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CONSCIENCE

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Certes, au sujet d’actes simples, d’applications immédiates des principes moraux, la certitude s’obtiendra facilement ; mais il arrive que l’esprit ne puisse saisir aucun lien de conformité ou d’opposition entre l’acte et la loi ; dans ce cas, il ne sait pas. C’est, spéculativement, l’ignorance intellectuelle, et pratiquement, le doute négatif. Il n’y a aucune raison pour ni contre, il n’y a aucun poids dans aucun des plateaux de la balance. D’autres fois, il y a des raisons pour, mais il y en a d’équivalentes contre, et entre les deux alternatives l’esprit hésite, la volonté ne décide rien, c’est le doute positif. Dans les deux hypothèses, la conscience est douteuse. D’autres fois encore, les raisons apparaissent dans les deux sens, elles se combattent, aucune ne parait convaincante, mais les unes semblent plus fortes et inclinent davantage l’esprit, la volonté qui y trouve un avantage ou une harmonie supérieure avec ses aspirations ou avec la synthèse du vrai et du bien qu’elle a adoptée et qu’elle croit, se décide en leur faveur, se fait une opinion, et impose à l’esprit un jugement qui admet une hypothèse comme vraie, quoique non comme certaine, ni comme excluant la possibilité de l’erreur. Le jugement prononcé est mélangé de crainte d’errer ; il appartient à la conscience probable. Voir Probarilisme.

3° Il y a enfin dans la conscience un mélange de force impérative et de non-obligation, c’est-à-dire qu’il faut considérer l’obligation morale dans sa source et dans sa manifestation.

1. La source de l’obligation est en dehors et au-dessus de la conscience. L’obligation est un lien imposé par un être supérieur à un être subordonné. L’homme n’étant pas supérieur à lui-même ne peut s’imposer des obligations ; il peut s’engager envers d’autres personnes et se trouver ainsi obligé par la loi supérieure de la fidélité à la parole donnée, à respecter des droits qui ne lui appartiennent plus, puisqu’il les a transférés à autrui ; mais il ne peut, se parlant à lui-même dans le sanctuaire de sa conscience, se créer d’obligations réelles. Le fit-il, qu’il pourrait toujours s’en délier, puisque toute loi portée par un législateur peut toujours être abrogée par lui. En outre, la conscience est surtout d’ordre intellectuel : elle est un reflet. La loi est d’ordre volontaire, elle est un précepte, une impulsion volontaire. Par sa nature, la conscience diffère donc de la loi : elle ne peut être un principe d’obligation.

2. Mais elle peut être et elle est un témoin qui dénonce et affirme l’obligation. Celle-ci n’est manifestée à la volonté et n’atteint l’activité fidèle que par l’intermédiaire de la conscience. Un simple coup d’œil sur la psychologie du législateur et du sujet nous le montrera. Comment la volonté du législateur pourra-t-elle atteindre le subordonné, lier sa volonté et subjuguer son action ? Les deux volontés, résidant au sein de l’âme, ne peuvent être en contact immédiatement. A la volonté du législateur il faut un verbe qui l’énonce et la promulgue ; jusque-làelle n’oblige pas. Mais le verbe à son tour ne meut la volonté qui est une force rationnelle, que par le canal de la connaissance. Il faut que l’esprit du sujet connaisse la promulgation de la loi et en informe la volonté : premier rôle de la conscience. La volonté ensuite avertie par la connaissance se tourne vers l’action, laquelle, étant mue par la volonté, est consciente, el ici encore la conscience intervient pour savoir ce qu’est l’action et en quoi elle se conforme au commandement. La conscience est donc la voie indispensable qui traduit à la volonté les ordres supérieurs, elle est la bouche qui redit la loi. l’organe qui interprète l’obligation, et, dans ce sens secondaire et instrumental, elle oblige ; mais c’est à la façon du serviteur qui apporte les préceptes du patron, de l’officier d’ordonnance qui transmet les ordres du général en chef.

3. La conscience a donc une influence, Inquelle est

d’autant plus évidente que c’est par elle seule, et dans l’unique mesure de ses promulgations et interprétations, que nous sommes mis en demeure d’agir. Si la conscience ignore une loi, celle-ci est pour nous non existante ; si la conscience traduit faussement, mais de bonne foi, une loi, nous voilà obligés de suivre les sentiers erronés qu’elle nous indique ; si la conscience, de bonne foi toujours, grossit ou diminue une obligation, celle-ci croit ou décroit dans la même proportion. Nous ne sommes tenus que dans la mesure où la conscience sincère nous applique la loi ; et ainsi une part de subjectivisme vient apporter de la relativité à l’absolu de la loi objective.

4. Les deux grands docteurs du xiii siècle ont admirablement exposé ce rôle de la conscience. Saint Thomas d’Aquin dit : « Quoique l’homme ne soit pas supérieur à lui-même, cependant celui dont le précepte lui est intimé par la science, lui est supérieur, et ainsi se trouve-t-il lié par sa conscience. » Quamvis liomo set/iso non sit superior, tamen Me de cujus prsecepto scientiam habet, eo superior est ; et sic ex sua conscientia ligatur. Qusest. disp., De veritate, q. xvii, a. 3, ad 3um. « L’homme ne se fait pas à lui-même la loi ; mais, par son acte de connaissance, il connaît la loi faite par un autre, et il est ainsi lié par le devoir d’accomplir la loi. » Homo non facit sibi legem ; sed per action suse cognitionis, qua legem ab alio faclam cognoscit, ligatur ad legem implendam. lbid., ad l um. « La conscience ne lie qu’en vertu du précepte divin, soit selon la loi écrite, soit selon la loi donnée à la nature. Si donc l’on compare le lien de la conscience au lien résultant du commandement d’un supérieur, on compare réellement le lien d’un commandement divin au lien du commandement de ce supérieur. Et parce que le précepte divin oblige contre le précepte du supérieur, et oblige plus que ce précepte du supérieur, le lien de la conscience est plus fort que le lien du précepte du supérieur ; et la conscience lie même en opposition avec ce commandement du supérieur. » > Conscientia non ligat nisi vi prsecepti divini, vel secundum legem scriptam, vel secundum legem natures inditam. Comparare igitur ligamen conscientise ad ligamen quod est ex prsecepto prælati, non est aliud quam comparare ligamen prsecepti divini ad ligamen prsecepti prselati. (Jnde, quum prseceptum divinum oblige ! contra prxceplum prselati, et magis obliget quam præceptum prœlati, conscientise Ugame71 erit majus quant ligamen prsecepti prælati ; et conscientia ligabit, prsecepto prselati in contrarium exis tente, lbid., a. 5. Saint Bonavenlure exprime la même doctrine par une intéressante comparaison : « La conscience est comme le héraut et le messager de Dieu ; ce qu’elle dit, elle ne l’ordonne pas de son propre droit, mais elle l’ordonne de la part de Dieu, comme quand le héraut promulgue l’édit du roi ; et de là vient que la conscience a la vertu de lier. » Conscientia est sicut præco Dei et nuntius’; et quod dicit non mamlat rx se, sed mandat quasi ex Deo sicut præco, quum divulgal edictum régis ; et hinc est quod conscientia habet virtutem ligandi. In II Sent., dist. XXIX, a. 1, q. i. J. Didiot à qui nous empruntons ces traductions ajoute : « La conscience humaine est donc un organe et un instrument de transmission, communiquant à notre volonté, à notre personnalité tout entière, les ordres du suprême législateur, et nous insinuant l’obligation d’obéir, soit aux luis proprement divines, soit au code ecclésiastique ou civil, soit aux commandements de l’autorité familiale et des pouvoirs analogues qui nous régissent. » Morale fondamentale, théor’xxix, n. 251, Paris, Lille, 189(1, p. 168.

IX. Fausses prétentions de la conscience.

Les qualités d’immutabilité, de certitude et d’obligation relatives de la conscience ont encouragé certains moralistes à lui donner une mission excessive et à en