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DOCEÏISME


ait retenu, celui de saint Luc, la généalogie et tout ce qui a trait à la naissance et à l’enfance de Jésus. Pour lui, Jésus n’a pas eu de mère selon la chair, attendu que lorsqu’on lui dit : « Votre mère et vos frères sont là qui demandent à vous voir, » il répondit : « Quelle est ma mère ? et quels sont mes frères ? Pas d’autres que ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique ; » attendu aussi que lorsqu’une femme s’écria : « Heureux le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont allaité, » il répliqua : « Bien plus heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et l’observent ; » attendu enfin qu’après sa résurrection ce qu’il dit à ses disciples manifeste qu’il n’était qu’un esprit : « Un esprit n’a ni chair ni os, et vous voyez que j’en ai comme en ont les esprits. » ïertullien nous dira ce qu’il faut penser de ces procédés d’exégèse et de ces prétentions injustifiables.

Manès et les manichéens.

Longtemps après les gnostiques dont il vient d’être question, dans la seconde moitié du troisième siècle, parut en Orient le manichéisme. Manès et ses disciples cherchèrent à concilier le christianisme avec leur dogme fondamental de l’existence de deux principes en lutte l’un contre l’autre, le principe du bien ou la lumière et le principe du mal ou les ténèbres. Ils crurent trouver dans l’Écriture la justification de leur tentative et ne réussirent qu’à faire de nombreuses dupes. D’après eux, le Christ, envoyé par le Père, n’a nullement été ce que disent les Evangiles, à savoir un homme né de la Vierge, passible et mortel, réellement crucifié, car il aurait été ainsi sous la dépendance du principe mauvais, qu’il était venu combattre. Tout donc dans sa vie et dans sa mort n’a été qu’une pure apparence. Parmi tant d’autres erreurs, et des plus graves, professées par les manichéens, le docétisme dut être l’objet d’une réfutation spéciale ; car, sous prétexte d’amender le christianisme en le pliant à leur système, les manichéens le défiguraient et l’anéantissaient ; ils prêtaient au Sauveur une nature et un rôle en contradiction absolue avec le texte formel des Évangiles. Et c’est pourquoi les défenseurs de la foi insistèrent contre eux avec tant de raison sur la réalité de l’incarnation, de la naissance et de la mort sanglante du Christ, en relevant tous les détails rapportés par les évangélistes, qui ne peuvent s’expliquer qu’à la seule condition que Jésus ait vraiment pris et possédé la nature humaine sans cesser d’être Dieu.

Y. Réfutations dont le docétisme a étk l’objet.

— Le docétisme n’ayant pas formé une erreur à part, mais se trouvant mêlé à d’autres erreurs dans les divers systèmes où il a trouvé place, n’a pas été l’objet d’une réfutation spéciale de la part des hérésiologues ou des Pères de l’Église. Ce n’est qu’à l’occasion des systèmes eux-mêmes qu’il fut signalé, réfuté et condamné. Comme il serait trop long de relever tous les passages où il est question de lui, nous nous bornerons à rappeler la manière dont il a été combattu par saint Irénée, Tertullien et saint Augustin ; par saint Irénée contre les gnostiques en général, par Tertullien contre les marcionites et par saint Augustin contre les manichéens.

1° Saint Irénée réfute le docétisme des gnostiques.

— Dans le 1. IIIe de son grand ouvrage contre les hérésies, il coupe court à la subtile distinction qui voulait voir deux personnages dans le Sauveur, Jésus et le Christ mon, Jésus et le Christ ne font et ne sont qu’un seul et même personnage, le Fils de Dieu incarné, Cont. hær., III, xvi, xviii, P. G., t. vii, col. 919 sq., 932 sq. ; ce n’est pas le Christ qui est descendu en Jésus au baptême, mais le Saint-Esprit, III, iixv col. 929 sq. Or, ajoute-t-il, Jésus-Christ est bien de la race de David en tant qu’homme ; il n’est pas né de Joseph, III, xix, col. 938 sq., mais de la Vierge Marie,

selon la prophétie d’Isaïe : « Voici qu’une Vierge enfantera. » Is., vii, 14. Théodolion, Aquila, les ébionites et les Juifs traduisent d’une façon fantaisiste : « Voici qu’une jeune femme concevra et enfantera. » Où serait alors le signe extraordinaire donné au prophète, car il est tout naturel qu’une femme conçoive et enfante. Les Septante, qu’on ne pouvait soupçonner d’avoir voulu favoriser les chrétiens, puisque leur traduction est de beaucoup antérieure à l’ère chrétienne, ont mis une vierge et non une femme, III, xxi, xxii, col. 945 sq., 955. Jésus est vraiment homme et a une chair tirée d’Adam comme la nôtre, III, xxii, col. 955. Il a vraiment souffert, et il nous a sauvés en versant son sang et en mourant pour nous, III, xviii, col. 932 sq. Il n’y a donc rien, ni dans sa naissance et sa vie humaine, ni dans sa mort, qui ait l’air d’une apparence. Comment alors les gnostiques peuvent-ils discuter, quando magister eorum putativus fuit ? Aul quemadmodum l’irmum quid habere possuni ab en, si putativus et non veritas erat" ? Quomodo autem ipsi salulem vere parlicipare pos surit, si ille, inquem credere sedicunt, semetipsum putativum oslendebal ? Et saint Irénée de conclure : Putativum est igitur, et non veritas, ont ne apud eos. Cont. hær., IV, xxxiii, 5, col. 1075.

Mais comme certains gnostiques, tout en professant le docétisme, croyaient à la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie et célébraient la cène à la manière des chrétiens, l’évêque de Lyon en profite pour un argument ad hominem : « Comment pourront-ils être assurés que le pain de l’action de grâces est le corps de Notre-Seigneur, et que le calice est son sang, s’ils ne le connaissent pas pour le Fils du créateur ? Et comment disent-ils que la chair qui est nourrie du corps et du sang du Seigneur, est sujette à la corruption et ne reçoit point la vie ? Qu’ils changent d’opinion ou qu’ils cessent d’offrir. » Cont. hær., IV, XVIII, 4, col. 1027. Il ajoute plus loin : Qvomodo autem juste Dominus, sialterius Patris exstitit, hujus conditionis, quæ est secundum nos, accipienspanem, suum corpus esse confitebatur, et temperamentum calicis sinon sanguinem confirmavit ? El quarese Filium hominis con/itebatur, si non eam, quee ex homine est, generationem sustinuisset ? Cont. hær., IV, xxxiii, 2, col. 1073. Il y revient encore au dernier livre : Jésus-Christ nous a véritablement rachetés par son sang, c’est pour cela qu’il a pris une chair de même nature que la nôtre dans le sein de la Vierge. Car s’il ne nous a pas rachetés par son sang, il s’ensuit que le calice de l’action de grâces n’est pas la participation de son corps ; car le sang n’est point sans les veines ni sans la chair et sans les autres parties qui constituent la substance de l’homme. Si donc le Christ n’a pris cette substance qu’en apparence, et si la chair et le sang donnés pour le prix de notre rédemption n’ont été qu’une pure apparence, comment peut-il nous donner cette même chair et ce même sang dans l’eucharistie ? Cont. hær., V, ii, 2, 3, col. 1124-1127.

Tertullien réfute le docétisme de Marcion.

Au sujet des valentiniens, contre lesquels il composa un traité spécial, Tertullien ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà. Comme saint Irénée, c’est à ceux de l’école italienne qu’il s’en prend ; il résume leurs opinions : per virginem, non EX virgine, quia delatus in virginem Iransmeatorio polius quam generatorio modo processeril ; per ipsam, non ex ipsa ; non maire. m eam, sed V1AM passus, disent-ils de Jésus ; et ils ajoutent que le Christ est descendu en lui au baptême sous forme de colombe et n’est resté avec lui que jusqu’avant la passion. Adv. valent., XXVII, P. L., t. ii, col. 581-582. Tertullien n’est nullement dupe de leur explication arbitraire de l’incarnation, en contradiction si manifeste avec les textes de l’Écriture, ni de leur distinction fantaisiste entre Jésus et le Christ.