Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 3.2.djvu/232

Cette page n’a pas encore été corrigée

1731

CONTROVERSE

1732

V. Prescriptions canoniques.

Pendant de longs siècles, l’Église n’a pas cru devoir intervenir, par des dispositions positives, dans cette question de la controverse avec les hérétiques ou les infidèles. Elle laissait faire. Aussi, quand saint Thomas se demande si de semblables discussions sont permises ou non, il ne fait appel à aucun texte législatif. Il résout le problème par des arguments tirés de la seule raison naturelle ou théologique. Sun), theol., II a II", q. x, a. 7. Il n’est pas utile de rapporter tous les documents de la jurisprudence canonique relatifs à la question. Nous citerons seulement ceux qui l’éclairent ou donnent une direction autorisée.

I. DÉCRET DU PAPE ALEXANDRE IV, 1254-1261. — Le premier texte que l’on rencontre sur la matière, est un décret du pape Alexandre IV, inséré au Corpus juris, c. il, § 2, De lixreticis, in 6°. « Nous défendons, dit-il, à tout laïque de disputer sur la foi catholique, en public ou en particulier. Si quelqu’un contrevient à notre ordonnance, qu’il soit frappé d’excommunication : Inhibemus quoque, ne cuiquam laicæ personse liceat, publiée vel privatim, de jide catholica disputare. Qui vero contra fecerit, exconiniunicationis laqueo irwodetur. » Cette disposition n’a jamais été abrogée. Elle a même été plusieurs fois et récemment encore rappelée.

1° La raison de cette interdiction, faite aux laïques, est bien simple. Aussi longtemps qu’ils ne s’aventurent pis sur le terrain religieux, les catholiques laïques ont pleine liberté de parole et de discussion. Mais dès qu’il s’agit de vérités d’ordre religieux, cette liberté n’est plus entière. En effet, le trésor des vérités révélées n’est pas un dépôt dont tout catholique puisse, à son gré, prendre la charge et la gestion. Ce dépôt et son administration ont été confiés à un corps permanent et officiel, le corps de l’Église enseignante, le corps des pasteurs et des docteurs. Le pape, dans toute l’Église, les évoques, dans leurs diocèses respectifs, sont de droit divin les gardiens et les administrateurs de ce dépôt surnaturel. L’évêque est avant tout docteur : il a charge d’enseigner le troupeau confié à sa houlette, et personne ne peut exposer ou défendre la doctrine chrétienne, la loi révélée, s’il n’en a reçu de lui la mission. Le concile de Trente a itérativement stipulé que nul prêtre, fût-il un génie supérieur, ne peut prêcher la doctrine sacrée, sans l’autorisation certaine, médiate ou immédiate de l’évêque : Quomodo prsedicabunt, nisi mittantur ? Rom., x, 15. Telle est la loi commune poulies prêtres séculiers comme pour les réguliers. Concile de Trente, sess. V, De reform., c. xi ; sess. XXIV, De reform., c. iv. Que si le concile de Trente n’a pas expressément mentionné les laïques comme soumis à la même loi, c’est qu’à cette époque on n’imaginait pas facilement un laïque prenant la charge d’exposer ou de défendre, devant le public, les vérités de la religion. Aujourd’hui certes, il en va tout autrement. Il n’est plus rare de voir des laïques amenés sur ce terrain. Grâce à Dieu, ils s’y sont assez dignement, assez vaillamment comportés pour que nul ne songe à leur refuser une place qu’ils ont si utilement occupée en bien des circonstances. Toutefois, laïques comme prêtres ont le devoir strict de se soumettre à l’ordre établi de Dieu. Si l’approbation de l’évêque est nécessaire au prêtre pour enseigner la doctrine catholique, à plus forte raison s’impose-t-elle aux laïques, qui, eux, n’offrent pas les garanties spéciales que le prêtre acquiert dans ses études théologiques. Telle est donc la législation en ce qui regarde l’enseignement ou la prédication de la doctrine sacrée. Evidemment, elle a son application plus nécessaire encore dans la matière plus délicate et plus difficile de la controverse avec les hérétiques et tous les ennemis de l’Église. Rien d’ailleurs en cela ne doit étonner. Ne voyons-nous pas tous les jours qu’il faut une investiture de l’État pour remplir certaines fonctions

dans la société civile ? Qui donc pourrait se permettre de lever l’impôt, même au profit de l’État, sans en avoir reçu charge et mission ? Ainsi faut-il une investiture de l’Église pour gérer ou défendre le dépôt de la révélation surnaturelle. Suarez présentait, de son temps, ces con-idérations en ces termes : Italio… hujus proliibitionis inclicatur in illo canone, lits verbis : « Sed oporlet ordini a Domino dalo cedere, juxla illud Pauli, ad Ephesics, iv : Quoniam dédit pas tores et doclores. » l’crlincl crgo hoc rnunus, ex of/icio, clericali statui, el idco illi nierito reservatur. Accedit quod leges attendunt id quod frequentius accidit ; clerici auteni soient este magis instructi et docli in doctrina sacra ; laici vero, e contrario, regulariler non sunt peciti in illa scientia, et ideo nierito talis aclio eis prohibetur. El con/irmari potest, quia eadeni ratio vel major est in hac disputatione quani in simplici prædicatione vel doctrina. Hœc auteni prohibetur laicis. Ergo et illa. Minor habetur in capite Cum ex injuncto, et capile, Sicut in uno, de hæreticis, in 6°, et in concilio Carthaginemi IV, c. 98 : Laicus, inquit, prsrsentibus clericis, nisi ipsis jubentibus, docere non audeat ; et Léo papa, Epist., lxii, cap. ultinw : Præter eos qui sunt Domini sacerdotes, nullus sibi jus docendi et pradicandi audeat vindicare, sive sit monachus, sive laicus, qui alicujus scientia ? nomine glorietur. De /i<li% disp. XX, sect. i, n. 9, Operaomnia, Paris, 1858, t. xii, p. 496.

2° La défense atteint tous les laïques, et, par conséquent, ceux-là mêmes qui seraient pourvus d’une vraie compétence en matière de connaissances religieuses. Le texte ne laisse place à aucune distinction : ne cuiquam laicse personse liceat. S’il devait en être autrement, on ne comprendrait pas que le souverain pontife eût porté cette défense formelle et toute spéciale : elle eût été parfaitement inutile. Car les ignorants, les incompétents, fussent-ils prêtres, sont, de soi, incapables de prendre la défense de la religion : ce ministère leur est interdit par la loi naturelle elle-même. Alias iex illa fere essel inulilis ; nihil enim prohibcrel laicis de novo, quia indocti per se sunt inepli et prohibiti ab illo munere. Unde nihil peculiare haberent clerici ; nam docli tanium, et non indocti, hoc munus assumere possunt. Suarez. op. cit., n. 11, ibid., p. 497. De plus, l’interprétation du texte ainsi élargie ne pourrait manquer de conduire à de graves inconvénients. De nos jours, à raison des théories propagées par les dissidents et par les rationalistes, l’on n’est que trop porté à croire et à prétendre qu’il appartient aux laïques comme aux clercs d’exposer et de défendre la religion. Inspiré de tels principes, un laïque tant soit peu instruit sera naturellement enclin à exagérer sa compétence, et il aura vite fait d’usurper la propre fonction des clercs. Secundo, écrit Suarez, propler incommoda quæ moraliler inde sequi possunt, pr ; rserlim hoc tempore, in qtio hæretici hœc munera indistincte laicis et clericis concoure docent, et quia unusquisque laicus, de sua doctrina præsumens, propriutn clericorum munus usurparet. Op. cit., ibid.

3° Rien ne servirait d’ailleurs, pour éluder l’obligation de la loi, d’exciper d’une déclaration préalable. Elle consisterait, de la part d’un laïque, à protester, tout d’abord et publiquement, qu’il n’a pas reçu mission de parler au nom de l’Église, qu’il parle uniquement en son nom personnel ; que, par conséquent, explications n’engagent pas l’Église, mais lui-même et lui seul.

Remarquons que le texte du décret pontifical ne distingue pas entre laïques qui auraient et laïques qui n’auraient pas mission de parler au nom de l’Eglise. Il interdit purement et simplement aux laïques, à tous les laïques, de discuter avec les hérétiques. Nous pouvons observer une situation analogue dans la discipline mi-