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CROYANCE

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provienne seulement de la façon imparfaite dont il est présenté à l’esprit. Ivn présence de cette lumière par trop incomplète, nous avons distingué trois sortes d’affirmations : l’opinion, qui sur cette lueur se hasarde à affirmer, mais, perçant à jour la médiocrité du motif, tempère son affirmation par un certain doute, qui est prudent ; la croyance illégitime, où la volonté, malgré la conscience de l’insuffisance du motif, tend, p : ir un coup de force, à supprimer le doute prudent contre les lois de l’intelligence, et arrive à obtenir une certitude d’entêtement ; enfin la croyance légitime, où la certitude d’adhésion est obtenue sans imprudence, parce qu’on n’est pas assez éclairé pour découvrir la médiocrité du motif, qui se trouve ainsi pourvu d’une suffisance relative, au moins avec le concours de certaines suppléances d’ordre affectif.

Passons au cas d’un motif tel que les meilleurs juges l’estiment vraiment digne, par sa valeur intrinsèque et sa manifestation, d’obtenir la certitude proprement dite. Kn face d’un tel motif, est-il possible que certains esprits conservent parfois un cloute qu’à bon droit nous qualifierons d’imprudent ?

1. Existence de doutes imprudents et déraisonnables. — L’expérience la prouve. Voyez le sceptique, rejetant les vérités que la nature humaine, que l’ensemble de l’humanité reconnaît comme les plus palpables et les plus assurées, par exemple l’existence d’un monde extérieur distinct de nous-mêmes. Quand il nous affirme qu’il en doute réellement, ne disons pas avec certains dogmatistes que c’est mauvaise foi ou folie ; le sceptique leur retourne ces gros mois : « il en résulte qu’il n’y a plus en présence que des gens qui s’injurient, ou qui se renvoient mutuellement au médecin. » P. Laberthonnière, Dogmatisme moral. Dire que c’est folie, ce n’est point d’ailleurs parquer les sceptiques en dehors du genre humain, comme des êtres à part dont l’étude ne nous regarde pas. D’après les meilleures aliénistes, le monde est peuplé de « demifous » ; et c’est une étrange illusion des rationalistes, des libéraux, des réformateurs de la société par la science, que de supposer dans chaque individu une raison parfaitement saine, qui manque en un grand nombre, bien plus, une raison idéalement parfaite, qui n’existe nulle part ici-bas. Le scepticisme, à des degrés divers, s’étend donc fort loin. « Les pensées de doute, même de scepticisme universel, se présentent à l’intelligence et la sollicitent ; parfois elles sont si importunes, si pressantes, si absorbantes, qu’elles peuvent troubler gravement le fonctionnement du système sensilif, dont l’exercice normal est cependant nécessaire pour le bon fonctionnement de la raison et de la libre volonté. Ces épreuves, ces tentations de la foi ne changent assurément rien aux rapports objectifs de l’intelligence et de la vérité. » Didiot, Logique surnaturelle objective, p. 611.

Voyez encore le scrupuleux. Le bon sens, les directeurs qu’il consulte, les principes de morale qu’il connaît, lui disent assez haut qu’il peut agir en.sûreté de conscience, qu’il n’a point failli dans telle action. Malgré tout, il craint où il ne faudrait pas craindre, il doute où il ne faudrait pas douter. Maladie tant que vous voudrez, mais maladie atteignant plus ou moins beaucoup d’âmes, très dignes d’intérêt et de pitié.

Il faudrait décrire ici bien d’autres classes d’esprits : ces timides par tempérament ou par habitude, qu’épouvante trop facilement toute objection, qu’elle soit sérieuse ou purement sophistique ; ces soupçonneux qui flairent partout des pièges, et reculent devant toute affirmation catégorique ; ces originaux pour qui l’essentiel est de penser autrement que les autres ; ces esprits légers, vite fatigués de la vérité, devenue banale pour eux, et commençant à en douter, et lui préférant une sottise pourvu qu’elle soit nouvelle ; ces

entêtés de leur propre jugement, s’armanl de tous le* sophismes pour défendre l’erreur où ils se sont engagés ; ces esprits trop modestes au contraire, trop déliants d’eux-mêmes, trop préoccupés de ce qu’on dit autour d’eux, et dans l’évidence même n’osant se prononcer parce qu’un prétendu penseur aura dit le contraire ; ces hommesd’une seule méthode, qui voudraient par exemple des démonstrations mathématiques dans les choses morales, et doutent quand ils n’en ont pas ; ces dialecticiens aussi subtils que les sophistes ^recs, et chez qui le raisonnement, comme dit Molière, a banni la raison, ail y a donc une préparation du doute obstiné et systématique, comme il y a une préparation de la certitude. Un esprit soupçonneux, jaloux, qui se tient à distance, qui s’exagère ses droits, qui prévoit sans cesse des offenses, un esprit froid, capricieux, incertain, y sera naturellement enclin : ce sera merveille s’il y échappe. » Bazaillas, La crise de la croyance, p. 1 18.

Il existe donc le doute imprudent et déraisonnable, qui n’a aucun droit de rester dans l’esprit, et qui pourtant y séjourne par suite d’un état morbide, en sorte que l’intelligence en soit réduite à appeler la volonté à son secours, pour être par elle [Cq dans la certitude. Yoluntas déterminât intellectum… propter imbecillitatem intellectus, dit saint Thomas, In 1 1° Sent., 1. III, dist. XXIII, q. ii, a. 2, sol. 1.

Tandis que notre corps est la proie de tant de maladies et nos nerfs de tant de faiblesses, de neurasthénies et de névroses, il serait étrange que nos (Mats d’esprit, comme la conviction et le doute, n’aient jamais rien de déséquilibré, liés comme ils sont à ce corps et à ces nerfs. L’expérience, si on veut bien la consulter, démolit ces naïves illusions d’un optimisme a priori, qui ferme les yeux sur les infirmités de la raison, tant qu’elles ne vont pas jusqu’à exiger une maison de santé. A part ce cas extrême, qui tombe du ciel sans préparation et sans prodromes, toute raison humaine est pour l’optimisme rationaliste un instrument de précision dont l’aiguille ne se trompe jamais : quand, en face des motifs présentés, elle subit la moindre oscillation du doute, il est de toute nécessité que les preuves soient défectueuses ; quand elle prend la position fixe de la certitude, il faut que les preuves soient parfaites et que la vérité objective soit. Qu’on ne vienne donc pas leur parler de précautions à prendre contre les moments de crise et de défaillance, d’industries de la volonté pour fortifier une croyance fondamentale, pour se mettre dans un milieu favorable à sa conservation. L’instrument de précision doit pouvoir se conserver tout seul ; et la liberté avec laquelle on l’exposera à tous les risques, guérira les cassures qu’elle lui fera. Avez-vous donc, peur du libre exercice de la raison ? C’est avoir peur de la vérité ; c’est n’en avoir pas l’amour sincère ; c’est fausser l’intelligence pour lui faire dire ce qu’on veut, etc. Voilà la thèse rationaliste et libérale. Mais nous, qui avons de la raison humaine une idée plus humble, l’ayant observée en nous-mêmes et dans les autres, nous trouvons tout naturel qu’elle ait besoin d’hygiène comme le corps, et que l’homme, même instruit, travaille par sa libre aclion à fortifier une croyance, non que les preuves en soient faibles, mais parce qu’elle est de sa nature exposée aux sophismes des passions, parce que l’homme est faible surtout à certains moments, et parce qu’il est sage de tout prévoir et de se prémunir contre sa propre faiblesse.

2. Rôle de la volonté dans l’élimination du doute imprudent. — Si le doute est suspect de déraison, dira l’optimiste dont nous parlions, l’intervention de la volonté est inutile. L’intelligence, en reconnaissant cette déraison, est fixée par elle-même dans la certitude contraire. Ou du moins qu’elle se remette à l’étude, qu’elle lasse de nouvelles recherches, le doute devra finir par se dissiper tout seul.