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COMPENSATION (PROP.ARIUSME A)

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1875. M. Didiot intervint dans la polémique par une Epistola tlteologica, adressée au P. Potton et datée du 20 mai 1875. Revue des sciences ecclésiastiques, t. xxxi, p. 438-454. Le P. Potton répliqua par une Responsio theologica, du 8 août suivant. Ibid., t. xxxii, p. 160179. Il eut un nouvel adversaire contre qui il se défendit : Le probabilisme à compensation, réponse à M. l’abbé Écalle, archiprêtre d’Arcis sur-Aube, Barle-Duc, 1878 (extrait des Annales du monde religieux). Ce sont les idées du R. P. Potton, le principal défenseur de celle théorie, que nous exposerons ici.

II. Exposé.

Selon le R. P. Potton, le probabilisme tel qu’on l’entend habituellement est inadmissible. Aux objections formulées contre l’axiome : Les dubia lex iiulla, par l’auteur anonyme de YAppendix de probabilismo, publié dans le Cursus completus theologix, de Migne, t. xi, col. 1497-1500, le R. P. Potton ajoute les quatre critiques suivantes : 1° Si l’axiome : lex dubia, lex nulla est vrai, il doit l’être partout ; or les probabilisles eux-mêmes le jugent inapplicable en certains cas et s’en servent seulement lorsqu’il est question de licito vel illicito. L’axiome est donc faux. 2° Juger de l’obligation d’une loi douteuse uniquement d’après son degré plus ou moins élevé de probabilité, lui concéder ou lui refuser le pouvoir d’obliger selon qu’elle atleintou non un degré de probabilité arbitrairement fixé, le même pour tous les cas, est une façon de procéder que rien ne justifie ; d’une part, il n’existe aucune règle certaine pour apprécier avec précision les degrés de probabilité ; d’autre part, on ne peut expliquer comment uni’loi, obligatoire parce qu’elle a tel degré de probabilité, cesse de l’être dès qu’elle ne l’atteint plus. Comment expliquer par exemple qu’une loi douteuse oblige si elle a 50 p. 100 ou 60 p. 100 de probabilité et devient nulle si elle n’a plus que 49 ou 59 p. 100 de probabilité ? 3° Si le principe du probabilisme est vrai, comment peut-il conduire aux solutions les plus opposées ? Or il est admis par tous les théologiens non rigoristes, depuis les probabilioristes jusqu’aux laxistes. 4° Enfin toute transgression, même purement matérielle, d’une loi est un mal. Or la loi naturelle nous oblige à éviter non seulement le mal certainement existant, mais même le mal probablement existant. Tout le monde admet, en effet, qu’il n’est point permis d’agir avec une conscience douteuse. Si donc il n’est pas prouvé qu’une loi est inexistante ou abrogée, il faut l’observer : c’est le parti le plus sévère, mais c’est le seul parti sur. De tlteoria probabUitalis, part. II, c. îx.

Avec le système de compensation, tous ces inconvénients disparaissent. Au principe dangereux et non prouvé : Lex dubia, lex tiulla, on substitue le prudent axiome : In dubiis, lulius est eligendum, sainement compris et sagement appliqué. Mais, dira-t-on, d’où vient cette obligation de prendre le parti le plus sûr ? De ce qui vient d’être dit au précédent paragraphe. Dans la violation d’une loi quelconque il y a un mal réel, mal moral ou péché si l’agent sait et veut librement ce qu’il fait, mal au inoins matériel dans le cas contraire. Toute loi, en effet, a pour but le bien : si, de fait, elle est observée ou transgressée, son but est atteint ou manqué ; et s’il est manqué, c’est un mal dont quelqu’un pâtira. Or il n’est pas permis de s’exposer sans raison suffisante a provoquer ce mal, pas plus qu’il n’est permis au chasseur de s’exposer par imprudence a tuer un homme, pas plus qu’il n’est permis au prêtre d’exposer un sacrement au péril de nullité en employant une matière douteuse sous prétexte qu’elle est peut-être suffisante. En loules ces circonstances, il fini prendre le parti le plus sur.

i "-I à la vérité le principe du lulioiisme rigide : une remarque forl simple, dont les rigoristes n’ont point tenu compte, suffit pour atténuer en pratique la sévérité du principe sans rien sacrifier du principe lui même. Il serait absurde d’assimiler en tout la loi douteuse à la loi certaine : l’obligation qu’impose celle-là est évidemment de moindre valeur. A une loi certaine correspond une obligation parfaite ; aune loi douteuse, une obligation imparfaite. Pour échapper à l’obligation d’une loi douteuse, il faudra toujours des motifs, moins graves pourtant que si la loi était certaine : ces motifs nécessaires devront être proportionnés à l’importance et la probabilité de la loi et varieront selon les circonstances. Il faudra tenir compte des inconvénients résultant soit de l’observation, soit de l’inobservation de la loi. Si les premiers égalent ou dépassent les seconds, il est permis, par épikie, de négliger la loi douteuse. Mais s’il n’existe aucune raison de se dispenser, ou s’il n’y a pas de proportion entre les avantages que présentel’accomplissement du précepte et les inconvénients résultant de la transgression, si, en un mot, ils ne se compensent pas les uns par les autres, que l’on prenne le parti le plus sûr ; c’est le devoir. De tlieoria probabilitatis, part. IL c. il.

En pratique, le P. Potton accepte les conclusions des équiprobabilisles, parce que : 1° généralement, quand les raisons pour ou contre la loi sont à peu près d’égale valeur, il y aurait autant d’inconvénients à la faire observer qu’à en dispenser ; 2° le système équiprobabiliste évite à la fois les excès du tutiorisme rigide et les principes dangereux et suspects du probabilisme ordinaire ; 3° les théories équiprobabilistes s’adaptent sans peine au système de compensation ; on les comprend mieux, on peut en faire une application plus précise et plus sûre, quand on les interprète selon les idées développées plus haut.

III. Critique.

La nouvelle théorie n’eut que peu de succès ; elle ne compte aucun défenseur parmi les théologiens contemporains. Au point de vue purement spéculatif, on lui reproche de mener logiquement au tutiorisme. Car s’il est vrai que la loi douteuse oblige, en l’absence de toute cause de dispense, il faut obéir à la loi, si peu probable qu’elle soit, et à moins de raisons qui dispensent de prendre le parti le plus sûr, il n’est pas permis de suivre l’opinion bénigne, même probabilissima ; or le soutenir, c’est admettre la 3e des propositions condamnées par Alexandre VIII : Non licet seijui opinionem vel interprobabiles prubabilissimam. On arrive aux mêmes conclusions rigoristes en affirmant l’obligation stricte d’éviter tout mal même simplement matériel dès que l’existence de ce mal est probable. De plus, il est difficile de concevoir cette obligation imparfaite correspondant à une loi douteuse, c’est-à-dire imparfaitement connue, comme l’obligation parfaite correspond à la loi certaine, c’est-à-dire parfaitement connue. Une obligation peut être grave ou légère : mais cette obligation imparfaite, cette demi-obligation, que peut-elle être ? Ainsi raisonnent Grury, Casus conscientise, cas. vu ; Montrouzier, S., 1., Etude sur le probabilisme, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, 1870, t. xxi, p. 289-301, et l’auteur d’un article publié dans la même Revue, en 1872, t. xxv, p. 383390, sous ce titre : Un nouveau système touchant la inhabilité. En pratique, le P. Potton se range parmi les équiprobabilistes ; mais les raisons qui le décident sont indépendantes de son système : avec les mêmes principes on pourrait prendre place parmi les rigoristes, les probabilioristes. les probabilistes ou les laxistes : tout dépend de la nature, de la rigueur ou de la faiblesse des raisons qu’on exigera pour dispenser d’une loi douteuse. Le probabilisme de compensation ne fournit donc pas de réponse définitive à la question qu’il prétend résoudre.

En outre des auteurs cités dans l’article, voir BouquiUon, Theologia fundamentalis, Taris, 1890, 1. III, part. II. sect m. c. ii, 11.297 ; Tanquerey, Synopsis theologix moralis et pastoralis, Pans. 1905, t. II, n. M5-M7 ; L. Bertrand, Bibliothèque