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CRÉATION


Mm le relever que l’obliger à ce processus ? Xe se trompe-t-on pas, par ailleurs, sur ce qui fait la joie et la dignité des créations idéales de l’art : sentiment de la puissance personnelle, plaisir de l’activité exercée, satisfaction de connaître un beau type de plus’.' Tout cela se trouve, moins les imperfections, dans l’acte de l’intelligence infinie qui s’atteint comme la source nécessaire de toute possibilité d’être, qui connaît tous ces degrés de possibilité distinctement, et parce qu’elle est nécessairement toute perfection, nécessairement.

Au surplus, si l’on écarte avec soin de Dieu tout pi’ocessus discursif et toute succession de puissance et d’acte, si l’on veut simplement distinguer des instants de raison, ces opinions sont certainement conciliaires avec le dogme. Libre à chacun d’abonder dans son sens.

Autre est encore la question de savoir si les idées ou exemplaires relèvent de ce que nous nommons en nous connaissance directe, ou de ce que nous appelons connaissance réflexe. Ne peut-on dire que Dieu connaissant tous les possibles — connaissance directe — possède en lui de ce chef les exemplaires des choses ? Est-il nécessaire que Dieu revienne en quelque sorte sur sa connaissance et sache qu’il porte en lui ces idées ? Non, ce semble ; le type existe comme idée actuelle, s’il est actuellement pensé ; oui, s’il n’y a à proprement parler de cause exemplaire qu’au moment où l’idéal dirige l’artiste. L’ouvrier, quand il agit, contemple son idée pour se guider — connaissance réflexe.

En fait, toutes ces études n’ont d’autre but que de rechercher comment on peut parler de Dieu par analogie avec l’activité humaine. Pour éviter de tomber dans l’anthropomorphisme, il convient de se rappeler sans cesse les corrections que réclame la simplicité parfaite de l’Etre intini.

6. Les idées sont dans le Verbe et engendrées avec lui. — C’est par ces considérations surtout que la scolastique dépasse l’exemplarisme néoplatonicien, en substituant le Eils de Dieu à l’intelligence première de Plotin ou au monde intelligible de Platon. Avec cette notion d’une seconde personne en Dieu, distincte comme hypostase, identique comme nature, le mystère entre, il est vrai, dans l’exemplarisme : mais aussi disparaissent les contradictions d’un acte d’intellection inadéquat à son principe et d’une intelligence première à la fois linie et infinie pour répondre à sa mission.

Il faut dire, au jugement de l’École, non seulement que le monde intelligible est en Dieu, mais encore qu’il n’est pour tous les intelligibles, Infini ou finis, qu’un acte unique et simple, uno igitur codent Verbo dicit seipsum et qusecumque fecit. S. Anselme, Monolog., c. xxxiii sq., P. L., t. CLVIII, col. 187 sq. Le même Verbe, la parole unique qui exprime au Père son essence, lui exprime aussi toutes les idées. S. Thomas, De veritate, q. IV, a. 4. Le même acte éternel représente à Dieu tout ce qui existe de connaissable, l’essence divine comme premier intelligible, et tous les intelligibles qu’elle fonde, c’est-à-dire les idées des choses, hinc qui negal ideas esse, negat Filium Dei esse. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. I, dist. VI, q. ni. En conséquence, procédant du même acte d’intellection que le Verbe, les idées ne sont ni créées, ni faites, mais engendrées comme lui. S. Augustin, De tien, ail lilt., 1. ii, c. viii, n. 16, P. L., t. xxxiv, col. 269 ; S. Anselme et S. Thomas, loc. cit. De ce chef, le Verbe a donc un litre spécial à ce que la création lui soit attribuée : il est l’idée do toutes chi S. Thomas, ibid., q. iv, a. 5 ; Petau, De Deo, 1. IV, c. xi, S 8, t. i, p. 197 sq.

7. Les idées sont multiples.

Deux choses sont également certaines. L’Infini ne peut rien ignorer sans imperfection, ni rien connaître de précis que suivant ses notes individuelles ; il connaît donc tous les types

possibles d’êtres — multiplicité des idées ex parle connotalorum ; par contre, il ne peut pas sans déchoir de sa simplicité les connaître par des modifications proportionnées de son essence — unité de toutes les idées ex parle Dei. Le terme de l’acte est multiple, l’acte lui-même est simple, multiplex secundum ralioncm intelligendi. Par là encore les docteurs du moyen âge s’opposent à la théorie averroïste qui ne plaçait en Dieu qu’un concept unique. S. lionavenlure, In IV Sent., 1. I, dist. XXXV, Quaracchi, t. i, p. 599 sq. ; S. Thomas, De veritate, q. ni, a. 2, non sequitur quod idese suit ineequales sed insequalium. Ibid., ad 5°"’. Ils appuient cette conclusion sur un raisonnement obvie : si Dieu n’a qu’une seule idée tout le reste arrive sans sa connaissance, Iota distinctio creaturse casualiter accidet. S. Thomas, loc. cit. Ainsi se séparent-ils encore de la théorie bien indécise du platonisme, qui ne semblait admettre d’archétypes que pour certaines classes d’êtres. Jusqu’à la matière, même chez Albert le Grand, Summa, part. II, tr. I, q. iv, m. i, a. 1, partie. 4, in-fol., Lyon, 1651, p. 41, et saint Thomas, De veritate, q. iii, a. 5, ad l um ; Sam. theol., I a, q. xv, a. 3, ad 3um, tout a son paradigme en Dieu. Cf. De veritate, ibid., a. 5-7. Quelle que soit la difficulté de concilier ainsi deux affirmations qui s’excluent, quand il s’agit d’intelligence finie, on concevra cependant que ce n’est pas chose impossible, pour cette raison qu’il faut invoquer si souvent, quand il est question de la cause première : un acte infini, dans son unité, doit équivaloir à la multiplicité de tous les actes finis. Reste, il est vrai, la difficulté de concevoir comment une seule image r l’essence divine, où ne se trouvent ni limitations, ni déterminations actuelles, mais une note unique, peut donner occasion de connaître en soi une infinité d’images ou représentations déterminées. On s’essaie à l’imaginer par des comparaisons. « La lumière, dit le pseudo-Denys, pour connaître les ténèbres ou les degrés inférieurs de clarté, n’a pas besoin de sortir d’elle-même. Il lui suffit de concevoir ce que serait un être plus ou moins privé de son propre éclat :

ojy. £XXo6sv ï’.Sc’o ; t’o t/.oto : r, irro ?oO ftoTÔ ;. Ainsi la

divine Sagesse, en se connaissant, connaît tout, l’être matériel sans la matière, les êtres distincts sans division, le multiple dans l’unité, <o ; il iavitâ ovta xa iv êautâ Ttpvj-zn-r^.’j-.x. d De div. nom., c. vii, n. 2, P. G., t. iii, ’col. 869 ; cf. c. v, n. 6, ibid., col. 820 ; Albert le Grand, Sum., part. I, tr. XIII, m. H, a. 1, p. 317. Dieu n’étant pas limité à représenter une seule chose, comme la copie qu’on tire d’un original, mai* étant le premier archétype de l’être, domine et contient tous les types d’êtres, similitudo exprimens, non impressa nec expressa, S. Bonaventure, In IV Sent., 1. I, dist. XXXV, a. 1, q. n ; quia infinitum et immensum ideo extra omne genus. Et hinc est quod existais unum potest esse similitudo expressiva multorum. Breviloquium, i, 8. Ou encore, explique saint Thomas en s’appuyant sur Aristote, il en va des essences comme des nombres. On connaît les nombres inférieurs dans les supérieurs par soustraction ; ainsi des essences : nain una differentia addita vel substracla variât speciem.en niant de l’homme la vie raisonnable, je connais la vie animale. Ainsi l’Être infini peut-il connaître en soi tous les êtres possibles selon qu’ils approchent de sa perfection ou s’en éloignent, (’.ont. gent., 1. I, c. i.iv.

8. La limite, l’imperfection, te ma ! et leur cause exemplaire. — De toutes les objections philosophiquequ’on peut faire à l’exemplarisme et même au dogme entier de la création, celle-ci est assurément la plus profonde : comment peuvent provenir de l’Infini le lini, le multiple, l’imparfait et le mal ? Lt si Dieu ne produit rien qui n’ait en lui son idée propre, quelles peuvent être les idées de ces réalités, et quel leur fondement dans la perfection divine ?

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