiis, n.214.

2. L’erreur.

Celui qui par erreur invincible cause un dommage dont il ignore l’importance, ne doit réparer que la partie de ce dommage, dont il est la cause volontaire, c’est-à-dire dont il a connu l’importance, au moins confusément. Quant à la partie dont il n’a eu aucune connaissance, étant involontaire, elle n’est pas soumise à l’obligation de la restitution. Voici deux applications de ces principes :

a) Quelqu’un jette à la mer un diamant croyant que c’est du verre ; ayant reconnu son erreur, il n’est tenu à restituer que la valeur connue au moment de son geste malheureux.

b) Celui qui met le feu à une maison, est tenu à réparer intégralement le dégât causé, alors même qu’il ne se serait p.is rendu un compte exact de la valeur de l’immeuble incendié. Il suffit, en effet, qu’il ail prévu que son acte étail la cause d’un grand dégât, d’une