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CREATION

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Kst-il besoin de dire que dans un problème de cette nature on ne songe à Revendiquer autre chose, pour cette dernière opinion, qu’une probabilité un peu plus grande’I ii fait, pour trancher la question, ne conviendrait-il pas d’établir d’abord la thèse d’Aristote ? L’action est dans le patient ; c’est toute la réalité de l’effet en tant qu’elle connote par son devenir l’influx du sujet agissant. La passion ou l’effet est cette même réalité en tant que reçue dans l’objet. lie Régnon, Métaphysique des causes, in-8°, Paris, 1886, 1. III, a. 3, p. 191 sq. Ce théorème bien démontré ferait éviter les confusions si fréquentes entre l’action formelle et le principe de l’action. Il resterait à déterminer le nom qui convient à l’action créatrice ainsi comprise, et peut-être qu’on ahandonnerait ce concept singulier d’une action formellement immanente et virtuellement transitive. Immanente, n’a-t-elle pas pourtant un but propre et un effet extérieur, c’est-à-dire ce qui partout ailleurs spécifie l’action transitive ; et comment deviendrait-elle transitive du fait seul de sa perfection entitative et de son efficacité considérées indépendamment de son but ?

II est manifeste que les partisans de cette opinion l’adoptent pour sauvegarder l’immutabilité divine ; or on constaterait vite que la solution opposée la défend encore mieux. Elle s’appuie en effet sur ce théorème général : la cause en tant que cause ne change pas ; partant la cause première est nécessairement immuable. De Régnon, loc. cit., a. 2, p. 177 sq. Mais, objecterat-on, si la perfection de l’agent est ainsi dans le patient, celle de Dieu sera dans la créature. Sans doute, mais il n’y a là nul inconvénient, si l’on s’entend bien. Ne voit-on pas que si la cause en tant que cause est immuable, elle ne peut acquérir autre chose du fait de son action, qu’une pure relation non pas d’elle-même à la créature, mais de la créature à elle’.' Cette relation n’est autre chose que la dépendance physique de l’effet in fieri à l’égard de la cause ; est-elle précisément un mode, ou une relation accidentelle, ou une relation transcendentale c’est-à-dire essentielle à tel effet précisément parce qu’il est tel individu, c’est une difficulté à débattre, et l’on préférera peut-être, avec Scot, la dernière solution comme plus logique. Ce qui est certain, c’est que cette relation de dépendance proclame à la fois et l’indigence de l’effet et la puissance de la cause ; c’est la gloire de cette dernière, et c’est la seule perfection, dont puisse s’accroître un être immuable. Dieu, étant acte pur, possède ab selerno toute la perfection d’une cause en acte et rien ne le perfectionne, ni ne l’accroît intrinsèquement ; créant dans le temps, il n’acquiert que dans le temps cette gloire extérieure d’agent ad extra de voir des êtres proclamer sa puissance par ce fait qu’ils viennent à l’existence par sa seule influence : c’est sa gloire extérieure, et de ce chef il demeure immuable en soi.

Au surplus, l’accord entre les théologiens est manifeste sur les principes, et c’est l’essentiel ; il n’existe de divergence que sur la manière de les défendre mieux. Ce sont là questions d’école dont on chercherait en vain la solution dans l’Écriture ou chez les Pères. A dessein nous avons omis de faire appel à leur témoignage.

IV. IMMUTABILITÉ DIVINS DANS t’ACTB CRÉATSUR. — L’acte créateur que nous avons décrit, par analogie avec notre manière d’agir, comme un acte de volonté éclairé par l’intelligence, n’est pas un acte accidentel et temporel comme les nôtres, mais immuable, éternel, pleinement identifié, quant à sa réalité physique, avec l’essence divine. L’infinité de l’être divin équivaut en effet, dans sa simplicité, à tout ce qu’il y a d’énergie ou de perfection dans la multiplicité de nos actes successifs. Formellement un, parce qu’il est infiniment simple.

il est, dit l’École, virtuellement multiple, parce qu’il est infiniment puissant.

Nous n’avons pas à prouver l’immutabilité en général, cf. Petau, De Deo, 1. III, c. i, in-fol., Venise, 171.".. t. i, p. 123 sq., mais à expliquer seulement que la création temporelle du monde ne saurait lui porter préjudice en rien. Ibid., c. ii, p. 129 sq. L’objection est née dans l’antiquité avec la philosophie plus profonde des Éléates et de Platon, dès que l’on commença à chercher la raison du mouvement, non dans le mouvement lui-même, mais dans l’immobile et le parfait. L’Etre premier, qui seul est vraiment, est immuable, dit Platon. Timée, 38 a, édit. Didot, t. il, p. 209. C’est la pensée qu’Aristote développera dans la théorie de l’acte pur. Mais cette immobilité de l’infini l’arrête dès qu’il s’agit de déterminer si l’Être premier est cause efficiente, comme il est cause finale, et la question du commencement temporel du monde lui semble insoluble. Topicorum, 1. I, ex, édit. Didot. t. i, p. 179. Il penche visiblement pour l’éternité du monde, et le néoplatonisme marche sur ses traces en affirmant catégoriquement son éternité et sa nécessité. Nous avons entre autres documents de ces controverses la réfutation de Proclus par Jean de Philopon, et le traité de Zacharie de Mitylène contre Ammonius Hermiae. Au XIIIe siècle, l’averroïsme s’appuiera sur les principes aristotéliciens pour défendre la même thèse de l’éternité. S. Thomas, Cont. gent., 1. II, c. xxxii. xxxv ; De potentia, q. iii, a. 17. L’hérétique Hermogène arguait aussi de l’immutabilité divine. Tertullien qui le réfute se laisse entraîner ailleurs à des exagérations : on conclurait sur ces principes à la nécessité de la création. Contra Marc, 1. I, c. xi, XII, P. L., t. ii, col. 258 sq. On sait encore comment Origène, pour écarter de Dieu tout reproche de changement, le faisait créateur ab œterno d’une série de mondes. Voir col. 2067.

Grave en soi, la difficulté présente a donc été sentie plus vivement par les plus grands philosophes. Le panthéisme gnostique avec ses émanations successive s, le stoïseisme et l’atomisme épicurien, cf. Origène, Cont. Cels., 1. IV. n. 14, P. G., t. xi, col. 1045. le monisme contemporain avec son évolution de l’idée ou de la matière seraient mal venus à la faire valoir. Pour résoudre le problème du mouvement, ils l’exaspèrent : dire que le mouvement est nécessaire, c’est affirmer que le changement est l’expression de la nécessité. La contradiction semble un peu forte. Essayons de montrer, pour justifier la solution chrétienne, que le mouvement peut exister par Dieu, sans être en Dieu.

L’objection est à double face : si la création temporelle entraîne quelque nouveauté en Dieu, l’être premier change ; il n’est par conséquent ni nécessaire, ni infini. Si elle ne suppose rien de nouveau, comment expliquer qu’elle n’est pas éternelle comme le créateur".’1° Nul changement moral en Dieu. — La forme la plus commune de l’objection est la suivante : qu’est-ce que ce Dieu qui sort tout à coup de son oisiveté, à qui il prend soudain la fantaisie de créer des mondes ? Mais elle procède en somme d’un anthropomorphisme inconscient. Le rationalisme de tous les temps, très prompt à dénoncer ce vice dans les solutions qu’il combat, est souvent moins frappé de la part qu’il occupe dans les objections qu’il soulève. Celle-ci vient de ce qu’on se représente l’activité divine sur le même type que la nôtre, quia quidquid novi faciendum venil m menton novo concUio faciunt. Cf. S. Augustin, Decivilaie Dei, 1. XII, c. xvii. n. % P. L., t." SU, col. liiiT. Nous voulons par volontés successives ; Dieu n’a qu’une volonté éternelle embrassant toute la série des modifications qui se succéderont dans le temps. S. Augustin, 161d. v II ne passe pas du non-vouloir au vouloir, dit saint Jean Damascène, mais il a toujours voulu que a création eût lieu au temps par lui défini. « Dial. contra