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DOMMAGE


efficace de ce dommage. Celui-là seul, en effet, peut être obligé à réparer qui est l’auteur du dommage : cela résulte du principe fondamental de Fimputabilité. Mais, pour être auteur, il faut élre cause efficace, soit immédiatement par son action, soit médiatement par l’intermédiaire d’un agent secondaire.

Dès lors, il n’y aura pas obligation de restituer, si l’action dommageable est simplement occasion du dommage. L’occasion n’est pas une véritable cause, c’est uniquement ce en présence de quoi la vraie cause agit. Il en va de même si l’action est condition sine qua non, c’est-à-dire sans laquelle la cause est incapable de produire son effet, ou encore si elle est seulement cause per accidens, c’est-à-dire une cause d’où l’effet pourrait résulter, mais sans que cela soit probable, sans qu’on puisse raisonnablement prévoir cet effet. La justice n’oblige pas à éviter les actions dommageables qui n’offrent qu’un danger éloigné et dont on ne saurait raisonnablement prévoir les funestes effets. Éclaircissons ces considérations par des exemples.

Par suite d’une erreur judiciaire, Pierre est condamné pour un vol commis par Paul ; cette action criminelle est l’occasion de la condamnation de Pierre, la cause du malheur de celui-ci est la sentence erronée du juge.

Je prête à un de mes amis un fusil dont il se sert pour tuer sa belle-mère, cette arme n’est que la condition sans laquelle (sine qua non) le meurtre n’aurait pas été commis. La cause per se est celle qui produit son effet par sa propre nature, par elle-même. Mettre du feu dans un grenier, c’est être cause per se de l’incendie. La cause per accidens est celle qui par ellemême ne saurait produire tel effet et ne le produit que par le concours d’autres causes étrangères. Celui qui allume du feu loin d’un grenier, si le vent souftlant à l’improviste pousse la flamme vers cet endroit, ne sera que la cause per accidens de la conflagration. Ainsi, la cause per accidens influe réellement sur l’effet) tandis que l’occasion et la condition sine qua non n’ont sur lui aucune influence positive. Mais le lien entre l’effet et la cause per accidens n’est ni certain ni probable, il est simplement possible, et par conséquent l’effet ne peut pas être prévu par l’agent ni lui être imputé. Ces principes vont nous permettre de donner quelques solutions pratiques.

Celui qui par son mauvais exemple entraîne les autres à des actions nuisibles, n’est pas tenu en conscience à réparer le dommage causé par ceux qui ont suivi cet exemple. Au vrai, la cause efficace du dommage, ce n’est pas le mauvais exemple donné, mais c’est uniquement l’action nuisible. Je suppose bien entendu le mauvais exemple sans plus, car celui qui se servirait du mauvais exemple pour exciter les autres à des actes dommageables, serait sans aucun doute responsable du tort causé au prochain.

Je rappellerai en quelques mots un cas de conscience, longuement examiné et discuté par les moralistes.

Un crime a été faussement imputé à quelqu’un, le véritable coupable est-il tenu à réparer le tort causé par cette fausse accusation ? Il faut distinguer avec soin deux circonstances dans lesquelles peut se produire cette fausse accusation :

a. Le dommage n’a pu être prévu, ou même s’il a été prévu, le coupable n’a employé aucun moyen propre à diriger les soupçons sur un autre ; alors il n’est point obligé à réparation. En effet, il n’est pas cause, mais seulement occasion du dommage : la cause du dommage, c’est l’erreur ou plus exactement la volonté de ceux qui attribuent l’action dommageable à un innocent. En réalité, le vrai coupable n’est que l’occasion de l’erreur judiciaire.

b. Si, au contraire, le coupable a non seulement prévu le dommage, mais de plus a employé des moyens

propres à fournir de graves motifs d’imputer l’action à un autre, dans ce cas, il est contraint de réparer le tort puisqu’il en est la cause per se. Exemples : pour commettre un vol, Pierre emprunte les vêtements d’un autre, pour tuer son ennemi Paul s’est servi du revolver de Jacques et le crime accompli a caché l’arme dans la maison de celui-ci.

Vous demanderez peut-être : le coupable doit-il se dénoncer lorsqu’un innocent est accusé ou condamne à sa place ? Voici la réponse : dans le premier des cas considéré plus haut, comme il n’est pas la cause efficace du dommage causé, c’est-à-dire, dans le cas présent, de l’arrestation ou de la condamnation d’un innocent, le coupable n’est pas obligé de se dénoncer. Sans doute, la charité lui demande de délivrer son prochain injustement condamné, mais la charité n’oblige pas sous de si dures conditions : Caritas non obligat cum tanlo incommodo.

Dans le second cas, il doit se dénoncer ; en efïet, (’tant la cause efficace du dommage il est tenu en justice à le réparer : d’ailleurs la vertu de justice oblige, même à de dures conditions.

3. La faute théologique se distingue de la faute juridique. La faute théologique est celle qui constitue un véritable péché, mortel ou véniel ; la faute juridique consiste dans l’omission des mesures de précaution ou de sécurité, requises parle droit positif pour éviter les dommages ou les accidents. Il n’importe que la négligence soit ou non accompagnée de péché, mais si le dommage est produit sans aucune faute, sans aucune advertance, la faute est alors purement juridique.

La loi civile impose une longue série de précautions, de garanties aux architectes pour la construction des édifices, aux patrons dans la direction de leurs usines ou ateliers, aux mécaniciens dans la conduite des machines. Ceux en faveur desquels ces mesures sont prises ont le droit d’exiger qu’elles soient exactement observées. Ceci posé :

a) Pour qu’une action dommageable oblige en conscience à réparation, il est nécessaire qu’elle contienne une faute théologique. La raison de cette règle est manifeste. Personne ne peut être obligé en conscience à réparer un dommage s’il n’a commis ce dommage en conscience, or ceci suppose évidemment une faute théologique. En outre, personne n’est responsable de ses actes ou des effets de ceux-ci, s’ils ne sont volontaires ; or causer volontairement du tort à autrui constitue une faute théologique. Appliquons cette règle à quelques cas particuliers.

Celui qui de bonne foi possède la chose d’autrui et l’a détruite ou consommée, sans pour cela devenir plus riche, n’est point obligé à restituer.

Les enfants qui commettent des vols à l’égard de leurs parents, mais sans faire attention à la faute théologique de leur action, dont ils ne considèrent que la sanction pénale, sont également dispensés de restituer.

Le médecin qui, par suite d’une erreur involontaire, donne à son malade un remède nuisible, n’est pas tenu en conscience à réparer le dommage résultant de sa méprise. Dans ces différents cas, en eftet, il manque une condition à l’obligation de conscience, à savoir la faute théologique. Il peut arriver que le coupable rétracte sa volonté perverse avant que la cause du dommage n’ait produit son effet. Est-il néanmoins obligé à restitution ? Assurément, car l’obligation de restituer existait tout entière dès l’instant que le coupable a mis en jeu la cause du dommage. Que le repentir efface la faute initiale, l’obligation de restituer n’en demeure pas moins.

b) L’obligation de restituer provenant d’une faute juridique prend naissance seulement après la sentence judiciaire, à moins qu’il n’en soit décidé autrement par une convention particulière.