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COMMODIEN

t. v, col. 260. Besson, Commodien, sa place dans la littérature chrétienne, dans la Revue de Fribourg, 1903, p. 261 sq., a signalé le fait que Gazeus est un nom propre dans d’anciennes inscriptions latines. Corpus inscript, latin., t. v, n. 645, 1587. Commodien a donc pu changer de nom et prendre Commodianus comme surnom pour des raisons particulières que nous ignorons. Harnack, Die Chronologie, Leipzig, 1904, t. ii, p. 436. Mais M. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, Paris, 1905, t. iii, p. 458-461, rejette toutes ces explications et suppose que le mot Gasei est une sorte d’énigme, un mot artificiel composé d’une série d’abréviations.

Le lieu d’origine de Commodien reste incertain. Pour les uns, il aurait été originaire de l’Afrique du Nord, de l’Afrique proconsulaire, de Carthage ou de ses environs. On le conjecture, à défaut d’autres indications, de son style et de ses attaches littéraires. Sa langue, en effet, est barbare comme celle des populations carthaginoises ; elle est remplie de vocables étrangers à la pure latinité, mais d’usage courant chez les puniques latinisés ; et certains passages de ses œuvres sont si étroitement apparentés avec des passages parallèles de Tertullien et de saint Cyprien qu’ils semblent n’avoir pu être écrits que par un compatriote de ces deux illustres Africains. Bardenhewer, au contraire, Geschichte der allkirchlichen Literatur, Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. ii, p. 584, le range parmi les écrivains occidentaux qui ne sont ni romains, ni africains ; c’est dire qu’il n’admet pas comme prouvée son origine africaine ; car ses prétendus africanismes appartiennent au domaine commun de la littérature chrétienne. Cf. Lejay, Ancienne philologie chrétienne, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1904, t. ix, p. 382. Harnack, Geschichte der altchristl. Litteratur, Die Chronologie, t. ii, p. 433 sq., sans se prononcer, incline à désigner Rome elle-même comme le lieu où s’est exercée son activité littéraire. Voir J. M. Heer, Zur Frage nach der Heimat des Dichters Commodianus, dans Römische Quartalschrift, 1905, t. xix, p. 64-82. M. Monceaux, loc. cit., p. 461, tient pour l’origine africaine de Commodien. La haine contre Borne, le nom de Commodianus qui se lit dans des inscriptions africaines, la mention de Cælestis, la grande déesse de Carthage, les nombreuses allusions aux persécutions et aux schismes d’Afrique, à l’épiscopat de Cyprien, la langue, l’emploi de formes particulières aux Africains, la redondance du style, les sources (Tertullien et Cyprien), le tempérament même du poète, son tour d’esprit, tout amène à cette conclusion que Commodien était un Africain, ou, du moins, vécut longtemps en Afrique, et qu’il écrivait pour un public africain.

Les renseignements sur sa propre vie se réduisent à fort peu de chose, et nous les tenons de lui-même. Il nous apprend, en effet, qu’il est né de parents païens, qu’il a été élevé dans le paganisme, qu’il s’est même adonné aux pratiques de la magie et des incantations, choses fréquentes en Afrique, au rapport d’Apulée, Præf., vs. 4-6, P. L., t. v, col. 201-202 ; qu’il a partagé les erreurs païennes. Instr., xxvi, vs. 375 ; xxxiii, v. 492, ibid., col. 221, 225. Errabam ignarus spatians spe captus inani. Carm., i, vs. 3 ; Pitra, Spicilegium, Paris, 1852, t. i, p. 21. Mais il est sorti de la cloaca, c’est-à-dire de l’idolâtrie, parce qu’il a été converti par la lecture de l’Écriture sainte. Instr., lxi. vs. 965, P. L., t. v, col. 247. Abstuli me tandem inde, legendo de lege. Præf., vs. 6. ibid., col. 202. M. Monceaux, loc. cit., p. 462, suppose même, avec Bardenhewer, que Commodien s’était tourné d’abord vers le judaïsme. Il parle sans cesse des juifs et des judaïsants ; il s’acharne contre eux avec une rancune de transfuge. La lecture de la Bible l’amena ou le ramena au christianisme. Il raconte, mais sans en donner les raisons, qu’il avait été soumis à la discipline de la pénitence. On ne sait pour quelle faute. On peut supposer qu’il avait été baptisé dans sa première jeunesse et que, revenu à l’Église après s’être égaré dans les temples et les synagogues, il avait dû se soumettre à la pénitence pour obtenir son pardon. Blessé, puis guéri, il a voulu guérir les autres et désabuser ses lecteurs des erreurs auxquelles il a échappé.

Ob ea perdoctus, ignaros instruo verum. Præf., vs. 9.
Et qui ego moneo, idem fui nescius errans. Instr., xxxiii, vs. 2.
Sensi ipse ruinant,
Ideirco commoneo vulneratos cautius ire. Instr., xlix, vs. 9-10.
Et ideo tales hortor ab errore recedant.
Quis melior medicus, nisi passus vulneris ictus. Carm., i, vs. 14-15.

Sa conversion et l’ardeur de son prosélytisme rappellent ainsi celles de saint Justin et de Tatien, au iie siècle. De là le titre significatif de ses deux ouvrages : Instructiones adversus gentium deos pro christiana disciplina ; Carmen apologeticum.

Est-il permis d’aller plus loin et d’affirmer qu’il a occupé un rang élevé dans la hiérarchie ecclésiastique, qu’il a été évêque ? Peut-être ; car le manuscrit de Middlehill, bien qu’illisible dans les trente derniers vers, se termine par ces mots : « Ici s’arrête le traité du saint évêque. » Cette note sans doute pourrait n’exprimer que l’opinion du copiste inconnu ; mais comme, d’autre part, les conseils que donne l’écrivain aux divers membres de la hiérarchie, le ton d’autorité qu’il prend vis-à-vis de certains évêques, paraissent difficilement être le fait d’un simple laïque, dom Pitra a cru pouvoir conclure que Commodien avait été évêque, d’où le titre significatif qu’il a donné à son second ouvrage : Commodiani, episcopi africani, carmen apologeticum adversus judæos et gentes. Spicilegium, t. i, p. 20. Mais Commodien a si peu le ton et l’allure d’un évêque que cette supposition a été jugée invraisemblable par bien des savants. Dans ses poèmes, il ne fait aucune allusion à ses fonctions épiscopales. Il critique les clercs sans ménagement, et il ne se considère pas comme un des leurs. Il déclare qu’il n’est pas « docteur » , et il a toutes les allures d’un laïque. Toutefois M. Monceaux, loc. cit., p. 463-464, suppose qu’il était un de ces seniores laici, qui en Afrique formaient une sorte de conseil d’administration, chargé d’assister et d’aider l’évêque. Cette particularité expliquerait ses recommandations fréquentes de la charité en faveur de la caisse commune. On le prendrait volontiers pour le trésorier de la communauté, et ce serait peut-être l’explication du titre qu’il prend de mendicus Christi, mendiant pour les pauvres.

A quelle époque a-t-il vécu ? La précision est difficile à faire. D’après Gennade, Commodien a imité Tertullien, Lactance et Papias. Ce ne peut pas être une indication chronologique ; car Papias, le dernier nommé, est antérieur à Tertullien et à Lactance. Cependant Rigault, le premier éditeur des Instructiones, et, à sa suite, Dupin et Ceillier, le placent au commencement du ive siècle, sous Constantin et saint Sylvestre. Or cette opinion est fondée sur une lecture erronée. Le manuscrit des Instructiones, découvert par Sirmond, portait : Intrate stabiles vestra ad præsepia tauri. Inst., xxxiii, vs. 5. Dans la copie qu’il en fit, il mit : Intrate stabilis sylvestri ad præsepia tauri, de l’aveu même de Rigault, qui préféra la lecture suivante : Intrate stabiles Silvestris ad præsepe pastoris, où l’adjectif sylvestris, a été pris pour le nom propre d’un pape. C’est donc une opinion à laquelle il faut renoncer. Dodwel, d’abord, Dissrrt. de Commodiani ætate, Oxford, 1698, puis Cave. Historia litter., Oxford, 1740, en ont démontré le mal fondé. Et aujourd’hui on place Commodien au iiie siècle, soit avec Ebert, en 249, vers