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CONGRUO (DE CONDIGNO)


môme, on se demande pourquoi cet état deviendrait nécessaire pour l’application des mêmes mérites en faveur d’autrui. D’autre part, puisque le pécheur peut, puisqu’il doit poser et multiplier des œuvres qui appellent de la bonté divine sa propre justification, pourquoi ne pourrait-il pas offrir les mêmes œuvres avec la moine efficacité en faveur du prochain, étant donné surtout ce que nous avons exposé du juste : tout ce que la congruité de ses œuvres méritoires peut acquérir pour lui-même, il peut aussi l’obtenir pour autrui. Enfin, il est constant que Dieu exauce parfois les prières du pécheur : et donc ce que le pécheur peut assurer par la voie inipétratoire, il l’obtiendra aussi bien par la voie méritoire d’œuvres qui nous semblent, autant que la prière, provoquer, en toute décence, un retour et une récompense de la pitié divine.

II. CONDIGNO (DE). Ce terme désigne l’espèce principale du mérite en général, du mérite théologique et surnaturel en particulier. — I. Notions préliminaires. II. Notion générale de la condignité ou du mérite de condigno. III. Notion spécifique de la condignité ou du mérite de condigno dans l’ordre surnaturel. IV. Distinctions diverses.

I. Notions préliminaires.

L’on trouvera ailleurs, voir Mérite, la théorie générale du mérite et celle de son application à l’ordre théologique. Il n’est ici besoin que de rappeler les notions nécessaires a l’intelligence de l’espèce de condigno. Au sens concret, le mérité signifie toute action digne de récompense ou de punition. Au sens abstrait, le mérite désigne la qualité ou condition précise qui rend une action ainsi digne de récompense ou de punition. Si, justement, cette qualité ou condition appelle de Dieu même la récompense ou la punition, c’est alors le mérite théologique. Et suivant que la récompense ou la punition divine sera d’ordre naturel, préternaturel, ou surnaturel, le mérite sera pareillement naturel, préternaturel ou surnaturel. D’ordinaire, le nom de mérite ne s’applique guère qu’aux actions bonnes et dignes de récompense ; et, en matière théologique, le terme désigne toujours des actions d’ordre surnaturel.

II. Notion générale de la condignité ou du hérite DE CONDIGNO. — 1° Le mérite, quel qu’il soit, est dit de condigno, quand il existe entre une bonne action et sa récompense un rapport tel qu’il en résulte une obligation de justice. L’analyse découvre deux éléments nécessaires à la constitution de ce mérite de condigno.

1. De la part de la personne qui mérite, la bonne action posée doit se trouver en juste, en équitable proportion avec la récompense. C’est le fondement même de la condignité, c’est le condignwn in actu primo. Sans cette proportion juste et équitable, il peut exister entre une action et sa récompense tel rapport que l’on voudra, il peut même y avoir relation de mérite, non de mérite qui s’adresse à la justice, mais à la bonté, à la charité d’autrui.

Nous reconnaissons que le travail correctement exécuté pour un employeur mérite de condigno un salaire proportionnel, et ce salaire est dû à titre de stricte justice. L’objet mis en vente mérite aussi de condigno un juste prix, et ce prix est dû à titre de justice commutative. Dans les deux cas, les conditions sont telles que l’équation est parfaite entre le travail et son salaire, entre l’objet et son prix d’échange. Il y a rapport d’égalité entre les deux termes en cause ; c’est la condignité adéquate.

Quand il s’agit de mérite proprement dit, ce rapport, ou la condignité, s’entend de façon moins étroite. La npense peut dépasser, et de beaucoup, la valeur de la bonne action : cette récompense alors se mesure moins à la bonne action appréciée en elle-même qu’à la condition plus ou moins élevée et fortunée de la

personne pour qui elle est faite. Tel personnage récompense princièrement, bien au delà de sa valeur intrinsèque, un service rendu. Nous n’estimons pas moins qu’il existe un rapport, sinon d’égalité, du moins d’équitable et juste proportion entre le service et la récompense princière. Dans tel concours, le prix proposé dépasse singulièrement la valeur réelle des épreuves fournies, si on les juge en elles-mêmes et en elles seules. Le concours achevé, nous n’estimons pas moins que le vainqueur peut réclamer comme une récompense, qui lui est justement due, le prix proposé, si élevé soit-il. Ici donc les choses doivent s’apprécier, moins en elles-mêmes qu’à la mesure de l’estime commune. Ce n’est plus l’abandon du travail pour un salaire qui le représente exactement ; ce n’est plus l’échange d’un objet pour un autre de même valeur ; c’est une action qui est posée en l’honneur ou pour l’utilité d’autrui : en raison de cette action et de sa direction, autrui, quel qu’il soit, se trouve lié, obligé, parce qu’on attend justement de sa magnanimité comme de sa justice une digne récompense, præmium condiguuni.

2. De la part de la personne qui récompense, pour que l’action méritoire revête le caractère de condignité, il faut l’acceptation préalable. C’est elle qui achève de donner aux actions leur condignité parfaite au regard de la récompense, condignwn in actu secundo, en engageant la justice et la fidélité de celui qui les accepte. L’on peut faire en mon honneur, pour mon utilité, toutes les bonnes actions que l’on voudra. Si je ne les ai par avance acceptées de façon quelconque, si je ne me suis en quelque manière engagé 1 pour elles, je ne suis aucunement lié, aucunement obligé au regard d’une récompense à fournir. L’on pourra peut-être faire appel à ma bonté, mais l’on ne saurait invoquer raisonnablement ma justice. Il a plu à un brave voisin d’aller, sans d’ailleurs me consulter, bêcher mon champ. Je l’aurais d’autant plus détourné de ce travail que ce champ ne doit plus désormais être cultivé, mais servir à constructions. En justice, je ne suis nullement tenu à la rémunération d’un travail exécuté en de semblables conditions ; ma bienveillance, ma bonté pourront toutefois aviser s’il y a lieu de reconnaître, en quelque façon, les bonnes intentions ainsi traduites.

2° Quand il s’agit de condignité dans l’ordre théologique, les précédents éléments doivent s’entendre avec certaines réserves.

1. Pour la valeur et la proportion des actions bonnes à leur récompense, il importe dénoter les observations suivantes : a) Les œuvres de l’homme, quelles qu’elles soient, ne peuvent jamais procurer à Dieu rien dont il manque, rien donc qui lui soit nécessaire ou réellement utile. — h) Tout ce que l’homme peut faire ou procurer, dans quelque ordre que ce soit, sera toujours, en dernière analyse, un don de Dieu même, créateur, conservateur et directeur intime de toutes choses. — c) Entre Dieu et la créature, entre l’action humainement posée et la récompense divinement accordée, il ne peut jamais y avoir ni égalité ni indépendance des personnes en cause. D’où il suit, conclut saint Thomas, que, de l’homme à Dieu, il ne saurait exister des rapports de justice selon le concept de l’égalité absolue, mais selon le concept d’une certaine proportionnalité, en ce sens que chacun agit suivant son mode et sa nature propre. Or, le mode et la mesure des facultés de l’homme lui viennent de Dieu. C’est pourquoi le mérite de l’homme devant Dieu ne peut s’établir qu’en supposant l’ordre de la providence divine : je veux dire que l’homme pourra bien, par ses œuvres, obtenir de Dieu, en manière de récompense, ce à quoi Dieu même lui aura donné la faculté de travailler. Et ainsi Dieu ne devient pas réellement et simplement débiteur à notre endroit, mais débiteur envers lui-même, parce qu’il se doit de réaliser l’ordre de sa providence. Non potcal /tournas