Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/109

Cette page n’a pas encore été corrigée
1485
1486
DOCETISME


à vrai dire, la note distincte, unique et exclusive d’une secte à part, mais plutôt l’un des éléments erronés de la plupart des systèmes gnostiques qui, pendant les deux premiers siècles de l’ère chrétienne, essayèrent de supplanter le christianisme tout en lui empruntant quelques-unes de ses données.

On admettait difficilement que le Sauveur fût le Fils de Dieu fait homme ; les deux dogmes de l’incarnation et de la rédemption étaient une vraie pierre d’achoppement pour les partisans de la gnose. Quelques-uns seulement soutinrent qu’il ne fut qu’un homme. Tel Justin, aux yeux duquel Jésus, fils de Joseph et de Marie, simple pâtre jusqu’à l’âge de douze ans, reçut par l’intermédiaire de Baruch, au nom et sur l’ordre d’Élohim, la mission de prêcher. P/iilosophoumena, V, iv, 20, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 236 sq.Tel Carpocrate, voir t. ii col. 1800, qui ne vit dans le fils de Joseph, quoique élevé dans le judaïsme, que l’adversaire de l’Ancien Testament, le prédicateur du salut par le mépris libérateur du mosaïsme. Tertullien, De præscript., xlviii, P. L., t. ii, col. 66-67 ; Philosoph., VII, v, 32, p. 385. Tel enfin Cérinthe, voir t. ii, col. 2153, qui, distinguant deux personnages dans le Sauveur, soutenait que Jésus était né comme tous les hommes sans aucune intervention miraculeuse et qu’il n’avait servi que de réceptacle passager au Christ depuis son baptême au Jourdain jusqu’avant sa passion : distinction arbitraire et en contradiction manifeste avec saint Matthieu, car cet évangéliste, après avoir dressé la généalogie humaine du Sauveur, ne dit pas Jesn, mais Christi auteni generatio sic erat. Matth., i, 18 ; S. Irénée, Conl. hær., III, xvi, P. G., t. vii, col. 920. Quant aux autres chefs de la gnose, Simon le Magicien, Saturnin, Basilide, Valentin, Marcion, et, après eux, Manès, ils nièrent l’humanité du Sauveur et ne voulurent voir dans les faits de sa conception, de sa naissance, de sa mort et de sa résurrection que des phénomènes apparents sans la moindre réalité objective.

Déjà du temps des apôtres, sous l’influence d’un judaïsme exagéré et d’idées philosophiques étrangères, quelques « naufragés dans la foi » avaient essayé d’introduire le docétisme dans leur enseignement hérétique. Bien que combattue par saint Paul et par saint Jean, cette erreur subtile n’en fut pas moins accueillie par les preneurs de la gnose. Ceux-ci, en effet, se plaisaient à spéculer à perte de vue sur les matières philosophiques et religieuses. Ils prétendaient expliquer tout beaucoup mieux que ne le faisait le christianisme. Ils n’hésitaient même pas à se servir de l’enseignement chrétien, sauf bien entendu à le démarquer et à l’amalgamer avec d’autres idées complètement hétérogènes pour en composer ce mode supérieur de comprendre et d’expliquer les choses qu’ils appelaient emphatiquement la gnose. Or, l’une des difficultés était d’expliquer l’origine et l’existence du mal dans ce monde. Bs partaient de ce faux postulat que la matière est d’essence mauvaise, cause du péché. Impossible dès lors de concevoir que Dieu, la sainteté même, ait pu entrer en contact immédiat avec elle, soit pour la créer, soit pour racheter l’humanité. L’union réelle de la nature divine avec la nature humaine dans la personne du Chri>t, telle que l’enseignait le christianisme, était donc à repousser. Ni l’incarnation, ni la rédemption, au sens de la religion nouvelle, n’étaient admissibles ; on regardait comme une chose inconcevable que le Sauveur, de qualité supérieure et même diwne, ait pu naitre comme un homme, manger et boire comme un homme, soull’rir et mourir comme un homme. A tout prix il fallait écarter une pareille doctrine ; mais comme, d’autre part, on tenait à concurrencer le christianisme même sur son terrain et avec ses armes, on dut chercher une interprétation plus acceptable, et on crut la trouver dans le docétisme.

Ses différentes formes.

Chaque chef gnoslique eut sa manière à lui de concevoir le docétisme. Saint Irénée, en particulier, est un bon témoin pour la fin du iie siècle et nous renseigne sur les diverses formes du docétisme à son époque ; il en compte quatre principales : 1. L’homme Jésus ne fut qu’un réceptacle passager, dans lequel entra le Christ au moment du baptême et d’où il sortit avant le crucifiement ; 2. la naissance, la vie et la mort du Christ ne furent qu’une apparence sans réalité ; 3. le Christ a eu un corps visible, capable de souffrir, mais ni matériel ni emprunté à la substance physique de la Vierge, il n’a fait que passer à travers Marie ; 4. sur la croix un homme est mort réellement, mais ce n’est pas Jésus, ce fut Simon de Cyrène dont Jésus avait pris les traits et auquel il avait donné les siens. Cont. hær., i, xxiv, 4 ; III, xvi, 1, P. G., t. vii, col. 677, 920 sq.

La première de ces formes de docétisme est celle de Cérinthe. Nous ne la signalons que pour mémoire ; car il n’y a, dans le système de Cérinthe, aucune trace de docétisme relativement à Jésus, puisque Jésus est né et a vécu comme tous les autres hommes et est mort réellement sur la croix, tandis que le Christ qui n’a fait qu’habiter transitoirement en Jésus ne comporte ni naissance, ni mort fictives. Quant aux trois autres, nous dirons plus bas dans quelle mesure et avec quelles nuances elles furent celles des autres chefs gnostiques. Clément d’Alexandrie en Egypte, Tertullien àCarthage, saint Hippolyte ou l’auteur des Philosopkoumena à Borne, de même que l’auteur des cinq dialogues contre les gnostiques, faussement attribués à Origène, aident à préciser les détails. Quant au docétisme de Manès et des manichéens, saint Augustin nous le fait surtout connaître dans sa réfutation de Fauste.

D’autres erreurs encore semblent impliquer le docétisme, parce qu’elles méconnaissent les éléments constitutifs de la nature humaine dans le Christ. Au ive siècle, par exemple, Arius, voir t. I, col. 1787, et Kunomius ne reconnaissent dans le Christ qu’un corps sans âme humaine, un fy-jy/n 0-ûu.a ou une tyj/j ïXo-pç ; Apollinaire, voir t. I, col. 1506, mutile sa nature humaine, en ne lui accordant qu’un corps anime, mais sans âme raisonnable, le voû ; étant inutile là où le Verbe joue son rôle. Plus tard enfin, au commencement du VIe siècle, fut débattue en Egypte, entre eutychiens, la question de savoir si le corps de Jésus pendant sa vie et avant sa résurrection avait été corruptible ou incorruptible, d’où le nom d’aphthartodocètes donné à ceux qui soutenaient qu’il avait été incorruptible. Nous laisserons de côté ces dernières erreurs pour ne nous en tenir qu’aux premières, les seules où le docétisme a été véritablement enseigné non sans quelques dangers pour la foi.

Ses dangers.

La foi, en effet, se trouvait menacée par la gnose en général, par le docétisme en particulier ; car celui-ci, par sa manière de concevoir et d’enseigner le rôle du Sauveur dans le monde et la nature du salut, défigurait complètement ou plutôt ruinait par la base deux des dogmes fondamentaux de la foi chrétienne, l’incarnation et la rédemption. L’Église faisait profession de croire que le Fils de Dieu s’est fait homme pour sauver les hommes et qu’il les a sauvés par la mort sanglante sur la croix. Le docétisme, au contraire, en ne voyant dans ce double mystère qu’une apparence sans réalité le supprimait radicalement ; car si le Verbe ne s’est pas fait chair, que devient le rôle attribué par les Évangiles à la Vierge Marie ? Et s’il n’est pas mort pour le rachat de l’humanité, que devient le salut’.' Et du même coup que devient le christianisme, que devient l’Église’? C’était donc une question de vie ou de mort qui était posée. Bien de plus urgent dès lors que d’opposer à l’erreur insinuante et dangereuse sous son appareil scient » -Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.