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DOGME

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n’ont jamais assigné à la raison une valeur positive dans la détermination et la démonstration des dogmes. Selon eux, tout ce que la raison peut légitimement est de montrer la convenance d’une vérité déjà connue comme révélée et l’insuffisance des raisons invoquées contre elle. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. I, a. 8 ; q. xxxiii, a. 1 ; Cont. gent., l. I, c. vii, îx.

Selon eux aussi, l’emploi de la raison dans les déductions dogmatiques ne conduit jamais i la manifestation d’une vérité révélée, mais seulement à l’affirmation d’une nécessaire connexion entre telle proposition et telle vérité révélée. Cette conclusion est d’ailleurs rarement certaine en dehors d’une approbation au moins tacite de l’Eglise garantissant sa vérité. Même en ce cas, ces conclusions simplement garanties ou définies par l'Église et gardant leur nature intime ne peuvent jamais être transformées en vérités révélées, faute de révélation explicite ou même implicite. Quelques théologiens, il est vrai, se sont exprimés diversement, notamment Suarez, De fi.de, disp. III, sect. xi. n. 11, et le cardinal de Lugo, De /ide divina, disp. I. a. 272 sq., mais leur opinion insuffisamment motivée est communément rejetée. Vacant, Etudes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 292 ; Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 256 sq. — 3. Le recours fréquent aux arguments rationnels, appuyant les déductions théologiques ou écartant les nombreuses objections de raison, doit être considéré comme approuvé par l'Église, dans la mesure où il constitue au moins partiellement la méthode scolastique souvent recommandée et soutenue par l'Église. Nous l’avons suffisamment démontré à l’article précédent. — 4. Notons enfin que la principale difficulté d’harmoniser les dogmes avec la philosophie non scolastique, provient non d’une prétendue identification de la philosophie scolastique avec le dogme, mais de ce que la philosophie qu’on lui oppose contient beaucoup d’aflirmations non prouvées, desquelles on ne veut point se départir, bien qu’elles soient formellement en désaccord avec l’enseignement révélé.

4e objection. — Chez les théologiens scolastiques et chez leurs disciples, la conception intellectualiste du dogme, en développant excessivement son aspect spéculatif, a virtuellement supprimé son rôle pratique qu’ils ne mentionnent jamais et auquel ils n’accordent aucune influence effective. —Réponse. — 1. Il est vrai que les théologiens scolastiques attribuent au dogme un rôle premièrement et principalement spéculatif, parce que l’objet premier et principal des dogmes consiste dans les attributs et les mystères divins, dont notre connaissance est tout d’abord spéculative. C’est la conclusion du raisonnement par lequel saint Thomas prouve que la science théologique est plus spéculative que pratique : Magis tamen est speculativa quant practica : quia principalius agit de rébus divinis quani de actibus humanis : de quibus agit secundum quod per eos ordinatur homo adperfectam Dei cognitionem inqua œterna beatiludo consista. Sum. tlteol., I a, q. i, a. 4. Puisqu’il y a nécessairement analogie entre les conclusions d’une science et ses principes, ce que saint Thomas affirme de la science théologique est également vrai de ses principes qui sont les vérités dogmatiques. Ces vérités sont donc principalement spéculatives. — 2. Cependant, selon ces mêmes théologiens, le dogme a un rôle pratique très important, bien que secondaire et dépendant de la connaissance spéculative antécédente. Car a) les connaissances spéculatives provenant du dogme et se rapportant toutes à notre fin surnaturelle ou aux moyens qui y conduisent, S. Thomas, Sum. theol., H a IIe, q. ii, a. 3 sq., peuvent être facilement utilisées pour aider la volonté dans la pratique des devoirs chrétiens. Cette utilité pratique n’a

pas besoin d'être déterminée en détail pour chaque dogme, surtout pour la vie commune des fidèles. Il suffit de montrer les avantages communs qui résultent de l’ensemble des mystères révélés, l’humilité, la foi, la gratitude et l’amour : l’humilité produite par l’infinie grandeur des mystères divins, la foi appuyée uniquement sur l’infaillible parole de Dieu, la gratitude et l’amour excités par la merveilleuse condescendance de l’incompréhensible majesté divine vis-à-vis de notre petitesse et de nos misères. S. Thomas, Sum. theol., II a II ', q. ii, a. 3, 5, 7, 8 ; Cont. gent., l. I, c. v. D’ailleurs, toute contemplation des mystères divins, surtout pour les âmes éclairées et unies à Dieu, est capable d’entretenir ou d’augmenter en nous l’amour divin qui est l'âme de toute vie spirituelle ; et cette contemplation est toujours puissamment aidée par la connaissance du dogme, dès lors que cette connaissance est accompagnée d’une vraie humilité. S. Thomas, Suni. theol., II « II », q. lxxxii, a. 3, ad 3°">.

L’on doit aussi reconnaître que l’utilité' individuelle n’est point seule à considérer. Il y a encore l’utilité commune qui résulte pour la société chrétienne tout entière d’une plus profonde connaissance du dogme, possédée par ceux qui doivent par état ou par charité conduire ou aider les autres. De cette connaissance dépend en très grande partie le bien qu’ils peuvent produire pour la défense et le maintien de la foi dans les âmes chrétiennes et pour la diffusion de la vérité parmi ceux qui ne la connaissent point. Plus nécessaire dans les milieux troublés par l’erreur ou l’infidélité, cette connaissance a été particulièrement recommandée pour notre époque par Léon XIII dans l’encyclique Sapient’ue christianse du 10 janvier 1890, et par Pie X dans l’encyclique Acerbo nimis du 1.") avril 1905.

Traitant uniquement du dogme, nous n’avons point à parler ici des avantages pratiques provenant de la révélation accidentelle des vérités naturelles que l’homme doit nécessairement connaître pour atteindre sa fin. Nous nous bornerons à rappeler l’enseignement du concile du Vatican sur la nécessité morale de cette révélation et sur les avantages qu’elle procure à l’humanité. Concile du Vatican, sess. III, c. n.

(Iràce à c^tte révélation accidentellement annexée à celle des dogmes surnaturels, la religion chrétienne possède, pour la direction morale des consciences, une supériorité effective sur les religions non chrétiennes et sur les divers systèmes philosophiques. En réalité, c’est d’elle principalement que rayonnent, même en dehors de l'Église catholique, les connaissances morales encore existantes.

b) A côté des dogmes principalement spéculatifs qui peuvent avoir une puissante influence pratique sur la direction de notre vie chrétienne, l’on doit aussi mentionner les dogmes immédiatement pratiques qui expriment les obligations à accomplir pour obtenir la vie éternelle. En renfermant dans la puissante synthèse de la Somme théologique de saint Thomas la théologie dogmatique et morale, les enseignements pratiques avec les doctrines spéculatives, les théologiens scolastiques exprimaient, plus fortement que nous, toute l’importance du rôle effectif des dogmes tant pratiques que spéculatifs. Les démembrements) effectués depuis cette époque dans cette organisation méthodique de la théologie, ne doivent point nous faire oublier sa synthèse effective.

c) D’ailleurs, les théologiens scolastiques, tout en assignant au dogme un rôle principalement spéculatif, n’ont aucunement méconnu le rùle affectif de la volonté dans l'étude ou l’enseignement des dogmes, ni l’utilité pratique que l’on doit s’efforcer d’en retirer. — a. Le rôle affectif de la volonté se déduit rigoureusement de cet enseignement de saint Thomas que la science théologique, science entièrement une, à la fois spéculative