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CONGRUISME


ver la théorie en germe ou expressément enseignée chez les théologiens de l’époque du concile de Trente et de l’ancienne école thomiste, même chez les Pères, et notamment chez saint Augustin. Le P. G. Schneemann en tait la savante démonstration dans la première partie de son livre Controversiarum de divinse grattée liberiqite arbilrii concordia initia et progressas, Fribourg-en-Brisgau, 1881, p. 38-180. J.-B. Faure l’avait précédé dans cette voie pour ce qui regarde saint Augustin : In Enchiridion S. Augustini, c. lii, Naples, 1847, p. 100-109. Aussi bien Suarez avait souvent émis, en les appuyant des références nécessaires, des prétentions toutes semblables, et de nombreux auteurs congruistes n’ont pas manqué d’approfondir et de compléter cette partie de la démonstration. Voir 1. 1, col. 2389-2392.

/ ;. exposé doctrinal. — 1° Rappelons que la grâce est dite prévenante, excitans, vocans, adjuvaris, quand elle prévient ou meut surnaturellement la volonté elle-même, pour la disposer et l’incliner à la libre acceptation de l’appel divin. La grâce agit donc alors sur la volonté pour ainsi dire inconsciente, avant que celle-ci ait donné son libre assentiment. Mais quand cette grâce, librement acceptée par la volonté, agit avec elle pour la libre production d’un acte surnaturel, alors elle n’est plus prévenante ; elle est vraiment concomitante ou coopérante. Or, le langage théologique désigne, sous le nom de grâce efficace, celle qui est suivie de son effet connaturel par la coopération du libre arbitre. Illa est gratia effica.v, écrit Suarez, per quant Deus facit ut velimus et faciantus. De gratia, l.V, c. v, n. 10, Paris, 1857, t. viii, p. 408. Ver uni et proprium au.rittum efficax prseveniens, dit-il encore, qito Deus facit ut Itomo faciat. Op. cit., 1. V, c. iii, n. 2, ibid., p. 394. C’est donc proprement la grâce coopérante qui est efficace. Au contraire, la grâce suffisante est celle qui n’est pas suivie de son effet, parce que le libre arbitre lui a refusé sa coopération.

Cette division de la grâce en efficace et suffisante est relativement récente, pour ce qui regarde les noms eux-mêmes. Elle ne se rencontre, en propres termes, ni dans les Écritures, ni chez les Pères, ni dans les conciles, ni en saint Augustin, ni en saint Thomas. Elle ne remonte guère au delà du xvi c siècle, aux origines des controverses De auxiliis. En revanche, la chose elle-même, le concept d’une grâce qui emporte son effet et d’une autre qui ne l’emporte pas, a été retenu de tout temps. On le trouve vingt fois exprimé par saint Augustin dans les luttes pélagiennes. Il convient toutelois de remarquer que certaines locutions, fréquemment employées par le grand docteur, nous font immédiatement penser à la grâce efficace ; et cependant elles n’ont pas, dans son opinion et dans son style, cette signification exclusivement définie et réservée. Quand il parle de la grâce, qua Deus agit ut velimus, operatur ut velimus, ipsum velle credere opéra tur in liomine, et dans plusieurs formules analogues, il n’a pas toujours directement en vue la grâce efficace : il a soin de noter que les grâces, énoncées par lui en ces termes, obtiennent ou n’obtiennent pas leur effet par le fait du libre arbitre de l’homme, qui accorde ou n’accorde pas sa coopération. Cf. J.-B. Faure, op. cit., p. 106-108, passim. Voir t. I, col. 2390.

Sous l’empire de la grâce efficace comme de la grâce suffisante, le concile de Trente l’a formellement défini, l’homme demeure toujours libre de donner ou de refuser son consentement. Eidem gratiee (excitanti et adjuvanlï ) libère assentiendo et cooperando disponantur ; … quippe i/’n illant et abjicere potest. Sess. VI, c. v, Denzinger, Enchiridion, n.679. Excitait divina gratia et adjuli… libère ntoventur in Détint. Sess. VI, c. VI, Denzinger, n. (180. Liberum hontinis arbilrium a De motunt etexcilalum…posse dissent ire si vclil. Sess. VI, can. 4. Denzinger, n. 096.

D1CT. DE THÉOL. CATIIOL,

2° Mais dans quel sens précis la question présente envisage-t-elle la grâce efficace ? — 1. Cette efficacité peut se prendre au sens potentiel ou virtuel, effteacia virlualis. Alors elle signifie que la grâce contient en elle-même, indépendamment de toute autre considération, la puissance, l’énergie spéciale requise pour déterminer et produire son effet propre, l’acte surnaturel. Ainsi disons-nous d’un remède qu’il est efficace, parce qu’en dehors de toute application, nous savons qu’il contient les énergies nécessaires pour déterminer ou produire des effets salutaires donnés. L’efficacité entendue de la sorte convient tout aussi bien à la grâce prévenante qu’à la grâce coopérante, à la grâce suffisante qu’à la grâce efficace proprement dite. Ce n’est pas celle dont le congruisme tente l’explication.

2. L’efficacité peut s’entendre au sens actif ou actuel, effteacia actualis. Elle marque alors que la grâce agit présentement, qu’elle détermine actuellement son effet connaturel. Ainsi se trouve-t-elle efficace in actu seciotdo, intimement, vitalement, activement unie au libre consentement de l’homme. Ce n’est pas encore ici le problème dont le congruisme propose une solution.

3. Cette grâce virtuellement ou actuellement efficace peut s’envisager in actu primo, avant son application concrète. On la dit alors efficace, si certainement et infailliblement elle doit entraîner le libre consentement de l’homme, à l’heure de son intervention réelle. C’est ce que les théologiens ont appelé l’efficacité de connexion, effteacia connexionis, à raison du rapport d’immanquable efficacité qui se trouve entre telle grâce éternellement prévue en Dieu et son effet dans le temps et dans tel sujet donné. Au contraire, la grâce est dite simplement suffisante, si dans les mêmes conditions, in actu printo, elle se trouve ne devoir certainement pas obtenir l’adhésion du libre arbitre, lors de sa concession réelle. Telle est toute la question présentement débattue. Considéré à ce point, le problème se pose ainsi : Quelle différence y a-t-il entre la grâce efficace et la grâce simplement suffisante ? L’on répond : La différence est facile à marquer : c’est que la grâce efficace enveloppe, dans son concept, un rapport nécessaire et immanquable avec son effet, qui est la libre adhésion de la volonté. C’est tout l’opposé dans le concept de la grâce simplement suffisante. Jusqu’ici tout le monde demeure ou peut demeurer d’accord.

3° II faut aller plus loin et découvrir d’où procède cette infaillible connexion, cet enchaînement immanquable de la grâce avec le consentement du libre arbitre. Pour y parvenir, l’on considère cette infaillibilité de connexion ou d’enchaînement sous trois rapports. 1. D’abord, observe-t-on, elle est voulue de Dieu : c’est l’infaillibilité affective, infallibilitas connexionis affectiva ; c’est Dieu décidant l’octroi d’une grâce qui obtiendra certainement la libre adhésion de l’homme, au lieu de telle autre qui pourrait en soi l’obtenir aussi, mais qui, de fait, ne l’obtiendrait certainement pas. — 2. D’autre part, elle est connue de Dieu : c’est l’infaillibilité de connaissance, infallibilitas connexionis cognoscitiva ; c’est Dieu connaissant de façon infaillible qu’une grâce obtiendra certainement son effet, quand telles et telles autres qui de soi pourraient aussi l’entraîner, en fait ne l’obtiendraient sûrement pas. — 3. Enfin cette infaillibilité a une réalité objective, infallibilitas connexionis objectiva. En effet, telle grâce que Dieu voit liée au libre consentement de l’homme, que Dieu veut et. décide d’accorder, se trouve, dans l’ordre réel des choses, avoir une relation nécessaire et objective avec ce même consentement. C’est parce qu’il est objectif, ontologique, que Dieu perçoit ce rapport, car Dieu lui-même ne voit que ce qui est en quelque manière.

Tons s’accordent ou peuvent s’accorder encore à distinguer, dans l’analyse de la grâce efficace, ce triple

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