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CRÉDIBILITÉ


llucnce solitaire des motifs de crédibilité qu’est émis le jugement de crédentité.

Les prédicateurs et les apologistes de circonstance ont davantage évité cet inconvénient. Se trouvant en face des âmes elles-mêmes, et constatant, comme un élément sur lequel ils pouvaient tabler, les dispositions de leurs auditeurs, d’ailleurs rectifiés par l’expérience de l’insuccès pratique des démonstrations intellectualistes, ils ont mieux équilibré leur apologétique. Ile là vient que c’est plutôt chez les grands apologistes chrétiens qu’il faut chercher au XIXe siècle une notion intégrale de la crédibilité que dans les manuels théologiques. Un modèle du genre est sans doute l’Introduction au dogme catholique, du P. Monsabré, Paris, 1865 sq. Nous devons ajouter, pour être complet, qu’une réaction est commencée dans le sens de l’admission même dans les manuels d’une propédeutique subjective préparant la démonstration objective, et que la théologie scolastique ne tardera pas à être munie d’apologétiques plus compréhensives, grâce à la fusion, en regard des exigences manifestées au cours de controverses récentes, des éléments du traité De fide, concernant la crédibilité, avec ceux qui constituent actuellement l’apologétique. Dans une suite d’articles sur la crédibilité, Revue thomiste, 1905-1906, réunis en volume sous ce titre : La crédibilité et l’apologétique, Paris, 1907, nous avons tenté, dans cet esprit, de rédiger quelques prolégomènes théologiques à une apologétique se présentant comme intégrale.

XIII. État moderne de la question. — Avec la Réforme a commencé une nouvelle phase de l’histoire de la notion de crédibilité. Dans un esprit de violente réaction contre l’intellectualisme de la scolastique, le protestantisme supprime la région mitoyenne de la préparation rationnelle à la foi. L’ordre naturel et l’ordre surnaturel, au lieu d’être superposés, sont désormais juxtaposés, « sans communication possible, ni lien intelligible, unis seulement, prétendait-on, dans la mystérieuse intimité de la foi individuelle. » M. Blondel, Des méthodes de l’apologétique, dans les Annales de philosophie chrétienne, 1896, p. 480. L’homme spirituel, comme l’appel Luther, devient le juge en dernier ressort de ce qu’il faut croire. Bellarmin, De verbo Dei, 1. III, c. iii, col. 126 ; Suarei, De fuie, disp. IV, sect. i, n. 1. Aussi dans le schéma primitif de la constitution Dei Filius, le c. vii, De necessitale molivorum credibilitalis, fut déclaré viser les protestants, qui unice provocant ad intemam eoeperientiam, ad sensum religiosum, ad testimonium Spiritus, ad immedialam certitudinem fldei. Cette déclaration est accompagnée d’un texte des Institutions de Calvin, 1. I, c. vi, n. 1, 5, Collectio Lacensis, t. vii, col. 528, note. Cf. Denzinger, Vier Bûcher der relig. Erkenniniss, t. ii, p. 304 sq. ; Kleutgen, Théologie der Vorzeit, t. m.

Le point de départ ainsi posé, évolua dillëremment dans les divers pays de culture moderne où il convient d’en suivre le développement.

En Allemagne.

Kant fut, en un certain sens,

le théoricien de la nouvelle conception de la foi. A la notion scolastique de la foi d’autorité qui consiste à « se fier sans vue directe à celui qui sait et se fier à lui par des raisons extrinsèques à ce qui est affirmé » , M. Blondel, Vocabulaire philosophique, dans le Bulletin de la société française de philosophie, Paris, mai 1903, p. 203, il substitue la notion suivante : quand le jugement n’est suffisant que subjectivement et qu’en même temps il est tenu pour objectivement insuffisant, cela s’appelle la foi. Critique de la raison pure. Méthodol. transe, c. ii, sect. iii, trad. Barni, t. ii, p. 381. Cf. Mazzella, De virtutibus infusis, disp. III, a. 6, Rome, 1879, p. 397.

La suffisance subjective est produite, soit par des motifs individuels, d’intérêt, Méthodologie, ibid., p. 382 sq.,

ntiment moral, p. 387, soit par des principes auxquels on reconnaît une valeur universelle, comme la moralité ou l’unité de la connaissance théoré tique du

monde. Transportée sur le terrain de la foi relig icette foi sans témoignage qui l’autorise objectivent ni devient, lorsqu’elle est autorisée par des principes, une croyance rationnelle pure, libre, fides elicita, dont l’objet se trouve en particulier dans l’enseigneiu> n ! chrétien du Nouveau Testament. Cf. La religion selm, les limites de la raison, part. IV, c. il, Le christianisme comme religion naturelle. « C’est donc une religion complète : tout homme peut la comprendre et s’i n convaincre par sa propre raison ; elle propose un idéal… sans que, ni la vérité de la doctrine, ni l’autorité, ni la dignité de celui qui l’a enseignée, aient besoin d’aucun autre titre à la foi que l’adhésion de la raison : autrement la science ou les miracles, ce qui n’est point du ressort de tous, seraient nécessaires. lbvl., trad. Trullard, Paris, 1841, p. 289.

Cependant, la croyance chrétienne, considérée, non plus comme religion naturelle, mais comme enseignée

— ce qui est nécessaire selon Kant pour que ses dogmes soient transmis sans falsification essentieUe — s’appuie sur l’histoire et la science critique. Ibid. Cet enseï ment ne peut « commencer par une foi absolue à des propositions révélées, essentiellement inconnues à la raison, et continuer par les leçons et par l’étude, car alors la croyance chrétienne serait une croyance non seulement imperata mais servilis. Elle doit donc toujours au moins être enseignée comme files historiée elicita, c’est-à-dire que la science doit non point suivre mais précéder la foi » . Ibid., p. 293, 294. De quelle manière cet enseignement historique rapportera-t-il les miracle et autres événements ? « On conçoit, dit M. Delbos, glosant ici la pensée de Kant, total., p. 291, 299, qu’une religion nouvelle invoque des miracles pour enlever à la religion ancienne son appui, et qu’elle se donne comme l’accomplissement de ce qu’avait préparé l’ancienne. Mais une fois la religion inorale établie, il est oiseux de discuter sur les miracles qui en ont signalé l’origine. On peut vénérer en eux l’enveloppe symbolique grâce à laquelle la religion nouvelle a pu se répandre ; ce qu’il ne faut point, c’est faire de la connaisance et de l’aveu de ces miracles une partie intégrante de la religion. » V. Delbos. La philosophie pratique de Kant, part. II, c. vu. Paris, 1905. p. 638.

Kant a gardé, on le voit, la notion protestante d’une foi sans motif extrinsèque d’adhésion ; il a seulement substitué au témoignage intérieur de l’Esprit le témoignage intrinsèque de la raison, sous l’empire de nécessités ou de besoins moraux. Cette conception de la religion morale exerce son inlluence non seulement sur les théologiens protestants, mais aussi sur certains catholiques parmi lesquels, avec M. Delbos, ibid., p. 665, on peut citer Hermès.

Jacobi († 1819). — En réaction contre Kant sur le reste, mais adhérant aux conclusions négatives de la Critique de la raison pure, Jacobi refuse à la foi toute justification scientifique. Il érige en théorie l’efficacité du sentiment humain pour la conviction légitime. Le sentiment rationnel est le critère de la réalité objective. « La philosophie de la foi de Ilamann a la Bible pour base ; le grand cœur de Jacobi lui lient lieu de Bible. Haffner, dans Kirchenlexiko » , v° Jacobi, 1889. col. 1185. De là, des conséquences religieuses que Perrone résume dans un paragraphe consacré aux systèmes qui s’opposent à la réception de la foi : la vraie religion n’a pas de forme extérieure ; l’aspect historique du christianisme n’a pas d’importance, son mysticisme est toute sa vérité ; peu importe que le Christ ait été quelque chose en dehors du concept que j’en ai. La crédibilité, comme l’Evangile, serait donc, pour Jacobi,