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CREATION

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niens, conlra murmurantes, saint Thomas professera même qu’on ne peut démontrer avec évidence qu’une création éternelle soit impossible. Mais tous les docteurs admettent que le temps, comme l’espace, commence avec le monde sensible : quantité, espace et temps sont termes corrélatifs.

L’École, suivant le goût du temps, résume sa doctrine en un distique :

Efftciens causa Deus est, formalis idea, Finalis bonitas, materialis hyle.

Albert le Grand, Sunrma, part. I, tr. XIII, q. liv, t. xvii, p. 311.

g) Le problème de la coexistence du fini et de l’infini. — a. Hors de Dieu. — En affirmant si nettement le dogme de la création, la scolastique ne résout pas ce problème ; on pourrait presque dire qu’elle le pose, puisqu’elle accentue la distinction radicale des deux termes. Disons plutôt : elle le constate dans toute sa rigueur. File reconnaît deux réalités, l’une perçue expérimentalement, le fini, l’autre inférée comme la seule explication possible du contingent, l’infini. Dès lors, cherchant leurs relations, puisque le fini ne peut être dans l’infini, comme sa substance, ni de lui comme son émanation, elle conclut qu’il ne peut être que par lui, c’est-à-dire par sa puissance qui le fait devenir, alors qu’il n’était pas, ex niliilo : c’est la création. Le mystère reste tout entier.

Cependant si la scolastique, pas plus d’ailleurs qu’aucun autre système philosophique, n’a résolu cette difficulté, elle a du moins singulièrement éclairé les conditions dans lesquelles elle se présente comme acceptable.

L’être peut s’envisager sous un double rapport : le rapport qualitatif ou d’essence, le rapport d’actualité ou d’existence. Sous le rapport qualitatif, elle professe qu’aucune essence créée ne saurait avoir autre chose qu’une pure relation d’analogie avec l’essence incréée, nec œquivoce, nec univoce, sed analogice. C’est-à-dire qu’il existe entre elles non seulement une différence de degré’, mais une différence substantielle qui pénèlre sans les supprimer leurs ressemblances mêmes. S. Thomas contre Maimonide, De potentia, q. vil, a. 7. En rigueur créé et incréé sont donc des unités disparates qu’on ne saurait ni nommer d’aucun nom commun, ni additionner en une somme commune. On ne peut même dire que ce sont au moins deux quelque chose, car ce quelque chose ne peut s’affirmer en un même sens des deux catégories d’essences. C’est ce que les docteurs signifient en disant que l’être n’est pas proprement un genre dont fini et infini soient les espèces ; du moins n’est-ce pas un genre physique, mais tout au plus un genre logique, une classification commode qui ne vaut point en dehors de l’esprit. Ce serait donc une erreur de concevoir l’opposition du fini et de l’infini, comme celle de deux unités de même espèce. A pousser l’analyse, on verra même qu’il n’y a pas deux espèces.

Par rapport à l’existence, en effet, l’être est ou possible ou actuel : en l’un ou l’autre cas l’être créé n’a rien comme de soi ou à soi. Possible, il ne se peul concevoir qu’en fonction de l’incréé : c’est une imitation à tel degré — rapport d’essence — de l’Être infini, que celui-ci pourra réaliser hors de soi grâce à sa puissance — rapport d’existence. Actuel, c’est une imitation de soi que l’Infini produit hors de soi. S’il devient, c’est l’Absolu qui le pose — création ; s il dure, C’est l’Absolu qui le soutient dans l’existence, par une création continuée — conservation. Et il faut bien qu’il en soit ainsi, sinon le premier instant if la création , nous aurions deus êlres qui se maintiendraient dans l’existence par une vertu actuellement sinon originellement personnelle ; entre eux pure différence de

degré : c’est le dualisme du fini et de l’infini dans toute sa rigueur.

Cette théorie de la conservation était nécessaire dans l’émanatisme néoplatonicien : la source suivant la comparaison de Plotin. 1Il Enn., 1. VIII, c. viii, édit. Didot, p. 188, reste à chaque instant la raison d’être des lleuves qui sortent d’elle. Cf. Proclus, Intl. theol., c. xxx, xxxv, édit. Didot, p. lxiii, lxiv. Elle revient aux scolastiques par le panthéisme arabe et par Maimonide, cf. Albert le Grand, Sum. theol., part. II, tr. I, m. ni, a. 3, ad l 11 " 1, par saint Augustin et le pseudo-Denys. Mais à la différence du néoplatonisme, il y a pour ces derniers distinction absolue de substance entre Dieu qui soutient et les créatures soutenues dans l’être. En conséquence de cette dépendance, comme on ne peut additionner les essences, on ne peut additionner les existences, puisqu’il n’y a rien dans l’existence créée que l’incréée ne lui ait donné et ne lui donne encore à chaque instant : le reflet ne renforce pas la lumière, l’écho ne fait pas deux voix avec la voix qui le produit.

Avec cette explication pour l’aspect statique île l’être, même explication pour l’aspect dynamique de l’agir. Créé et incréé ne font pas deux causes indépendantes ; et c’est logique, s’il ne font pas deux êtres indépendants, agere sequitur esse. A vrai dire, Alexandre de Halès admet encore une activité propre de la cause seconde sinon pour l’induction des formes substantielles, du moins pour préparer dans la matière les dispositions nécessaires à cette induction, Summa, part. IV. q. ix, m. viii, p. 28, mais Albert le Grand rejette cette explication pour accepter l’explication aristotélicienne : toutes les formes préexistent en puissance dans la matière ; la cause première et la cause seconde concourent à produire les formes par une action commune. In IV Sent., 1. II, dist. I. a. 12, Opéra, t. xv, p. 19. C’est la théorie du concours ; ici encore accord sur le principe, divergences dans le détail et l’explication. Voir Concours.

Ainsi impossibilité de compter ou deux essences, ou deux existences, ou deux agents ; il n’y a rien dans le créé qui ne relève de l’incréé, qu’il ne lui donne à chaque instant sans le perdre, ou dont il puisse s’augmenter en le retirant à soi. « La subordination absolue de l’être mélangé d’acte et de puissance vis-à-vis de l’actualité pure, écrit après Ritter M. de Wulf, supprime l’inexplicable dualisme du fini et de l’infini auquel se heurte Aristote et une partie des philosophes anciens. » Histoire de la philosophie médiévale, p. 318, n. 293.

b. En Dieu même. — Les scolastiques poussent plus loin leur solution. Le problème aplani, sinon supprimé, hors de Dieu, subsiste en effet en Dieu : comment concevoir dans la simplicité de l’Infini ce dualisme interne : connaissance du fini, amour ou volonté du fini ? C’est ici que se manifeste l’abîme qui sépare le panthéisme de la doctrine scolastique. Le panthéisme résout la difficulté en transportant le fini et l’imparfait en Dieu même : le fini est la limite que l’Infini se donne à lui-même, ou la modalité qu’il produit en soi. Comprenne qui pourra cette explication des deux termes parleur identité ! La scolastique maintient les deux termes, mais établit que Dieu connaît et aime le fini sans sortir de soi et sans changement de soi. Elle distingue en effet, pour l’intelligence comme pour la volonté divine, objet premier et objet secondaire, l’un adéquat iux quasi-facultés de Dieu, l’autre qu’elles atteignent en même temps, non indépendamment, mais dans et par les précédents. Ainsi, Dieu, en connaissant son essence, objet propre de son intelligence, connaît du même coup, en elle et par elle, toutes ses imitations, ou possibles parce que seule elle les l’onde, ou actuelles parce que seule elle les produit ; en s’aimant lui-même, il aime toutes ces images qui