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CROIX (ADORATION DE LA


réveillant au dedans, me sera-t-il défendu de les produire au dehors dans toute l’étendue que je les ressens,

et par tons les signes dont on se sert pour les exprimer’.’En vérité, mon cher frère, c’est être bien aveugle que de chicaner sur lout cela ; il ne faut qu’une seule chose pour confondre ces esprits contentieux ; c’est que le culte extérieur n’est qu’un langage pour signifier ce quon ressent au dedans. Si donc, à la vue de la croix, lout ce que je sens pour Jésus-Christ se réveille, pourquoi, à la vue de la croix, ne donnerois-je pas toutes les marques extérieures de mes sentiments ? Et cela, qu’est-ce autre chose que d’honorer la croix comme elle peut être honorée, c’est-à-dire par rapport et en mémoire de Jésus-Christ crucifié ? » Œuvres complètes, édit. Lâchât, Paris, 1875, t. xvii, p. 279.

Le grand évêque insiste sur les souvenirs incrustés, pour ainsi parler, dans la croix. Il observe qu’on se prosternait devant l’arche, Jos., vii, 6, comme devant le mémorial de Dieu, et que Daniel, pour faire à Dieu sa prière, se tournait vers le lieu où avait été le temple. Dan., vi, 10. Or, poursuit-il, « la croix de Jésus-Christ est bien un autre mémorial, puisqu’elle est le glorieux trophée de la plus insigne victoire qui fût jamais. Quand Jésus-Christ a parlé de la croix, en disant qu’il la faut porter, Matth., xvi, 24, il renferme sous ce nom toutes les pratiques de la pénitence chrétienne, c’est-à-dire de toute la vie du chrétien, puisque la vie chrétienne n’est qu’une continuelle pénitence. Quand saint Paul dit qu’il ne veut se glorifier que dans la croix de Jésus-Christ, Gal., VI, 14, il a aussi compris sous ce nom toutes les merveilles du Sauveur, dont la croix est l’abrégé mystérieux. A la vue de tant de merveilles ramassées dans le sacré symbole de la croix, tous les sentiments de piété et de foi se réveillent : on est attendri, on est humilié, et ces sentiments de tendresse et de soumission portent naturellement à en donner toutes les marques à la vue de ce sacré mémorial : on le baise par amour et par tendresse ; on se prosterne devant par une humble reconnaissance de la majesté du Sauveur, dont la gloire étoit attachée à sa croix. » lbid., p. 277-278.

A ces motifs qui sont de raison naturelle et théologique, peuvent s’ajouter des analogies diverses empruntées à la sainte Écriture. Nous ne nous y arrêterons pas. On peut même trouver dans les Écritures un fondement réel au culte de la croix. Car suivant saint Paul, Phil., il, 8, parce que Jésus-Christ s’est rendu obéissant jusqu’à la mort sur une croix, Dieu veut que tout genou lléchisse au nom de Jésus-Christ. Or quelle différence y a-t-il entre fléchir le genou à ce nom sacré, ou le iléchir à la vue du signe de la mort du Sauveur ? Si le premier est un acte de religion, parce qu’il se rapporte à Jésus-Christ, l’autre ne saurait être un acte de superstition, puisqu’il se rapporte au Sauveur tout aussi bien.

3° Pour toutes ces raisons, le culte de la croix est aussi ancien que la religion même du divin crucifié. S’il n’a pu se produire en public avant la pacification de l’Église par Constantin, il est faux de prétendre avec les protestants, qu’il n’y a aucun vestige de ce culte dans les trois premiers siècles.

1. Nous avons d’abord, contre une telle assertion, le témoignage indirect et involontaire des ennemis du christianisme. A la fin du IIe siècle ou au commencement du IIIe, nous entendons les païens reprocher aux chrétiens le culte qu’ils rendaient à la croix. Ils constataient par là un fait très réel, mais ils le dénaturaient pour perdre les chrétiens. Aussi les dénégations que leur opposent les apologistes, et notamment Tertullien, Apologet., XVI, P. L., t. i, col. 365 sq., et Minutius Félix, Octavius, ix-xii, P. L., t. iii, col. 260 sq., portent-elles sur les interprétations calomnieuses et idolâtriques données à leur culte, mais non sur ce culte lui même que la prudence leur commandait de ne pas

trop découvrira cette heure. Plus tard, Julien l’Apostat

il li a pour son compte ces calomnies, et saint Cyrille

d’Alexandrie lui fera la même réponse que Tertullien.

2. Les témoignages directs ne manquent pas, mi pour cette période primitive. Il faut retenir : a) le mot de Tertullien qui, dès le commencement du iiie siècle, appelle les chrétiens les dévots de la croix, crucis religiosi, Apologet., XVI, P. L., 1. 1, col. 365-366 ; — b) l’affirmation des faits contenue dans les exemples de vénération de la croix. On les recueille, pour les temps de persécution, dans les actes des martyrs. Sur le théàti leur supplice, une croix encadrée de rayons lumineux se montra de l’Orient à saint Théodote et aux sept vierges. A cette apparition, la joie vint se mêler à leur crainte, et, fléchissant les genoux, ils adorèrent dans la direction où la croix se faisait voir : Genibus jh adoraverunt versus locian unde crus apparebat. Martigny, loc. cit., p. 218. Cf. Huinart, édit. Veron, p. 302. Cette affirmation du fait se retrouve dans l’usage si antique du signe de la croix, lequel est encore une manière de vénérer l’instrument de notre salut. Or les anciens Pères attestent que ce signe, dont les premiers chrétiens éprouvèrent plus d’une fois la merveilleuse puissance, est d’origine apostolique. « A toutes nos actions, dit Tertullien, lorsque nous entrons ou sortons, lorsque nous prenons nos habits, que nous allons au bain, à table, au lit, que nous prenons une chaise ou une lumière, nous formons la croix sur notre front. Ces sortes de pratiques ne sont point commandées par une loi formelle de l’Écriture ; mais la tradition les enseigne, la coutume les confirme, et la foi les observe. » De corona militis, c. iii, iv, P. L., t. ii, col. 80. Les plus anciens actes des martyrs témoignent que, devant les tribunaux, l’on accusait et l’on condamnait les chrétiens à cause de l’usage qu’ils avaient fait du de la croix. Au moment de mourir, saint Théodote et les sept vierges, saisis de frayeur, se munirent du signe de la croix pour fortifier leur âme : perterriti, crucis signum suæ quisque fronti impressit ; — c le témoignage des représentations matérielles de la croix par la peinture, la sculpture ou la gravure d’objets portatifs. De bonne heure les chrétiens aimèrent, pour exciter leur piété, à se faire des représentations de la croix. Ils les firent d’abord sur des objets peu volumineux de leur nature, tels que reliquaires, bijoux, lampes, etc., parce qu’ils étaient plus faciles à cacher, à soustraire aux recherches et aux profanations des païens. Pour cette raison de prudence, ces im furent primitivement dissimulées sous diverses formes de monogrammes. Voir Martiguy, op. cit., v° Monogramme du Christ, p. 476 sq. Mamachi, m. 47, rapporte, sans toutefois produire ses preuves, que, sous Seplime Sévère déjà, de riches chrétiens portaient des anneaux ornés du monogramme du Christ et de la croix. Il y a d’antiques pierres annulaires où la croix se trouve gravée, et le style de plusieurs porte à les faire remonter au delà de Constantin. On lit même des monogrammes isolés et portatifs, comme nos croix et médailles. D’un autre coté, les actes du II « concile de Nicée, Act. IV, Mansi, Concil., t. un, col. 89, et l’historien Nicéphore nous apprennent que le martyr Procope, massacré sous Dioctétien, s’était fait exécuter par un orfèvre de Scylhopolis une croix moitié or et moitié argent, qu’il portait suspendue au cou. On cite un fait analogue du soldat chrétien Oreste, qui vécut sous le même empereur. Acla, dans Surins, 13 décembre. Cf. Martigny, op. cit., p. 213-214. M. 11. Marucchi écrit de son côté : h Il est à croire cependant que, pour leur dévotion privée, les chrétiens se servaient de croix et même de crucifix, comme semble l’indiquer le crucifix blasméphatoire trouvé au Palatin, » dans la partie du palais contemporaine de Septime Sévère. Eléments d’or-