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CRÉDIBILITÉ


l’apparition d’une nouvelle position de la question. Saint Thomas se trouve là, juste à point nommé, pour tirer parti de ces ressources. La doctrine de la puissance obédientielle en sortit. Le surnaturel fut rendu à ses causes propres, divines, mais rattaché à la nature pure par la propriété radicale qu’a celle-ci, en tant qu’être dérivé, d’être soumise absolument au gouvernement de l’Être parfait pour tout ce qui n’implique pas contradiction. La nature put librement développer ses ressources naturelles, sous la condition qu’arrivée à la limite supérieure de ses forces, elle ne présentât plus en regard du surnaturel qu’une puissance passive obédientielle vis-à-vis du premier principe de cet ordre. Dans la question des rapports de la raison et de la foi, cette limite supérieure des forces rationnelles fut l’établissement de la crédibilité rationnelle du dogme révélé.

Nous partagerons en trois étapes la marche de la pensée de saint Thomas : 1° le commentaire sur les Sentences, 1253 sq. ; 2° les questions disputées De veritate, la Summa contra gentes, vers 1261 ; divers ; 3 » le Quodlibet, II, 1268 ; la Somme théologique, II a II æ, q. I-VIII, vers 1270 ; Ill a, vers 1272. Nous suivons l’édition de Parme et, pour la Somme, l’édition léonine. 1 » Le commentaire sur le l. IIIe des Sentences, édit. Parme, t. vu. — Dès le principe, saint Thomas est fixé sur la cause propre de l’assentiment de la foi : Credibile non habet quod sit aclu credibile nisi ex Veritate prima, sicut color est visibilis ex luce. Dist. XXIV, a. 1, q. I, sol., p. 260. L’autorité divine est son motif unique et formel : Sicut homo in his quse non videt crédit testimonio alicujus boni viri qui videt ea quse ipse non videt. Dist. XXIV, q. ii, a. 2, q. ii, sol ; cf. q. 1, a. 2, q. 11, ad 3um. Mais il y a cette différence entre la foi à l’autorité humaine et la foi à l’autorité divine que la première est accidentelle à la vie humaine, la seconde repose sur la nature de l’homme : cognilio unius hominis non est naturaliter ordinata ad cognitionem alterius hominis, ut per ipsam reguletur. Sed hoc modo ordinata est ad Vericatem primant. Dist. XXIV, q. 1, a. 3, q. ii, ad l um. Cette ordination naturelle de l’intelligence humaine à l’intelligence divine considérée, non comme un objet de connaissance, mais comme une cause régulatrice de ses conceptions et jugements, voilà la puissance obédientielle transposée et adaptée à la présente question. Il s’agit de la faire passer à l’acte. Or, forma illa intelligibilis qux principaliler est objectum (materiale) fidei, id est Deus, formalioneni intellectus nostri subterfugit, et non est ei pervius in statu vise. Dist. XXIV, q. I, a. 2, q. 1, sol., p. 262. Une condition objective doit donc être réalisée par Dieu, à savoir la révélation de la vérité à croire, qua supposita, in potestate liberi arbitra est ut in aclunt fidei exeat. Dist. XXV, q. 11, a. 1, q. 1, ad l um, p. 272. Qua supposita, dit saint Thomas, mais le témoignage divin ne nous parvient d’ordinaire que par un témoignage à forme humaine. Comment discerner s’il est de Dieu ? Cette question se résout par la recherche de la crédibilité rationnelle. Réponse : Fidelis crédit hontini non in quantum homo, sed in quantum Deus in ipso loquitur, quod ex certis experimentis colligere potest. Dist. XXIII, q. 11, a. 2, q. 11, ad 3um, p. 249. Que si l’on objecte avec saint Jean Damascène que la foi est faite pour consentir et non pour chercher, saint Thomas répond : Dicendum quod… excluditur mquisilio ralionis intellectum lerminanlis, non inquisitio voluntatent inclinons… Vndè fides consisl.it média inter duas cogitationes quarum una voluntatem inclinât ad credendum, et hœc prmcedit (idem ; illa vero tendit ad intellect uni eorum qux jam crédit. Dist. XXIII, a. 2, q. 1, ad 2’"", p. 218. La distinction de la raison formelle de la foi, l’autorité de la Vérité première révélante, et des raisons qui établissent la crédibilité divine du messager hu main, permet de donner toute latitude à la recherche de ces dernières, avant la foi. Quant an lies

de la raison théologique, elles sont tout antl elles supposent la foi et tendent à en donner l’intelligence qu’on en peut avoir. Ainsi l’inextricable emmêlement qu’on se léguait depuis Ahélard est débrouillé. .Mais saint Thomas, plus hardi qu’Alexandre de II qui intercalait le chaînon de la foi acquise, va établir entre l’assentiment de la foi divine et la crédibilité rationnelle un rapport direct : Fides… quamvis sit habitus infusas dicitur esse ex quatuor quse in nobis sunt quia quantum ad ipsum credendum dicitur esse ex auditu. quia determinalio credendorum fil in nobis per locutionem inleriorem qua Deus nobis loquitur vel per vocent exleriorem. Quantum vern ai 1 rationem quse inducit voluntatem ad credendum dicitur esse ex visione alicujus quod ostendit Deum esse qui loquitur in eo qui fidem annuntiat. Dist. XXIII, q. ni, a. 2, ad 2um, p. 256. A rapprocher ex visione alicujus, quod ostendit, et : fides habitus infusus dicitur esse ex quatuor qux in nobis sunl. Le mot ex, dans la langue de saint Thomas, désigne tout au moins la cause matérielle et dispositive à la forme. Notre vision, c’est-à-dire notre évidence naturelle des motifs de crédibilité, est ici conçue comme un élément intégrant de la genèse de la foi. Et c’est un élément nécessaire selon le cours ordinaire des choses : ncc oportet quod in tali homine recelationem Itabente aliquis suam fidem implicet quousque talis homo ad ejus notitiam deveniat, vel divinilus, vel per famam humanam. Dist. XXIV, a. 1, q. iv, ad 4um, p. 273. Par quels moyens de preuve reconnaître cet homme ? Saint Thomas dans le commentaire sur les Sentences ne nomme que les miracles : ad hoc datum est liominibus facere miracula ut ostendatur quod Deus per illos loquitur. Dist. XXV, q. 11, a. 1, q. IV, ad 4 1 "". p. 273. Les miracles ont, selon le saint docteur, une telle efficacité’pour cela que les démons ex miraculis qux rident supra naturam esse, niulto sublilius quant nos, coguntur ad credendum, dist. XXIII, q. 111. a. 3. q. 1, sol., et cela, ex naturali cognitione. Ibid., ad I p. 256. Mais cette efficacité ne porte pas directement sur l’objet de foi : quse cogunt ad fidem, sicut miracula, non probant per se fidem sed probant veritalem annuntiantis fidem, et ideo de his qux fidei sunt scientiam nonfaciunt. Dist. XXIV. q.i. a. 2, q. 11. ad i La vérité de foi se trouve donc au terme de cette recherche, connue et inconnue, connue dans son aptitude naturelle à être crue de foi divine, inconnue dans son contenu, lequel est l’objet de la connaissance de Dieu, règle de la nôtre comme il a été dit. Or l’acte de foi consiste précisément à donner son assentiment au contenu du mystère. Le croyant, parvenu à son faite rationnel, c’est-à-dire à l’évidence de la crédibilité, inclinera donc son intelligence sous sa règle naturelle et première par un acte de volonté et, dans cette attitude, se trouvera sous l’inlluence des deux règles de son activité intellectuelle agissant à leur maximum d’efficacité : Credens inclinatur ad credendum ex aliqua rationc qux sufficit ad dclernunandum assensunt in id quod creditur, quaimis ni’» sufficiai ad inducendum ad visionem ejus quod creditur. Ratio autem hœc inducens ad credendum potest sunti vel ex aliquo creato. sicut quando per aliquod si’/num inducimur ail aliquod credendum vel de Deo vel de aliis rébus ; vel sumitur ab ipsa veritate increata, sicut credimus aliqua qux nobis divinilus dicta sunt per ministros. El… secundo modo intellectus non cogitur sed ex voluntate inclinatur. Dist. XX. q. ni, a. 3, q. 1, sol. La réplique divine à cet acte de soumission volontaire, d’ailleurs inspiré de Dieu, est dans l’infusion de Vhabitus de la foi. Lumen infusum, quod est Itabitus fidei, manifestai articulas, sicut