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CŒUR SACRÉ DE JÉSUS (DÉVOTION AU)

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Vilis mystica, c. iii, P. L., t. clxxxiv, col. 61l-611. Ce texte nous donne bien la dévotion un Sacré-Cœur. Tout y est : le double objet dans l’unité du symbolisme, la fin, l’esprit et l’acte propre de la dévotion, plusieurs des exercices de la dévotion.

Dans la Vigne mystique, la dévotion existe ; mais les exercices ne sont qu’indiqués. Dans les œuvres de sainte Mechtilde († 1298) et de sainte Gertrude († 1302), nous voyons la dévotion vivante, et, pour ainsi dire, en acte dans une foule d’exercices, rt dans les relations les plus familières avec Jésus. Mechtilde, sur l’invitation même de Jésus, entre pour y reposer dans le Sacré-Cœur. Livre de la grâce spéciale, trad. franc., 1. II, c. xvii, .p. 183. Jésus lui donne son cœur en gage d’alliance éternelle, I. I, c. xx, p. 89 ; cꝟ. 1. II, c. xix, p. 187 ; elle lui parle comme à l’ami le plus tendre, et il lui semble qu’un jour le Maître lui prend « le cœur de son âme » et le presse contre le sien de sorte qu’ils ne font plus qu’un, I. III, c. xxvii, p. 273 ; un autre jour, il lui dit comment il faut demander à son Cœur tout ce dont on a besoin, « comme un enfant qui demande à son père tout ce qu’il désire. » L. IV, c. xxviii, p. 339. Elle lui parle ; elle fait des conventions avec lui ; elle le salue le matin, le salue le soir. Un jour qu’elle craint d’avoir été négligente envers la sainte Vierge, Notre-Seigneur lui dit de venir désormais puiser dans son Cœur tout ce qu’elle désirera olfrir à Marie. L. I, c. xlvi, p. 159.

Dans ces relations intimes, sa dévotion au Sacré-Cœur grandissait sans cesse ; « et presque à chaque fois que le Seigneur se montrait à elle, elle en recevait quelque cadeau. » L. II, c. xix, p. 187. Il se faisait lui-même son maître ; admise un jour à reposer sur la poitrine de son bien-aimé, elle entendit dans les profondeurs du Cœur divin comme trois battements sonores. Il veut bien lui en expliquer le symbolisme. L. II, c. XX, p. 189. Bref, elle disait elle-même : « S’il fallait écrire tous les bienfaits que j’ai reçus du Cœur tout aimant de Dieu, il y faudrait un livre plus gros que celui de matines. » L. II, c. xix, p. 188. Voir Sanctse Mechlildis liber specialis gratise, Paris, 1877 ; trad. franc., Les révélations de sainte Mechtilde, Paris, 1878.

Avec sainte Gertrude, nous sommes davantage encore peut-être dans le monde des relations les plus intimes entre l’àme et le Sacré-Cœur, avec, de part et d’autre, des inventions exquises de l’amour le plus ingénieux et le plus délicat. Voir Cros, Le cœur de sainte Gertrude.

Le livre où sont consignées ces choses est vraiment le Héraut de l’amour divin, Legatus divinse pietatis, ou, pour rendre autant qu’il est possible la nuance indéfinissable du mot pietatis, le Héraut de la bond’mutante de Dieu. Gertrude, comme dit son éditeur I’nédictin, « semble constituée la prophétesse de l’amour divin pour les derniers temps. » Révélations de sainte Gertrude, Paris, 1878, préface, p. xv. Et cetamour divin se personnifie pour elle dans le Sacré-Co’ur. Elle eut « pour mission de révéler le rôle et l’action du Cœur divin dans l’économie de la gloire divine et de la sanctifii il ion des âmes » . Et il faut dire, proportions gardées, la même chose de sainte Mechtilde. On ne peut les comparer, à cet égard, qu’à la B.Marguerite-Marie. Voici comment l’éditeur bénédictin résume les manifestations du Sacré-Cœur à Gertrude ; le résumé conviendrait presque textuellement à sainte Mechtilde : « Tantôt le r divin lui apparaît connue mi trésor où sont renfermées toutes h n tôt c’est une lyre touchée par l’Espril-Saint, aux sons de laquelle se réjouissenl !.. lus sainte Trinité et toule la cour céleste. Puis c’est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du purgatoire, les grâces fortifiantes aux.unes qui militent sur la terre ri ces torrents de délices où s’enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C’est un encensoir d’or d’où s’élèvent autant de

divers parfums d’encens qu’il y a de races d’hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c’est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le prêtre éternel s’immole lui-même. C’est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c’est une coupe où s’abreuvent les saints, mais non les anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçu et élaboré… ; par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d’hommages dus à Dieu, à la sainte Vierge et aux saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait noire serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres reçoivent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. A la fin, c’est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s’ouvre aux âmes à leur dépari de ce monde pour les y conserver dans d’ineffables délices pour l’éternité. » Loc. cit., p. xvii, xvin. Voir la Table des personnes et des choses, au mot Cœur.

Mechtilde et Gertrude ont-elles bien en vue le cœur de chair ? Oui, sans nul doute. Mais il est comme sublimé dans le symbolisme de l’amour, il se perd, pour ainsi dire, dans le rayonnement lumineux de la personne de Jésus. Dans la Vigne mystique, la dévotion s’attache encore à la plaie du côté. Ici, elle va au Cœur par tous les chemins ; et elle le trouve toujours vivant et glorieux. C’est même ce rayonnement de gloire et de joie qui me paraît différencier, pour une bonne part, la dévotion telle qu’elle apparaît chez Gertrude ou Mechtilde, d’avec la dévotion telle qu’elle nous est présentée dans Marguerite-Marie. Non pas qu’il n’apparaisse aussi glorieux et rayonnant chez celle-ci ; mais l’idée de l’amour qui n’est pas aimé, de l’amour qui a tant souffert, s’il ne souffre plus, assombrit presque toujours le ciel de la voyante de Paray ; à Helfla, nous sommes presque toujours sous un ciel rayonnant de joie et de gloire : le Sacré-Cœur s’y montre aimant et glorieux, nous l’y voyons délicieusement aimé, le culte du Sacré-Cœur y respire, de part et d’autre, la joie de l’amour heureux. On a remarqué que cette vue du Christ glorieux et triomphant est celle où se complaît l’art du xiiie siècle ; la croix même y est un trône.

Je n’ai rien dit encore de la vision célèbre où Gertrude eut comme l’intuition des destinées futures de la dévotion au Sacré-Cœur. Cette vision mérite une attention spéciale. Elle fait époque dans l’histoire de la dévotion, en dehors et à côté du développement qu’elle a dans la vie de nos deux saintes. Elle eut lieu, comme plus tard la première grande vision de Marguerite-Marie, in la fête de saint Jean l’évangéliste, aux matines. « Comme elle était, selon sa coutume, tout entière à sa dévotion, le disciple que Jésus aimait si bien, et qui pour cela doil être aimé de tous, lui apparut la comblant de mille marques d’amitié… Celle-ci lui dit : « Et quelle grâce « pourrai-je obtenir, moi chétive, en votre très douce fête ? > H répondit : « Viens avec moi ; lu es l’élue de mon Se16 gneur ; reposons ensemble sur le doux sein du Seigneur, « dans lequel sont cachés les trésors de toute béatitude. » Et, la prenant avec lui, il la conduisit auprès de notre tendre Sauveur, la plaça à droite (on niellait souvent la ploie au côté tirait), et se relira pour se placer à gauche Et comme ils reposaient ainsi tous deux avec suavité au sein du Seigneur Jésus, le bienheureux Jean, touchant du doigt avec une respectueuse tendresse la poitrine du Seigneur, dit : « Voici le Saint des Saints, « qui attire à soi tout le bien du ciel et de la terre. » L. IV, c. iv, t. il, p. 26.

Saint Jean lui explique ensuite pourquoi il l’a mise à droite, du côté de la plaie, tandis que lui a pris la gauche : « Devenu un même esprit avec Dieu, je peux