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1883
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CORPS GLORIEUX — issi

° Dans ce mystère, la face de Notre-Seigneur devient brillante comme le soleil. Son enveloppe terrestre est transparente : ses vêtements sont imprégnés de lumière et tout éclatants d’une blancheur telle que nul foulon sur la terre ne pourrait la reproduire. Luc, ix, 28-43 ; Marc, ix, 2-29 ; Matth., xvii, 1-21.

Ici encore Notre-Seigneur passe de l’état ordinaire à l’état transfiguré, directement, sans que la mort intervienne, et du reste au bout de quelques instants l’état transfiguré laisse place à l’état ordinaire : c’est donc un même corps, gardant son identité et dans cette identité passant à des modes de vie différents, comme la même eau passe successivement par l’état solide de la glace, l’état fluide du Ilot, l’état gazeux de la vapeur ; comme le papillon, symbole des corps glorieux, a été auparavant chrysalide. Il est important de constater que le même corps peut avec une même identité sousjacente revêtir des formes vitales diverses et la transfiguration en est la preuve manifeste. C’est bien le même corps, puisque les apôtres le reconnaissent sous l’état transfiguré et le distinguent de Moïse et d’Élie qui s’entretiennent avec lui. C’est bien une modalité autre de vie, puisqu’il est transfiguré.

2° Cette modalité autre, les Pères se plaisaient à la considérer comme l’état même des corps glorieux, et quelques-uns y voyaient quelque chose de superficiel et comme un éclat ajouté et pour ainsi dire violent, accordé momentanément du dehors au corps du Christ pour les besoins du mystère. Le vrai courant traditionnel a toujours envisagé cette splendeur comme la propriété normale du corps glorieux du Christ : tel ce corps fut à la transfiguration, tel il est au ciel depuis son ascension, et la gloire du Thabor est un gage, une promesse, une manifestation de la gloire du paradis. Les interprèles allaient même plus loin dans leurs affirmations : pour eux, et pour nous, l’état glorieux du corps du Christ au Thabor est la condition normale de la nature humaine du Sauveur ; c’est ainsi qu’il aurait dû être toute sa vie mortelle, et s’il a paru semblable à nous, avec nos impuissances matérielles, c’est par une réaction violente contre la tendance spontanée de son être. Et voici comment ils l’expliquent, donnant par le fait même la raison psychologique de la gloire des corps ressuscites. L’âme de Notre-Seigneur, dès sa conception, fut dotée de la vision intuitive de la divinité : elle fut donc immédiatement unie à la divinité, non seulement par la voie de l’union hypostatique, mais encore par le face à face qui fait les bienheureux. Cette vision intuitive est un principe dont le rayonnement doit gagner l’être tout entier : dans la volonté, elle produit un attachement irrévocable à la divinité ; dans le cœur, une félicité inaltérable : continuant son expansion normale, elle devait dans le corps se manifester par la gloire, l’éclat, la blancheur immaculée que la transfiguration a laissés paraître. Régulièrement, Notre-Seigneur, dès qu’il jouissait de la vue intuitive de la divinité, devait donc avoir un corps resplendissant de lumière.

3° Et cette théorie s’accorde très bien avec la doctrine de l’union de l’âme et du corps, de l’animation du corps par l’âme, de l’influence qui en découle, de l’âme sur le corps, du moral sur le physique. Toute modification importante dans l’âme doit se traduire par un changement dans l’animation qu’elle donne au corps.

4° La gloire du corps du Christ, tel est donc l’effet qui devait découler de la vision intuitive accordée à son âme. Mais ce droit, Notre-Seigneur n’en a pas voulu jouir, sauf pendant quelques instants au Thabor, sans doute pour mieux l’attester et du même coup montrer qu’il y renonçait par pénitence et aussi pour nous. En fait, Notre-Seigneur a voulu, pour nous être assimilé plus entièrement, avoir un corps passible,

! mortel, humble comme le nôtre, et il a arrêté aux frontières de son être corporel le rayonnement de gloire

I qui descendait des sublimités de sa vision béatifique.

i L’état quotidien de son corps était donc violent et l’état glorieux du Thabor, sa condition normale. Knahenbauer, Commentai : in Matth., Paris, 1893, t. II, p. 82, résume ainsi l’enseignement exégétique de la tradition : Humana Christi anima cum Verbo œterno hypostalice unita fruebatur visione beata divinilatis ; hujus autem visionis effectus connaturalis est ipsa corporis glorificatio. Hune effectuai Cliristus viator prop1er fmem incarna tionis hisce in terris coliibuit ; sed in transfiguralione aliquos ejus glorise radios ab anima beatu in corpus redundare voluit. Splendor igitur hic, ut Cajelanus dicit, ex gloria interna animas Christi coæva ab inilio creationis suæ divina disposilione emanavit. Et il rapporte un texte de saint Grégoire qui voit, à cause de cela, dans la transfiguration l’annonce de la gloire suprême des corps ressuscites : In qua trans/tguratione quid aliud quam resurrectionis ultimes gloria nuntiatur ? Moral., 1. XXXII, c VI, P. L., t. lxxvi, col. 640.

5° Suarez ne veut pas voir dans cet état glorieux du corps du Christ transfiguré un rayonnement de son âme intuitive : par la raison, dit-il, que le principe de ce rayonnement ne peut être que la lumière de gloire ou l’acte d’intuition. La lumière de gloire est une habitude intellectuelle, et a pour unique effet de rendre possible la vision bienheureuse ; la vision est un acte immanent renfermé dans l’intelligence seule et n’ayant aucune réalité en dehors. Dès lors, pour lui, l’union du Christ à la divinité serait la cause de l’état glorieux de son corps et c’est dans la présence du Fils de Dieu uni hypostatiquement à la nature humaine qu’il faudrait chercher la cause de la gloire de celle-ci. C’est là, en effet, une cause bien suffisante, mais qui ne dédaigne pas de recourir à la collaboration de causes inférieures et instrumentales, comme paraît être le rayonnement de l’intelligence intuitive. Quant à l’immanence de la lumière de gloire et de l’intuition, il ne faut pas l’exagérer : la réalité de la lumière de gloire et de l’acte de la vision intuitive est, en effet, immanente à l’intelligence, dont elle est un accident et la perfection, mais elle peut être cause en dehors de l’intelligence, et de même que l’intuition agit sur la volonté et lecœur pour les fixer et les rendre heureux en Dieu, pourquoi le rayonnement d’influence ne s’étendrait-il pas jusque sur le corps ? Nos idées fortes sont immanentes à notre esprit et cependant se traduisent par l’éclat du regard et l’attitude du corps : il ne faut pas nier l’effet du psychique et du moral sur le physique. Cf. Suarez, In lll iiii, q. xlv, Opéra, Paris, 1866, t. xix. col. 503, qui s’exprime ainsi : Clarilas gloriosa animée non est nisi aut lumen glorieeaut visio beata : lumen autem glorias est virlus qusedam intellectualis quos ex natura sua solum est principium sut aclxs secundi seu operationis : operalio autem quee est ipsa visio beata, est quidam actus immanens qui per se et natura sua non est operativus extra suam potentiam.

Cf. Ludolphe le Chartreux, Yita Jesu Christi, part. II, c. iii, Paris-Rome, 1870, t. iii, p. 18 sq. : M 1’Baunaid, L’apôtre saint Jean, c. iii, § 4, 4’édit., Paris, 1883. p. : 3 s.]. ; Fr. Jos. Rudigier, Vita beati Pétri, lect. xii, Fribourg-en-Brisgau, 1890, p. 114128 ; E. Le Camus, La vie de N.-S. Jésus-Christ, 1. II, sect. iii, c. viii, 6’édit., 1901, Paris, t. II, p. 163-171 ; Knabenbauer. Comment. in Evangelium secundum Matthxum, Paris, 1893, t. ii, p. 78 ; Comment, in Evangelium secundum Marcum, Paris, 1894, p. 228 ; Comment, in Evangelium secundum Lucam, Paris, 1895, p. 312.

IV. La I r « Épître kvx Corinthiens. — L’endroit scripturaire classique où est défini l’état des corps glorieux est le c. xv de la I re Épître aux Corinthiens. C’est cet enseignement de la théologie paulinienne qui,