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CŒUR SACRÉ DE JÉSUS (DÉVOTION AU)


qui lui convenaient. Le P. Eudes enfin avait présenté le Sacré-Cœur aux foules, d’abord dans et à travers le Cœur de Marie, puis dans une fête spéciale du Cœur adorable, de sorte que, ici comme ailleurs, on allait naturellement de Marie à Jésus.

Le culte existait donc, très net pour quelques âmes privilégiées qui en vivaient, mais un peu confus, tel qu’il se présentait aux foules dans les livres et dans la prédication du P. Eudes et de ses disciples, mêlé aussi d’éléments caducs, qui ne pouvaient entrer dans le mouvement de la piété chrétienne. Ce mouvement même était peu étendu ; il ne se dessinait pas d’une manière précise, et il est probable qu’il ne se fût guère répandu dans l’Eglise, après la disparition de celui qui l’avait produit, si Jésus n’était intervenu pour le ranimer, l’orienter, lui donner son caractère de dévotion viable, à la fois large et précise ; précise dans son objet, sa liii, son esprit, quelques-unes de ses pratiques, destinées à donner le ton ; large dans ses manifestations et dans le choix de ses moyens. Tout cela avec un mélange admirable d’idéal et d’ambitions les plus élevées, d’exercices les plus simples, d’attraits les plus vifs pour les âmes les plus diverses.

En même temps, le souffle du Saint-Esprit et l’action discrète de Jésus préparaient l’éclosion du culte. Les précurseurs s’élaient multipliés. Au moment même où Jésus va se révéler à Paray, beaucoup d’âmes vivaient encore, auxquelles il se communiquait confidentiellement, un peu comme un poète lit à quelques amis la pièce qu’il va donner au public. Dans les mêmes temps les auteurs en parlent davantage. On ne sait parfois s’il faut voir ici ou là une aurore, ou un rayonnement discret du soleil déjà levé ; une influence du P. Eudes ou un écho de Paray. En Bretagne, le P. Huby, mort à Vannes en 1693, fut un apôtre infatigable du Sacré-Cœur. Il faisait frapper des médailles du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie ; il a des prières embrasées au Sacré-Cœur ; il propageait une sorte de chapelet du Sacré-Cœur, admirablement mêlé, comme le chemin de croix, de méditation à la portée des plus humbles et de prière vocale. Eut-il connaissance des apparitions de Paray ? Que dut-il au P. Eudes ? Que dut-il à ses prédécesseurs ? On ne saurait le dire. La dévotion semblait éclore comme spontanément dans les âmes. Voir Leticrce, t. I, p. 71-74.

Vers le même temps, le P. Philippe Jeningen, en Souabe, recevait d’insignes faveurs du Sacré-Cœur et s’en faisait non seulement le disciple dévot, mais l’ardent apôtre. Sut-il quelque chose de Paray ou du mouvement suscité en Normandie par le P. Eudes, en Bretagne par le P. Huby ? On ne saurait le dire. Il mourut en 1704. Voir Letierce, Le Sacré-Cœur, p. 211-217.

Nous sommes mieux renseignés sur le saint archidiacre d’Évreux, M. Boudon (1624-1702). Disciple du P. Eudes, il arrive, comme lui, par le Co^ur de Marie au Co’ur de Jésus. Nous avons de lui une consécration aux deux saints Cœurs, qui est de toute beauté. Elle est datée du jour de l’Iminaculée-Conception, 1651. Mais il eut connaissance aussi des révélations de Paray, et il devint l’apôtre de la nouvelle dévotion. Il a sur ce sujet quelques-unes des pages les plus belles et les plus en-II mimées qui en aient été écrites. Cf. Letierce, loc.cit., p. L 14-119.

Précurseur aussi en même temps que contemporaine de la B. Marguerite-Marie et toute dévouée au Sacré-Cœur, sœur Jeanne Bénigne Goyos (1625-1692), de la Visitation de Turin ; elle semble avoir prédit sa glorieuse sœur et les choses merveilleuses que Dieu devait faire par elle. On ne saurait dire avec certitude si elle sut, avant de mourir, que sa prédiction était accomplie. Cf. Letierce, Le Sacré-Cœur, p. 112-413.

2° Formation de la IL Marguerite-Marie. Quelles influence » elle put subir dans le sens de la dévotion

DICT. DE TIlliOL. CATIIOL.

au Sacré-Cœur. Elle ne dépend de personne. — Pendant que Notre-Seigneur préparait ainsi les voies à la B. Marguerite-Marie, il se la préparait lui-même dans le secret, la prévenait dès sa plus tendre enfance et l’enveloppait de son amour, attentif aux premiers battements de son cœur pour qu’ils fussent à lui tout seul. Le 20 juin 1671, elle entrait à la Visitation de Paray, et Jésus commença bientôt de lui révéler les secrets de son Cœur.

Marguerite-Marie eut-elle connaissance du Sacré-Cœur avant les révélations de Paray ? Fut-elle sous l’influence de quelques-uns de ceux que l’on nomme maintenant ses précurseurs ? Connut-elle les révélations faites à sainte Gertrude, lut-elle quelques-unes des pages où il était question du Sacré-Cœur ? Bien ne l’indique ; tout indique le contraire. Avant d’entrer au couvent, elle dut entendre parler du Cœur admirable de Marie, que le P. Eudes avait obtenu, dès 1648, de faire honorer dans le diocèse d’Autun. C’est « un jour de la fête du Cœur de la très sainte Vierge » , la remarque est d’elle-même, qu’elle vit son propre cœur, tout petit « et presque imperceptible » entre les Cœurs de Jésus et de Marie, et pendant qu’elle entendait ces paroles : C’est ainsi que mon pur amour unit ces trois cœurs pour toujours, « les trois cœurs n’en firent qu’un. » Vie et œuvres, t. i, p. 91 ; 2e édit., p. 121. Il se pourrait qu’il y ait là une influence des idées du P. Eudes. C’est la seule trace que nous en ayons.

Dans les pratiques de dévotion envers le Sacré-Cœur, écrites de sa main, il en est qui sont empruntées à des livres de piété qu’elle lisait au couvent, au P. Saint-Jure, au P. Nouet, au P. Guilloré. Voir abbé Marcel, Correspondance des associes de la communion réparatrice, t. iii, p. 20. Cf. Letierce, Étude, t. I, p. 64, note. Mais cela est postérieur aux révélations. Bien n’indique même qu’elle ait connu d’abord les passages de saint François de Sales sur le Sacré-Cœur, ou du moins qu’elle en ait été frappée. Vers la fin de sa vie, elle eut connaissance de la vie et des prédictions de la Mère Anne-Marguerite Clément et elle en parle dans une lettre au P. Croiset. Lettres inédites, lettre ni, p. 125. Mais elle en parle comme d’une découverte qu’elle vient de faire, sans doute en lisant ou entendant lire la vie de la Vénérable Mère qui venait d’être publiée en 1686.

On ne risque donc pas de se tromper en affirmant que la Bienheureuse ne dut pas à des influences extérieures sa dévotion du Cœur de Jésus. Elle ne paraît pas y avoir songé avant son entrée en religion ; c’est de Notre-Seigneur qu’elle l’apprit.

Il y a en Marguerite-Marie la dévote du Sacré-Cœur et l’apôtre du Sacré-Cœur. De sa dévotion nous n’avons à nous occuper que dans la mesure nécessaire pour éclairer sa mission et son apostolat. C’est pourquoi nous ne dirons rien de ses premières relations avec le Sacré-Cœur, pour arriver d’emblée aux grandes révélations qui lui étaient faites en vue du culte public que Notre-Seigneur voulait établir par son entremise.

3° Première des grandes apparitions, "21 décembre (très probablement en 1673). Les secrets du Sacré-Cœur dévoilés ; la disciple et Vévangéliste du Sacré-Cœur. ^-Marguerite-Marie, dans sa lettre au P. Croiset, datée du 3 novembre 1689, signale comme « première grâce spéciale… reçue pour cela » , celle du jourde Saint-Jean Pévangéliste. Elle ne dit pas la date, mais ce dut être en 1673. Comme sainte Gertrude à pareil jour, elle fut admise « à reposer plusieurs heures sur cette sacrée poitrine » et reçut " de cet aimable Cœur des grâces, dont le souvenir, dit-elle-, me met hors de moi-même » . Elle ajoute qu’elle ne croit pas « nécessaire de les spécifier » . Lettres inédiles, lettre iv, p. 141. File ^n parle aussi dans une lettre à la Mère de Saumaise, écrite en janvier 1689 : « Ce divin Epoux, dit-elle, me fit la grâce incompréhensible de nie faire reposer sur son sein

III. - il