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CŒUR SACRÉ DE JÉSUS (DÉVOTION AU)


aussi nettement qu’il est possible et l’on pourrait en accumuler sans (in, qui rediraient tous la même chose. Mais il en est d’autres — ce sont souvent les mêmes pièces — qui indiquent aussi autre chose comme objet de la dévotion ; qui retendent à tout l’intime de Jésus, quelquefois à toute sa personne, à ses travaux et à ses souffrances, à ses vertus et à ses sentiments, à sa présence eucharistique, à Jésus tout entier désigné personnellement sous le nom du Sacré-Coaur. Il suffit de lire un traité sur le Sacré-Cœur pour s’en rendre compte, il suffit d’examiner quelques-unes des pratiques en l’honneur du Sacré-Cœur.

Nul mieux que le P. de Galliffet n’a donné l’idée vraie et précise de la dévotion. Examinons ce qu’il dit sur l’excellence de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. « On en doit juger, dit-il, par son objet, par sa fin, par les actes et pratiques de vertu qu’elle renferme et par le fruit qu’elle produit. » Et il développe ces quatre points. Que dit-il de l’objet ? « C’est principalement de l’objet qu’une dévotion tire son excellence, comme elle en tire son vrai caractère. L’objet de celle-ci c’est le Cœur de Jésus. » Il considère donc ce cœur d’abord en lui-même, 1. I, c. i, p. 66. Et il en « tire l’excellence » : 1) « des propriétés naturelles du cœur ; » 2) « de son union avec l’âme la plus parfaite et la plus excellente qui fut jamais ; » 3) « de son union avec le Verbe éternel ; » 4) « de la fonction divine pour laquelle il fut formé et qui n’est autre que de brûler sans cesse des flammes les plus pures et les plus ardentes de l’amour divin ; » 5) « de la sainteté qui lui est propre ; » 6) « des vertus dont il est la source. » Que de choses, on le voit, qui sont sans doute en rapport avec le cœur (et l’on entrevoit que le P. de Galliffet fausse quelque peu ce rapport en présentant le cœur comme « la source » des vertus et des sentiments), mais qui ne sont pas en rapport direct avec l’amour ! L’auteur étudie ensuite le cœur de Jésus par rapport aux hommes. « Considérez, dit-il, qu’on vous présente ce cœur divin encore tout ardent de l’amour qu’il vous porte et tout plein de ces généreux sentiments de bonté et de miséricorde auxquels vous devez votre rédemption ; souvenez-vous que c’est ce même cœur qui a ressenti si vivement toutes vos misères, qui a été si cruellement affligé pour vos péchés, et dans lequel se sont formés tant de désirs ardents de votre bonheur. Mais considérez-le surtout souffrant pour l’amour de vous dans sa passion… » L. II, c. i, passim. Sans doute ici l’amour est bien en première ligne — l’auteur d’ailleurs se trompe en voyant moins le symbole que le principe — mais il n’est pas seul en vue.

Il y a plus clair encore peut-être. Résumant à la fin du c. iv, l. I, sa doctrine sur l’objet de la dévotion au Sacré-Cœur pour en donner une idée « nette et parfaite » : « Plusieurs s’y trompent, dit il : en entendant prononcer ce nom sacré, le Cœur de Jésus, ils bornent toutes leurs pensées au Cœur matériel de Jésus-Christ ; ils n’envisagent ce Cœur divin que comme une pièce de chair sans vie et sans sentiment, à peu près comme ils feraient d’une relique sainte toute matérielle. Ah ! que l’idée qu’on doit avoir de ce sacré Cœur est bien di Ilerente et bien autrement magnifique ! » Il veut donc qu’on le considère d’abord « comme uni intimement et indissolublement à l’âme et à la personne adorable de Jésus-Christ, plein de vie, de sentiment et d’intelligence » ; en second lieu, « comme le plus noble et le principal organe des affections sensibles de Jésus-Christ, de Bon amour, de son zèle, de son obéissance, de ses désirs, de ses douleurs, de ses joies, de ses tristesses ; comme le principe et le siège de ces mêmes affections et de toutes les vertus de l’Homme-Dieu ; » en troisième lieu, « comme le centre de toutes les souffrances intérieures que notre salut lui a coûtées ; et de plus comme blessé- cruellement par le coup de lance qu’il recul sur la croix ; s enfin « comme sanctifié par les dons les

plus précieux du Saint-Esprit et par l’infusion de tous les trésors de grâce dont il est capable » . — « Tout cela, continue l’auteur, appartient réellement à ce Cœur divin, tout cela entre dans l’objet de la dévotion au Cœur de Jésus. » Et comme si ce n’était pas assez clair, il conclut : « Qu’on envisage donc ce composé admirable qui résulte du Cœur de Jésus ; de l’âme et de la divinité qui lui sont unies ; des dons et des grâces qu’il renferme ; des vertus et des affections dont il est le principe et le siège ; des douleurs intérieures dont il est le centre ; de la plaie qu’il reçut sur la croix : voilà l’objet complet, pour m’exprimer ainsi, qu’on propose à l’adoration et à l’amour des fidèles. » Loc. cit., p. 59-61.

Qu’on fasse si grande qu’on veut la part d’une physiologie inexacte, qui, nous le verrons, ne fait rien à la dévotion, n’est-il pas vrai que cet objet si ample et si étendu déborde la définition reçue, le « culte du cœur de chair comme emblème de l’amour de Jésus pour nous » ? Et ce que dit le P. de Galliffet est répété presque mot pour mot par les postulateurs de 1765, dans un passage dont nous avons déjà cité un extrait ; répété par beaucoup d’autres en des termes équivalents. Les auteurs modernes sont plus circonspects dans le choix de leurs expressions quand ils définissent l’objet propre de la dévotion. Mais dans leurs développements, quand ils se surveillent moins, ils arrivent à en dire autant. Et il faut reconnaître que l’idée vivante de la dévotion déborde de toute part cette idée du cœur comme emblème d’amour, pour aller chercher dans le Cœur de Jésus toute la vie intime du Dieu fait homme, toutes les richesses cachées dans son humanité, et pour parler comme les sulpiciens, tout « l’intérieur de Jésus » . Qu’on lise seulement les litanies du Sacré-Cœur : on verra qu’il en est ainsi. Et il en a été ainsi dès les commencements.

Voici comment s’exprime le P. de la Colombière, en expliquant le sens de « l’offrande au Cœur sacré de Jésus-Christ » : « Celte offrande, dit-il, se fait pour honorer ce divin Cœur, le siège de toutes les vertus, la source de toutes les bénédictions, et la retraite de toutes les âmes saintes. Les principales vertus qu’on prétend honorer en lui sont : premièrement, un amour très ardent de Dieu son Père joint à un respect très profond et à la plus grande humilité qui fut jamais ; secondement, une patience infinie, etc. ; troisièmement, une compassion très sensible pour nos misères, etc. Ce Cœur est encore, autant qu’il le peut être, dans les mêmes sentiments, et surtout toujours brûlant d’amour pour les hommes. » A la fin des Retraites spirituelles, Œuvres complètes, t. vi, p. 124. On pourrait trouver mainte page du même genre dans la B. Marguerite-Marie.

Comment expliquer cette anomalie, cette sorte de disproportion entre la définition et l’usage, entre la théorie et la réalité ? Sans se poser explicitement la question, les auteurs la résolvent pratiquement en deux sens. En essayant de ramener à l’amour tout l’intime de Jésus. Sa vie affective n’est-ellv pas tout amour ; et les variétés de cette vie affective que sont-elles sinon un mèm& amour diversifié suivant la condition de l’objet ? C’est ce (me saint Augustin avait dit ; ce qu’ont répété saint Thomas, Bossuet, tous les disciples des maîtres. Ce qui n’est pas amour, en Jésus, est sous l’inlluence de l’amour. Pourquoi ses douleurs ? Il a aimé. Que sont ses miracles ? Des effets d’amour et de bonté. Si saint Thomas conçoit tous les actes bons de l’homme de bien comme produits sous l’empire de l’amour — il entend, il est vrai, l’amour de Dieu — ne pourra-t-on pas dire que toute la vie de Jésus se ramène à l’amour de Dieu el du prochain ? Toute sa vie n’est-elle pas pour le prochain, comme elle est pour Dieu ? Et certes, c’est là une bflle idée de la dévotion au Sacré-Cœur.

Il faut le reconnaître pourtant, elle n’épuise pas toule la richesse de la dévotion, telle que nous la trouvons